Claude Neveu, de Bedford, et le céramiste Michel Vial, de Saint-Armand (photo : Sara Mills)
Décidément, sir John Johnson ne l’a pas eu facile ! Pendant sa vie il dut déménager en catastrophe de la colonie britannique de Nouvelle-Angleterre. C’est que sir John, baronnet de New- York, fut loyal au roi George III pendant la Guerre d’Indépendance américaine. Quand les troupes de sa majesté durent capituler, l’Indépendance fut déclarée formellement et les loyaux sujets de Sa Majesté, dont sir John, durent déguerpir.
Voilà donc sir John au Canada, où il va mener une vie très remplie et décéder à 88 ans, en 1830. On enterre alors le vieux chef loyaliste dans le caveau familial à Sainte-Brigide et on se dit que voilà que commence un repos éternel bien mérité.
Que non ! Plus d’un siècle plus tard, le caveau est jugé encombrant par l’agriculteur qui l’héberge sur sa terre. Il fait venir l’excavatrice et le démolit tout bonnement, ne laissant intacte que la partie enfouie où gisent alors les restes de sir John et de onze membres de sa famille. Plus de monument, plus de plaque commémorative, rien, l’oubli. Le caveau superbe n’existe plus et si on a réussi à récupérer la pierre tombale, elle fut déménagée bien loin du lieu d’inhumation où gît, anonyme, sir John.
Le remords et la réparation
Mais voyez ce que peut faire le remords ! L’opérateur de la funeste pépine, devenu bien des années plus tard maire de Saint- Brigide, apprend ce qu’était dans la vie celui dont il a troublé le repos éternel : grand chef loyaliste, surintendant général des Affaires indiennes au Canada, inspecteur général des Indiens, membre du Conseil législatif du Bas-Canada et l’un des Francs-Maçons les plus éminents du pays.
Étant maire, Jean-Paul Lasnier fait part de ses regrets à son secrétaire-trésorier, M. Claude Neveu. « Même s’il n’avait fait qu’obéir aux ordres de son patron de l’époque, il n’était pas fier de lui, se souvient M. Neveu. Il m’a montré l’endroit approximatif où avait été placé le caveau, dans le champ. On a fait venir de la machinerie et, tout doucement on a commencé à chercher. Et on a retrouvé, à moitié enfouies, les fondations du caveau détruit. »
Que faire ? « Renseignements pris, nous savions que toute fouille ne pouvait se faire que par des experts du ministère des Affaires culturelles. Fallait donc de l’argent. Nous avons mis à contribution les groupes associatifs de loyalistes, les Francs-maçons du Canada, divers paliers de gouvernement, etc. Au bout du compte, on a eu quelques dizaines de milliers de dollars, assez pour payer les fouilles archéologiques et un caveau neuf, réplique la plus proche possible de l’original. » Voilà donc les experts avec truelles et petites brosses qui déterrent et inventorient le contenu de la tombe. Il y a là les restes de douze personnes, qu’on remet à un ostéo-archéologue.
Claude Neveu se souvient : « Ce type-là, c’était Sherlock Holmes ! Il y a sur sa table d’examen, pêlemêle, tous ces ossements. Il saisit, dans le lot, un machin qui, à mes yeux, aurait tout aussi bien pu être un bout de bois jauni et annonce : “Ah, une tête de fémur ; homme ; taille, environ 1m 90 ; mort très âgé, à plus de 80 ans ; très arthritique.” On n’en revenait pas ! »
C’est que sir John mesurait au moins 1m 90, qu’il était décédé à 88 ans, très arthritique. Les chances que, sous son caveau, ce fémur soit à quelqu’un d’autre sont inexistantes. Le caveau avait disparu mais la famille reposait toujours à Saint-Brigide, à l’ombre du mont-Saint-Grégoire, connu de son vivant sous le nom de Mount Johnson.
Claude Neveu, de Bedford, et le céramiste Michel Vial, de Saint-Armand
Deux ossuaires
Il fallait donc inhumer à nouveau sir John et ses apparentés, à ce jour non clairement identifiés. Comme les règles interdisent de même toucher un lieu protégé par le ministère des Affaires culturelles, pas question de remettre ces
On a donc préparé un nouveau lieu d’inhumation, à quelques mètres de l’ancien. On a fait faire une quasi réplique du caveau et on a demandé à Michel Viala de la Poterie Pluriel Singulier de Saint-Armand de créer deux ossuaires, un pour sir John et le second voué aux autres personnes retrouvées.
Le 23 août dernier, on a inhumé à nouveau la famille Johnson, en présence de centaines de délégués des associations de loyalistes, de Francs-maçons canadiens, du représentant de l’évêque de l’Église d’Angleterre de Montréal et de la députée provinciale du comté. Sir John est à nouveau chez-lui, clairement et dignement identifié.
Requiescat in pace, pour vrai, cette fois-ci.