Jean Lévesque (Photo : Monique Dupuis)
Jean Lévesque, copropriétaire de la ferme Géni-Porc, a accepté de livrer ses réflexions sur le contexte actuel de l’élevage du porc et sur la récente crise porcine de l’industrie. Jean a repris la ferme paternelle ; son métier d’éleveur de porcs, il le pratique depuis 25 ans.
Quelle ampleur a pris la récente crise dans l’industrie porcine ?
À mon avis, c’est la pire crise vécue depuis 30 ans. Les précédentes ont été dures, mais c’est la longueur de celle-ci qui nous a rendu les choses difficiles.
- NOM : Ferme Géni-Porc
- PROPRIÉTAIRES : Michel et Jean Lévesque
- Entreprise familiale de 2e génération
- RACES : Troupeau pursang enregistré Landrace et Yorkshire
- Possède son propre centre d’insémination artificielle
- NOMBRE DE TRUIES EN PRODUCTION : 1 000
- PORCELETS : 12 000 vendus à 21 jours
- BÂTIMENTS D’ÉLEVAGE : 7 à Stanbridge Station, 2 à Frelighsburg
- NOMBRE D’EMPLOYÉS : 5
La crise a découlé de plusieurs facteurs : d’abord la maladie dans les élevages du Québec, ensuite les coupures dans les programmes de soutien du revenu et, aussi, le prix des grains qui a été très élevé. Il faut comprendre que 70 % des coûts de production d’un porc sont associés à la nourriture.
La force du dollar canadien a aussi fait mal. Le porc américain est importé pour approvisionner nos chaînes alimentaires. À la lecture des étiquettes sur les emballages, on constate que le porc américain est bien présent dans nos épiceries. Par exemple, les gros filets proviennent souvent d’élevages américains. C’est d’autant plus déplorable que le système d’inspection des aliments est bien moins sévère là-bas.
Comment la crise a-t-elle été vécue au sein de votre entreprise ?
Comme ailleurs, par l’arrêt des investissements. On a mis un frein à la rénovation des bâtiments. Dans notre cas, la section de la mise-bas de la maternité a été rénovée en 2006. Les autres bâtiments datent de 10 ou 12 ans ; certaines rénovations sont nécessaires. Et on a fait comme les autres éleveurs, on a coupé nos salaires.
Quand les animaux quittent la ferme, où vont-ils ?
Les porcs prêts pour le marché sont abattus chez Olymel, à St-Esprit-de-Montcalm, près de Joliette. Les porcelets de 21 jours sont livrés chez deux producteurs indépendants de la région qui les engraissent. Les porcelets sont élevés en bandes, c’est-à-dire que le groupe reste ensemble, de la pouponnière jusqu’à l’abattoir.
Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
J’aime les animaux, la vie à la campagne, j’aime me lever tôt le matin. Mais ma grande déception vient de l’absence de rentabilité. L’agriculture est un secteur difficile et choisir d’élever des porcs, ce n’est pas un choix économique. Au début, c’était rentable, mais plus maintenant. Ceux qui persistent dans l’industrie sont les fermes spécialisées dans le porc. Tous ceux qui élevaient à la fois des vaches laitières ou des pondeuses par exemple, ont fini par délaisser le porc. Depuis 25 ans, j’ai vu plusieurs éleveurs quitter la production.
Mais je reste optimiste et je pense que, à un moment donné, la rentabilité va revenir. Sinon, il n’y aura plus d’élevage au Québec. Je m’implique beaucoup dans les organisations. Je siège comme directeur de la Société des éleveurs de porc du Québec, je suis également directeur du Syndicat des producteurs de porc de la région de Saint-Hyacinthe. Je siège à titre de vice-président des éleveurs de porcs pur-sang du Canada (CSBA) et suis membre du conseil d’administration de PigGen Canada, une nouvelle entité dont le mandat est la recherche et le développement sur la génomique du porc.
Les normes environnementales dans le porc, qu’en pensez-vous ?
Dans mon cas, les normes environnementales ont simplifié la tâche des épandages. Maintenant, on doit travailler avec des PAF, des plans agroenvironnementaux de fertilisation établis par des agronomes et vérifiés par l’Environnement. Le PAF détermine les besoins du sol en nutriments (azote et phosphore), le fumier est analysé et les quantités à épandre sont calculées en fonction des besoins spécifiques des cultures.
L’élévation récente du prix des engrais minéraux a eu pour effet d’augmenter la demande pour les fumiers, un engrais naturel. Je sais que l’odeur des fumiers dérange, mais depuis quelques années, la situation s’est améliorée avec l’utilisation des rampes basses pour éviter la dispersion des odeurs dans l’air au moment des épandages.
Pour éviter la contamination des cours d’eau, il y a des normes. Par exemple, le fumier n’est jamais épandu sur la neige ou des sols gelés. Des bandes riveraines doivent aussi être respectées. Dans mon cas, il n’y a pas de cours d’eau qui traverse les champs.
Comment percevez-vous l’avenir de votre entreprise ?
Dans la conjoncture actuelle, je serais très réticent à inciter mes enfants à prendre la relève. Les études d’abord ; s’ils décident de revenir à la ferme ensuite, on verra. Mais j’avoue que j’ai des inquiétudes face à l’avenir de la ferme familiale. Par exemple, dans le contexte actuel, si mon entreprise était à vendre, c’est certain que les grandes entreprises seraient en meilleure position pour acheter. Mais pour l’instant, j’espère toujours que l’industrie retrouvera la voie de la rentabilité.