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- Agroforesterie -

Quand l’érable vous passe un sapin

Mathieu Voghel-Robert

Partie d’un secteur dont le couvert forestier a été dégarni, chemin Maurice (photo : Mathieu Voghel-Robert)

Les frères Urbain et Joseph Swennen doivent payer une amende de 160 000 $ pour l’abattage illégal d’une érablière. C’est ce qu’ont confirmé les commissaires de la Commission de protection du territoire agricole du Québec  (CPTAQ) dans le jugement qu’ils ont rendu en août dernier.

L’histoire remonte à 2002 quand Joseph et Urbain Swennen, frères et associés, achètent une terre sur le chemin Dutch. Ils sont agriculteurs et désirent réduire le ratio de leurs terres en location. Le terrain comprend quelques arbres d’un vieux verger et un boisé. Ils font alors une demande de certificat à la municipalité de Saint-Armand pour abattre une partie du boisé et le convertir en terre cultivable. La mairie émet un certificat après une consultation auprès de la MRC pour s’assurer de la bonne marche à suivre. La coupe débute en 2003 et se poursuit en 2004. À la fin de l’année, le gouvernement québécois adopte un moratoire sur la création de nouvelles terres agricoles. Les frères Swennen demandent alors l’autorisation de compléter les travaux auprès du ministère de l’Environnement. Dès l’année suivante, autorisation en main, ils entreprennent les travaux d’essouchage, de nivellement et de drainage. La culture commence au printemps 2006.

Le coup de grâce arrive par huissier le 3 décembre 2009 : suite à une plainte, une lettre du directeur des poursuites pénales et criminelles les somme de payer une amende de  155 000 $, soit 160 000 $ avec les frais administratifs. Leur forfait : l’abattage illégal d’une érablière.

Au Québec, l’érable est roi.

Selon les cartes écoforestières du ministère des  Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), une partie du bois abattu  correspondant à près de 32 hectares est classée érablière rouge. La loi est claire : « une personne ne peut, sans l’autorisation de la Commission, utiliser une érablière située dans une région agricole désignée à une autre fin, ni y faire la coupe des érables, sauf pour des fins sylvicoles de sélection ou d’éclaircie. »   La coupe à blanc n’est donc pas permise.

« Ce n’est pas une érablière », clament les frères Swennen ! Ils font donc une demande rétroactive auprès de la Commission de protection du territoire agricole du Québec  (CPTAQ). « Notre avocat [Me François Montfils] était sûr à 90 % qu’on allait gagner », rappelle Joseph Swennen. Les témoignages de Francis Marcoux, l’entrepreneur qui avait procédé à la coupe, et de Justin Manasc, l’ingénieur forestier qui avait marché le boisé en 2002, allaient  dans le même sens : il ne s’agissait pas d’une érablière.

Pour donner du poids à leur défense, les frères Swennen engagent Justin Manasc pour produire un rapport sur les quatre derniers hectares du peuplement d’érable rouge concerné par le litige. Il conclut que l’érable ne représente que 38 % des tiges et que les arbres sont petits. Tout au plus, le potentiel acéricole de cette érablière consisterait en 140 entailles à l’hectare.

Un revers inattendu

Les commissaires ne voient pas les choses sous le même angle. Dans leur jugement, ils estiment que l’analyse de l’ingénieur forestier qui a porté sur les quatre hectares ne peut être transposée au reste du peuplement identifié comme une érablière. Comme il est impossible de faire une contre-expertise sur la portion en culture, les commissaires se réfèrent donc aux cartes du ministère. Ils dénoncent également la mauvaise foi des frères Swennen, qui les ont mis devant le fait accompli. « On est traité comme des criminels, s’indigne Urbain Swennen, comment tu penses qu’on se sent ? » Normalement, la CPTAQ produit une contre-expertise. « C’est facile de déterminer que ce n’est pas une érablière, ça prendrait quelques minutes à un ingénieur, poursuit Urbain Swennen. La famille Swennen se demande pourquoi la Commission n’a pas fait faire d’expertise indépendante. « On pense qu’ils [CPTAQ] veulent se servir de nous pour donner un exemple »,  explique France Groulx, conjointe d’Urbain Swennen. De son côté, la CPTAQ refuse de commenter le litige puisque le dossier est toujours actif. « À la base, raser c’est pas permis, surtout pour de l’érable », précise Serge Nadeau de la CPTAQ.

Conjuguez érablière

Autant la loi est précise quant à l’interdiction d’abattre une érablière, autant elle laisse perplexe quand vient le temps de définir l’érablière en question : « Peuplement forestier propice à la production de sirop d’érable d’une superficie minimale de quatre hectares  ». À partir de quand une essence d’arbre obtient-elle le statut de peuplement forestier et quelle est la limite pour considérer qu’elle est propice à la production de sirop d’érable ?

« Il y a différentes normes selon qu’on en parle d’un point de vue forestier, écologique ou agricole », soutient Normand Villeneuve de la direction de l’environnement et de la protection des forêts du MRNF. Les normes dépendent aussi de l’écosystème de la forêt. Dans tous les cas, le pourcentage d’érables ne peut être inférieur à 25 %. Ce seuil peut passer à 50 % s’il s’agit d’un peuplement pur de feuillus. « Les normes du Ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) exigent qu’une érablière productive, en plus d’être dominée à plus de 60 % par les érables et de couvrir au moins huit hectares, doit conserver en tout temps un potentiel d’au moins 150 entailles à l’hectare », note M. Villeneuve. Par contre, ces normes n’ont pas de valeur légale. « C’est la cour qui va trancher, affirme Clément  Falardeau de la direction des communications du MAPAQ. C’est à ça que servent les tribunaux. » Selon l’évaluation de  M. Manasc, le boisé comprend de l’érable rouge, du frêne d’Amérique, de l’érable à sucre, du cerisier et de la pruche. Les jeunes pousses –  la régénération -sont principalement du sapin baumier, de l’épinette rouge et du frêne. Au premier coup d’œil, on voit que les arbres sont plutôt de petite circonférence et que plusieurs sont renversés.

Des cartes qui déboussolent

Malgré ces témoignages et les normes existantes, la Commission a décidé de se contenter des cartes du MRNF. Pourtant, dans un échange courriel entre Louise Noreau du MRNF et Urbain Swennen, celle-ci affirme que « selon l’avocat du ministère, le MRNF ne peut pas garantir l’exactitude des données, [et] il n’est pas responsable des conclusions obtenues. » Il s’agit en fait de vues aériennes interprétées. « Elles sont utiles, mais elles sont trop imprécises pour être fiables », renchérit  « C’est comme si la police t’arrête pas de radar : on t’arrête parce qu’on pense que tu es allé trop vite, ironise Joseph Swennen. On présume que t’es coupable. » Les deux frères ont fait appel auprès du tribunal administratif du Québec et attendent toujours de connaître la date des auditions. Ils ont bien hâte que le stress qu’ils vivent depuis deux ans se dissipe. « On ne dézone pas pour faire un golf, on est en zone verte [agricole], conclut France Groulx. On fait de l’agriculture ».

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