Lors des travaux de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles qui avait pour mandat, en septembre dernier, d’examiner les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement, ainsi que d’identifier des solutions de rechange innovantes, un des mémoires présentés insistait sur la nécessité, pour le gouvernement du Québec, de « développer des liens étroits [avec l’industrie des pesticides] en matière de recherche et de développement » agricole.
Ces propos étonnants provenaient du mémoire déposé par le CEROM, ce centre de recherche sur les grains qui s’est retrouvé au centre de la controverse ayant entraîné le congédiement de Louis Robert. On se rappellera que l’agronome avait dénoncé l’ingérence de l’industrie des fabricants et vendeurs de pesticides auprès des chercheurs dont les travaux sont principalement financés par de l’argent public. Il y a de quoi sourciller car c’est précisément ce genre de « liens étroits » qui faisaient l’objet de critiques généralisées.
Louis Robert estime pour sa part que la porte du centre ne devrait même pas être entrouverte à l’industrie des pesticides. « Le privé n’a pas de rôle à jouer dans la recherche publique. Il n’y a pas de compromis à faire là-dessus », affirme-t-il.
Rappelons que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) avait dû réembaucher son agronome et lui offrir une compensation substantielle après qu’une enquête eût démontré que le ministère avait fait preuve de laxisme en congédiant son agronome plutôt que de vilipender les dirigeants du CEROM et ses propres hauts fonctionnaires complaisants. Fait à noter, aucun dirigeant du CEROM, ni aucun fonctionnaire du MAPAQ n’a subi de sanction ou n’a été autrement inquiété. Une sous-ministre, blâmée dans cette affaire, a même bénéficié d’une promotion ! Quant au ministre lui-même, André Lamontagne, il est toujours en poste, ce qui en dit long sur les choix politiques de ce gouvernement.
Quelques jours avant le début des audiences publiques de la commission parlementaire, le ministre déclarait d’ailleurs qu’il estimait nécessaire de maintenir un lien entre l’industrie des pesticides et la recherche afin d’aider les agriculteurs. « Sur le terrain, a-t-il affirmé, il y a des ennemis des cultures et il y a des gens qui cultivent la terre. » Un discours pour le moins alambiqué qui tend à associer les chercheurs à des ennemis des agriculteurs et de l’agriculture elle-même. Pour qui croit-il travailler ? Pour les citoyens et les agriculteurs, ou pour l’industrie des pesticides ?
Pesticides et santé
Si les recherches produites avec l’argent de l’industrie des pesticides abondent, celles sur les risques associés à ces produits manquent cruellement. « Vous seriez étonnés de voir à quel point il y a peu d’études qui sont faites sur les risques à l’exposition aux pesticides », a souligné la chercheuse Maryse Bouchard en s’adressant aux membres de la commission parlementaire pour présenter les résultats d’une étude qu’elle a menée avec deux de ses collègues. Les données recueillies indiquent que certaines maladies sont associées à l’exposition aux pesticides, comme le parkinson, divers cancers et des troubles de la reproduction.
« Il est donc crucial, écrivent les chercheurs dans leur mémoire, qu’une évaluation robuste de la toxicité de ces produits et de l’exposition humaine soit faite afin de s’assurer que les risques à la santé de la population soient minimisés. Or, les processus d’évaluation et d’homologation actuels comportent des failles qui réduisent considérablement la capacité des scientifiques et des décideurs à prendre position de façon à protéger adéquatement la santé de la population. »
Maryse Bouchard, qui enseigne en santé publique à l’Université de Montréal, estime que les premiers concernés sont les agriculteurs eux-mêmes, qui travaillent avec des pesticides et qui s’exposent ainsi à des risques importants. Contrairement à ce qu’insinuait le ministre, les chercheurs ne sont évidemment pas les ennemis des agriculteurs.
Dans un autre mémoire, Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la fondation David Suzuki mettait l’accent sur les effets méconnus des pesticides sur la santé humaine, notamment l’interaction entre plusieurs produits. « Au quotidien, la population ne sait même pas qu’elle est exposée aux pesticides dans différents endroits dans son propre milieu de vie. On sait qu’il y en a dans nos aliments, mais on ne sait pas à quelle concentration et on ne sait pas s’il y a un enjeu réel pour la santé. » Elle aussi souhaite qu’on effectue davantage de recherche indépendante afin que les citoyens et les gouvernements aient l’heure juste.
Il faut réduire l’usage des pesticides
L’agronome Louis Robert s’est également adressé aux commissaires. En essence, il leur a expliqué que « c’est parce que l’État a été faible que l’industrie des pesticides a réussi à s’ingérer dans le travail des agronomes et dans la recherche en agriculture ».
Selon lui, il serait relativement simple, de « débarrasser le système » de l’ingérence de l’industrie et réduire ainsi l’utilisation des pesticides de 30 à 40 % en cinq ans. Pour y parvenir, il recommande aux élus que la vente de ces produits toxiques et les services-conseils fournis par les agronomes soient indépendants l’un de l’autre, tout comme il est interdit au médecin de vendre les médicaments qu’il prescrit. Il recommande également que le MAPAQ embauche, pour aider les agriculteurs, davantage d’agronomes indépendants des fabricants et distributeurs de pesticides.
De plus, selon lui, les vendeurs de pesticides comme la Coop fédérée ne devraient pas siéger au conseil d’administration d’organismes de recherche. « Il y a au moins deux membres de la Coop fédérée qui sont encore au conseil d’administration du CEROM, ce qui est une brèche, quant à moi, au principe d’indépendance », a-t-il précisé. Rappelons que cette entreprise est le fournisseur de pesticides le plus important au Québec et qu’elle est également l’un des bailleurs de fonds du CEROM, dont la majeure partie du budget provient toutefois de fonds publics, c’est-à-dire de nos poches.