Louis Robert
Depuis plus de 30 ans, l’agronome Louis Robert travaillait chez nous, en Montérégie-Est, pour le compte du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) à titre de spécialiste des sols et de conseiller en grandes cultures. Plusieurs agriculteurs d’ici le connaissent, notamment pour ses travaux dans le domaine des cultures intercalaires dans les champs de maïs et de la pratique des semis directs.
Ceux qui ont eu affaire à lui vous diront sans doute qu’il n’a rien d’un militant écologiste ou d’un dangereux écoterroriste. Le MAPAQ vient pourtant de le congédier pour avoir manqué à son devoir de loyauté envers son employeur en révélant aux médias une situation manifeste d’ingérence indue d’intérêts privés dans un centre de recherche sur les grains qui est principalement financé par des fonds publics. Il a d’abord alerté les autorités du MAPAQ puis, voyant que cela ne donnait pas de résultat, il a alerté un journaliste de Radio-Canada et un autre du journal Le Devoir.
Retour à l’essentiel
Dès lors, l’attention de tout le monde se porte sur le comportement du messager et celui des autorités : l’agronome aurait-il mieux fait de se taire ? Aurait-il dû éviter de s’avancer à visière levée comme il l’a fait ? Les autorités ont-elles pris au sérieux ses dénonciations ? A-t-on pris les mesures qui s’imposaient pour régler le problème ?
Malheureusement, ces questions restent sans réponse parce que l’attention se porte sur l’étonnante sanction de congédiement, qui semble pour le moins disproportionnée et sur les déclarations successives du ministre du MAPAQ, André Lamontagne, qui ont pour effet (que cela soit intentionnel ou non) de détourner l’attention du véritable problème, soit la raison de la dénonciation, la situation que l’agronome estimait nécessaire de mettre au jour il y a plus d’un an.
Ne perdons pas de vue l’essentiel : le lanceur d’alerte a été congédié, mais rien n’indique que les problèmes qu’il dénonçait aient fait l’objet d’une enquête digne de ce nom, que les responsables aient été identifiés ou sanctionnés au besoin. En fait, la principale personne visée par les révélations de l’agronome est toujours en poste.
Que dénonçait l’agronome ?
Louis Robert trouvait inacceptables les agissements de monsieur Christian Overbeek, président du conseil d’administration du CÉROM, un centre de recherche sur les grandes cultures de grains, comme le maïs et le soya. Monsieur Overbeek, qui est également président de l’association des producteurs de grains du Québec, est connu pour s’être radicalement opposé à l’interdiction ou à un contrôle accru des pesticides néonicotinoïdes, que la science reconnaît pourtant comme néfastes pour les abeilles et d’autres insectes polinisateurs.
Ce qu’a dénoncé monsieur Robert, c’est que Christian Overbeek s’employait à écrire et à faire paraître des articles dans les médias dans lesquels il mettait en doute les résultats scientifiques incriminant cette classe de pesticides. Je le sais pertinemment puisqu’il a soumis, à quelques reprises, de tels articles au journal Le Saint-Armand. Ayant une certaine expérience comme journaliste scientifique, j’ai compris assez rapidement que ces articles étaient biaisés. Cela se passait alors que, dans le monde entier, la communauté scientifique publiait des résultats indiquant que les néonicotinoïdes étaient bel et bien responsables de graves dommages causés aux populations d’abeilles.
Mais j’ignorais à l’époque que Christian Overbeek était également président du CÉRUM. Ça, c’est Louis Robert qui nous l’a appris le 5 mars 2018. Il a également révélé le fait que, sur un effectif de 35 employés du CÉRUM, une quinzaine, dont sept chercheurs, avaient démissionné depuis 2016 et que cette vague de départs de chercheurs s’était accélérée à compter de mai 2017. L’agronome faisait alors état de tentatives d’intimidation, par la direction du centre, à l’encontre des chercheurs et de l’« ingérence de quelques membres du CA, notamment de son président, dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche ». La direction et son CA auraient tenté de décourager les chercheurs de publier leurs résultats dans des articles scientifiques, résultats qui incriminaient les pesticides néonicotinoïdes.
Rappelons que le CÉROM est un organisme à but non lucratif voué à la recherche dans le domaine des grandes cultures de grains. Une partie de son mandat consiste à « réduire l’utilisation des pesticides qui nuisent à l’environnement ». Son budget annuel d’environ 2 millions de dollars est financé par le gouvernement du Québec (60 à 70 %), par le gouvernement du Canada (20 à 30 %) et par l’industrie privée (moins de 10 %).
Le MAPAQ n’a pas le droit de vote au conseil d’administration du centre de recherche, qui est composé de trois représentants de l’Association des Producteurs de Grains du Québec, deux représentants de la COOP fédérée (plus important fournisseur de semences et de pesticides au Québec), un représentant de la compagnie Synagri (qui vend pesticides, semences et engrais), une productrice de grains indépendante et une conseillère en gestion.
Des questions pressantes se posent
Indépendamment de la décision qui sera prise quant au congédiement de l’agronome, sans égard au maintien en poste du ministre ou à son remplacement, il nous semble essentiel de poser deux ou trois questions au gouvernement Legault :
- Qu’entendez-vous faire pour corriger le problème manifeste dénoncé par monsieur Robert ?
- Trouvez-vous normal que des fonds publics destinés à la recherche pour le bien commun soient administrés exclusivement par des personnes ayant des intérêts pécuniaires manifestement en contradiction avec le bien commun ?
- Pensez-vous toujours, monsieur le premier ministre, que les sonneurs d’alerte devraient s’adresser à leurs supérieurs et ne jamais parler aux journalistes, comme vous l’avez déclaré au début de février ?
On peut envisager diverses solutions, comme celles que soient présentées des excuses publiques à l’agronome, de remplacer le ministre de l’agriculture actuel, de réintégrer le chercher dans ses fonctions ou de lui verser une solide indemnité, mais ces gestes ne changeront rien à l’affaire. Il importe de casser la mauvaise habitude qui consiste à laisser, coûte que coûte, des intérêts privés primer sur l’intérêt public !