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Opposition aux éoliennes de Stanbridge

La controverse des infrasons
Guy Paquin

Dans la comptine, le meunier s’est endormi près de son moulin qui, comme chacun sait, « va trop fort » . Dans la vie, s’agissant des éoliennes, selon certains, le meunier n’aurait jamais pu s’endormir. C’est que les pales, emportées par le vent, produiraient des sons suffisamment forts pour couper le sommeil à d’aucuns. On va beaucoup plus loin : insomnie, fatigue, stress, anxiété, maux de tête et tutti quanti. Les éoliennes seraient mauvaises pour la santé. Because les infrasons.

L’industrie de l’énergie éolienne nie bien sûr catégoriquement cette présomption. Elle appelle à la barre des témoins comme le docteur Geoff Leventhall du Royaume-Uni, spécialiste du bruit, qui déclare sans ambages : « Les éoliennes de facture contemporaine ne produisent aucun infrason significatif. » Mais d’abord, qu’est-ce qu’un infrason ?

Ils sont au cœur de la controverse, et on peut dire que les opposants aux projets actuels d’éoliennes, autant en Europe qu’en Amérique du Nord (y compris à Stanbridge Station et Pike River), brandissent les dangers des infrasons pour appuyer leur opposition. On ne peut les entendre mais ils seraient dangereux quand même pour notre santé.

Un infrason, c’est une sorte de grondement sourd, plusieurs octaves plus bas que la voix de Brian Mulroney. Ça ne peut s’entendre parce que nous n’avons pas l’équipement acoustique naturel pour le faire. Mais, aussi inaudibles qu’ils soient, les infrasons existent et transportent une quantité connue d’énergie . À des fréquences inférieures à 20 Hz, on est dans l’infrason, et le très honorable M. Mulroney, lui, a l’air d’une soprano colorature.

Inaudible, soit, mais pas inoffensif. Pour certains, l’exposition constante et durable à une source proche d’infrasons produit les effets mentionnés plus haut. L’étude la plus récente et sans doute la plus exhaustive des effets négatifs des éoliennes sur la santé des gens est celle de Barbara Frey et Peter Hadden (février 2007). Le texte ratisse tout ce qui est disponible concernant les malaises humains et les infrasons éoliens.

Il recommande que les gouvernements instaurent une zone tampon de deux kilomètres entre les éoliennes et les habitations. Il recommande que des panels d’experts soient créés pour mesurer scientifiquement les dommages à la santé causés par les infrasons d’origine éolienne.

Pas d’étude objective

Qu’ils connaissent ou non le rapport Frey-Hadden, Susan Muir et ses collègues d’Éolienne Info invoquent les mêmes arguments, la santé mise en danger par le bruit, pour rejeter le projet de Stanbridge Station. « C’est trop près des gens et des habitations. Les basses fréquences causent des problèmes neurologiques divers. Il n’y a pas de place dans Brome-Missisquoi pour des éoliennes de cette puissance », nous a dit Susan Muir.

Bon. Entre le point de vue de Frey-Hadden et la vigoureuse dénégation de Leventhall, pas de juste milieu. Pire, pas la moindre petite étude épidémiologique. L’épidémiologie n’étudie plus seulement les épidémies. On a mis ses méthodes statistiques au travail pour mesurer l’incidence de tous les cancers, l’effet des nouveaux médicaments sur les patients, etc. Son arsenal mathématique et son extrême rigueur conviendraient parfaitement pour trancher définitivement la controverse. Frey-Hadden réclament clairement une telle étude.

N’empêche, on n’est pas dans la totale ignorance en ce qui concerne les éoliennes et les infrasons. Et d’abord, personne ne nie qu’elles en produisent. On sait que les nouveaux modèles en génèrent moins que ceux des années 1980, que les grosses pointures (du genre des géantes qu’on veut monter à Stanbridge) en font plus que les petites, qu’à cause de la stabilisation nocturne relative des flux de vent, il y a plus d’infrasons la nuit près des éoliennes (ça la fout mal, c’est justement là qu’on dort) et que les infrasons diminuent ou augmentent selon l’orientation des pales par rapport au mât.

Frey-Hadden fourmille d’anecdotes concernant des voisins d’éoliennes mécontents, d’Australie au Canada. Le malheur, c’est justement cela : début 2007, on n’a pas d’étude, que des anecdotes. La santé publique ne se décide pas en lisant le courrier des lecteurs. L’épidémiologie ne se fait pas dans des blogues. L’industrie éolienne a fait des tas de mesures d’infrasons pour montrer à plusieurs reprises que les infrasons émis respectent les normes acceptables. Ainsi, en 2005, la British Wind Energy Association a fait des tests sur plusieurs sites, et sa conclusion est que les normes sont respectées. Excellente réponse mais ce n’était pas la bonne question. Il fallait répondre si oui ou non les infrasons des éoliennes sont dangereux.

Manifestement, si les infrasons sont dangereux même sous le niveau des normes, il faut changer les normes. S’ils ne sont pas dangereux, pas de malheur. Le meunier n’aura qu’à se rendormir.

Les consultations se poursuivent.

À suivre…