Il existe plus d’une centaine d’espèces d’érables dans le monde. On les retrouve principalement en Europe, en Asie de l’Est et en Amérique du Nord, du Mexique jusqu’à la forêt boréale. Au Canada, 10 espèces sont indigènes tandis que, au Québec, on en dénombre 6. Tous les érables donnent une sève sucrée au printemps, mais seulement l’érable à sucre et, dans une moindre mesure, l’érable rouge sont dignes de produire un sirop de qualité. Certains amateurs vont entailler l’érable argenté faute d’érable à sucre ou rouge ; ça donne un produit sucré qui n’est pas si mal, mais nullement comparable. Jusqu’ici, il y a peu de risque de confusion.
Deux espèces exotiques se sont naturalisées, soit l’érable à giguère (Acer negundo) originaire de l’Ouest du Canada qui s’apparente davantage à une mauvaise herbe qu’à un arbre et, surtout, l’érable de Norvège (Acer platanoides), principale source de confusion.
Introduit au XIXe siècle à des fins ornementales, cet arbre a été abondamment planté dans les villes à compter des années 1960 et 1970 en raison de sa grande tolérance à la pollution, notamment pour remplacer l’orme d’Amérique, alors décimé par la maladie de l’orme. Le cultivar ‘Crimson King’ est le plus représentatif avec ses feuilles pourpres qu’il conserve tout au long de l’année. De nombreux autres cultivars existent. À force de le planter, c’est devenu une espèce envahissante tant aux États-Unis qu’en Ontario où, par endroits, il a complètement supplanté la flore indigène du sous-bois. Certains états américains interdisent d’ailleurs sa plantation.
Très utilisé sur le sur le mont Royal et à ses abords, il est en train d’y supplanter l’érable à sucre. Lors d’un dénombrement réalisé par Jacques Brisson de l’université de Montréal, on a observé que, sur la montagne, le quart des érables de plus de 10 ans appartenaient à cette espèce. Pour les semis, c’est l’inverse : on en sème trois fois plus qu’on ne sème d’érables à sucre. Cela laisse supposer que, à l’avenir, si rien n’est fait, l’érable de Norvège pourrait devenir l’espèce dominante sur le mont Royal et possiblement dans tous les grands parcs naturels bordant les villes.
Heureusement, une maladie exotique pourrait changer la donne. Sans ennemis naturels, l’érable de Norvège a pu proliférer mais, au début des années 2000, le Rhytisma acerinum, un champignon arrivé d’Europe on ne sait comment, commence à s’y attaquer et menace désormais sa survie. Communément appelée « tache goudronneuse », cette maladie n’a que peu d’effet chez les adultes, mais est très néfaste à la survie des jeunes semis. Peut-être que l’érable à sucre pourra ainsi continuer à dominer sur le mont Royal !
Fausse représentation
Mais il n’y a pas seulement la forêt qui se fait envahir, la monnaie royale canadienne aussi. Commençons par la défunte « cenne noire ». On croirait y voir une feuille d’érable à sucre ! Eh bien non, la position des feuilles est alterne, comme pour le platane, plutôt qu’opposée, comme sur l’emblème du Canada. La feuille quant à elle serait celle de l’érable champêtre (Acer campestre), une espèce originaire d’Europe. Et pourtant, le sou noir, apparu en 1937, a été orné de trois monarques différents à son revers et aucun ne s’en est rendu compte.
Plus récemment, ce sont les billets de banque qui ont été envahis par Acer platanoides. Sur les nouveaux billets en polymère, à droite de la reine, c’est bien l’érable à sucre qui est représenté mais, à gauche, tout juste au-dessus du chiffre 20, c’est la feuille de l’érable de Norvège qui apparaît. La différence tient au nombre de lobes que comportent les feuilles de ces deux espèces. Trois pour l’érable à sucre, cinq pour l’érable de Norvège.
Autre erreur, le Fonds canadien de télévision (Ndlr aujourd’hui Fonds des médias du Canada) présentait, sur son logo, une disamare d’érable de Norvège. Pas besoin d’être botaniste pour percevoir la différence avec la disamare de l’érable à sucre ci-contre. En plus, celle du logo est aplatie, donc stérile. Très mauvais choix pour un fonds censé encourager la créativité.
Postes Canada ne fait pas exception. En 2003, la société publie cinq nouveaux timbres, d’une disamare d’érable de Norvège. Eh oui, pour la société des postes, la disamare de l’érable de Norvège est un symbole national. Sur son site, la société fait l’éloge de l’emblème canadien, qui remonterait au début des années 1700. On peut y lire que « ses couleurs vives inspirent la puissance et la force, et une samare d’érable superposée sur la feuille représente la renaissance au cours du cycle de la vie ». La société en rajoute en émettant du même coup les timbres à 1,40$ et à 0,80$, ornés cette fois-ci de la feuille de l’érable de Norvège, ses cinq lobes nettement définis.
La dernière confusion en la matière vient cette fois du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. Récemment, il publiait un rap- port sur l’avenir de l’acériculture. Sur la page couverture, on voit une demi-feuille d’érable accolée à une demi-fleur de lis. Il s’agit d’une feuille d’érable … argenté, celui-là même qu’on préfère ne pas entailler. On reconnait facilement la feuille d’érable argenté à son sinus très profond entre le lobe principal et les lobes latéraux. Est-ce un choix volontaire ou y-a-t-il eu confusion ?
Nota bene : Le journal ne fait pas exception, la feuille d’érable qui a servi à illustrer mon précédent article n’est pas de moi et est bien une feuille d’érable de … Norvège. On les excuse, personne de l’équipe ne prétendant s’y connaître en la matière.