Nathalia avec une nomade en République centrafricaine, en 2009
Elle tient cette chronique depuis quatre ans. Cette fois-ci, c’est à son tour de passer de l’autre côté de la caméra car, comme immigrante d’ici, Nathalia Guerrero Velez ne le cède à personne. Arrivée jeune adulte en sol canadien, cette Colombienne d’origine vit au Québec depuis bientôt vingt ans, quand elle n’est pas, bien sûr, en mission dans quelque coin reculé de la planète. Aujourd’hui directrice du CAB de Cowansville, elle a été journaliste dans une autre vie, pour ensuite tomber littéralement dans l’humanitaire. Ce fut immédiat, fulgurant et impérieux. Plus jamais, elle ne chercherait ailleurs. Elle avait trouvé une profonde stabilité dans ce qu’il y a peut-être de plus instable dans ce monde.
Née à Bogota, en Colombie, elle a grandi à Medellin, ville rendue tristement célèbre par les bons soins de Pablo Escobar, cofondateur et chef du cartel du même nom. Brillante étudiante en communication et en journalisme scientifique, elle obtient une bourse pour compléter sa maîtrise à la Florida International University de Miami, d’où elle sortira première de classe.
Son diplôme en poche, elle travaille pour un journal de Miami jusqu’au moment où son permis de séjour expire. Elle décide alors de rentrer en Colombie, mais son père le lui déconseille fortement, le pays traversant une période de violence sans précédent et les journalistes y étant particulièrement à risque.
Il lui faut absolument trouver un autre pays d’accueil. Comme son frère y vit, le Canada s’avère la destination la plus probable. C’est en tant que réfugiée qu’elle y est finalement accueillie et acceptée, compte tenu du climat politique instable qui règne en Colombie.
À travers les petits boulots qu’elle faits à droite et à gauche pour survivre, elle trouve le temps de se porter bénévole pour la Croix-Rouge. C’est au sein de cet organisme qu’elle prendra conscience du puissant attrait qu’exerce sur elle le travail humanitaire et c’est par lui qu’elle se fera embaucher officiellement quand ses pas la conduiront finalement au Québec. En 2005, elle s’envole donc vers une première mission en Indonésie afin de participer à la reconstruction de ce pays ravagé par le tsunami de 2004.
Dès lors, les missions s’enchaineront en un mouvement incessant. Mali, Madagascar, Togo et Mozambique. Puis, avec, Nicolas, son compagnon québécois, Tchad, République centrafricaine, Éthiopie, République démocratique du Congo, Haïti, Afrique du Sud, Bolivie, cette fois sous la bannière de Médecins sans frontières. Entre deux voyages, ils décideront de concevoir un enfant, puis peu de temps après, un second. Ils se rendront finalement en Colombie où ils resteront deux ans. Nathalia souhaiterait y rester afin que son garçon et sa fille grandissent dans la culture qui l’a vue naître, mais d’autres impératifs les obligent à rentrer au pays. Retour donc en 2019 en sol québécois.
Le communautaire étant dans leur ADN, Nathalia a fini par décrocher le poste de directrice du Centre d’action bénévole de Cowansville tandis que, de son côté, Nicolas fondera La halte du coin, un centre d’hébergement pour les personnes en situation d’itinérance installé dans une ancienne église de Longueuil. Quant aux enfants, ils se sont bien adaptés à la culture québécoise et semblent apprécier la relative stabilité qui, peut-être, leur permet d’établir des liens plus profonds avec leurs pairs.
Nathalia se dit heureuse ici, mais quelque chose dans l’à-moitié exprimé donne à penser qu’elle reprendra un jour son bâton de pèlerine pour retourner, notamment, en Afrique, ce continent qu’elle porte tout particulièrement dans son cœur et où, me confie-t-elle, « tu peux mourir d’une infection dentaire, mais où tout semble plus vrai, plus réel ». Cette vaste Afrique, tellement multiple et diversifiée, tellement désarmante et déstabilisante, où elle a vécu certains des moments les plus exaltants de son existence, installée tour à tour dans les villages que « nous visitions dans le cadre des campagnes de vaccination et où nous vivions comme les gens de la place. Nous mangions comme eux, dormions à la belle étoile, simplement protégés des insectes par des toiles moustiquaires, nous apprenions à les connaître, et c’était tellement beau ! »
Elle a tout de même préféré accoucher de ses deux enfants au Québec, la sécurité n’ayant pas de prix à ses yeux. Quelle étrange dichotomie entre, d’un côté, le beau, le réel, et l’autre, le sûr, le rassurant, dichotomie qu’on entend exprimée par pratiquement tous ceux et celles qui ont vécu un certain temps en Afrique et qui semble résulter d’une certaine fracture dans notre humanité.