Annonce
Annonce

Monsieur Gérard Schwartz

Éric Madsen

Gérard Schwartz à New York  (Photo : Cynthia Springer)

Gérard Schwartz est né le 3 février 1932, à Nancy en France. Aujourd’hui âgé de soixante-quatorze ans, il me reçoit avec plaisir dans son confortable salon, pour partager avec vous un peu de son histoire.

Fils unique de parents « modestes », c’est dans une Europe en crise qu’il a grandi, en Alsace-Lorraine, région longtemps convoitée par les Allemands, reprise par les Français, et théâtre de nombreux conflits armés. Les ancêtres de Gérard ont été tantôt Allemands, tantôt Français. Son père, postier de métier, lui aussi happé par la déferlante des absurdités guerrières de l’homme, sera envoyé en Pologne durant la première Grande Guerre. Élevé par une mère « pas trop maternelle », handicapée des genoux, Gérard apprend très vite à se débrouiller seul. Si bien qu’à neuf ou  dix ans, il se voit faire de nombreuses fois la file pour quelques kilos de rutabagas.

Adolescent, il est trimbalé de camps de vacances en pensions et en ateliers de travail, dans cette Europe déchirée par la guerre. Curieusement, c’est volontairement qu’à l’âge de dix-huit ans, il s’enrôle dans l’Armée française. On l’envoie faire un séjour d’instruction au Maroc, et il se retrouve au volant d’un camion convoyant les troupes dans le désert. Après une année d’entraînement, il est envoyé en Indochine (aujourd’hui le Vietnam) pour se joindre au contingent outremer. La France perdra cette guerre, ce qui amorcera le processus de la décolonisation de la plupart des possessions françaises dans le monde. Transporté par bateau, le soldat file vers un conflit pas très joli de l’histoire de l’Hexagone. À vingt-quatre ans, Gérard quitte définitivement l’armée et s’installe à Paris. C’est durant cette période qu’il apprend son nouveau métier, celui de tailleur de vêtements pour dames. Deux ans plus tard, c’est en lisant un journal québécois qu’il décide, comme plusieurs compatriotes, d’immigrer vers l’Amérique. Le Canada français était tout désigné. En 1958, pour bon nombre, l’avenir n’était plus en Europe.

Gérard a une mémoire phénoménale des dates, « ainsi que des numéros de téléphone », s’empresse-t-il d’ajouter. Ainsi, il se rappelle parfaitement bien le 4 août 1971, alors qu’avec son copain ils partent pour une balade qui dure vingt-deux mois en « camper », en route vers la côte Ouest. Vancouver, la Californie, l’Arizona, le Mexique, la grande boucle américaine via la Floride. De retour à Montréal, ils repartent pour l’Europe, bourlinguant durant six autres mois. Ils reviennent le27 avril 1972. Gérard aura visité jusqu’à maintenant, en tout ou en partie, dix-sept pays. Parfaitement bilingue, il se débrouille assez bien en allemand, en arabe, et en espagnol, renchérit-il. Le séjour marocain dans sa jeunesse aura créé chez lui le besoin de soleil, de plages, c’est pourquoi, au cours des dix-huit dernières années, il s’est expatrié pour de longs mois à Essaouira, ville de lumière sur la côte atlantique marocaine.

Peintre de formation ayant étudié dans une académie de Paris, fréquenté la New-York Visual Art School et suivi des cours du soir à l’université Concordia à Montréal, Gérard dit « adorer la peinture depuis que je suis tout jeune ». Dans son œuvre prédominent les scènes extérieures croquées dans la région, ainsi qu’au Maghreb. Il participe depuis sept ans déjà au Festiv’Art de Frelighsburg, entre autres. C’est un ami qui l’initie à la sculpture animalière, art qu’il a pratiqué de 1981 à 2000. Après des débuts modestes, dans la poussière de son atelier, évitant les pièges de la pâle copie de l’art inuit, de lucratifs contrats entrent enfin. Comme en 1985, lors d’une commande de mille six cents pièces pour une convention nationale de géomètres. Donnant du travail à deux employées, il estime avoir façonné plus de soixante mille pièces. C’est pour des raisons de santé qu’il cessa de produire. Mais il peint encore, « cela soulève moins de poussière » souligne-t-il.

Gérard s’est construit une maison sur le chemin Pelletier sud en 1973. « Je cherchais un endroit pour pique-niquer », s’amuse-t-il à dire. Avec des matériaux récupérés et recyclés d’une vieille maison juste à côté de chez lui au Vermont, son rêve de déjeuner sur l’herbe se réalise. En 1981, il perdit de peu une élection au poste de conseiller à la mairie de Saint-Armand. Aujourd’hui, à cause d’une santé fragile, en rémission d’un cancer depuis quatre ans, il se repose en dévorant quantité de livres sur l’histoire, sur l’art, sur la politique, et ses favoris, les biographies.

Depuis cinq ans, Gérard et son copain Tony (chef cuisinier) tiennent une table d’hôte. « Pour nous tenir occupés quand même un peu », dit-il. Un menu pour deux à huit personnes y est offert, du canard en passant par l’agneau ou la pintade. Les repas comprennent cinq services ; vous apportez votre vin, et Gérard s’occupe du reste. Il faut bien sûr téléphoner à l’avance pour une réservation.

Sa « petite routine », comme dit Gérard, est d’occuper son esprit à son bureau et ses bras aux fourneaux. Entre deux coups de torchon, il prend le temps d’admirer les paysages qui l’ont tant inspiré et s’adonne un peu à l’écriture. La forêt est pour lui une grande source de contemplation lorsqu’il fait de nombreuses marches derrière chez lui. C’est sans doute pour cela que durant notre entretien, il me parla plusieurs fois de la beauté du coin, de l’importance selon lui de prendre soin et d’entretenir les boisés et d’éliminer le plus possible toute cette pollution visuelle qui nous entoure, ces vieilles bagnoles, ces tas de bric-à-brac, amas de matériaux divers. Il a bien raison : « Nous devrions tous faire un effort ». Ce qui lui plaît le plus à Saint-Armand, c’est la tranquillité, mais d’ajouter sans hésiter : « Les gens avant tout ». Le monde ici sont « des gens qui savent recevoir, à qui on peut faire confiance ». Et il ajoute : « Il faut supporter le fermier… car, que serait la campagne sans agriculteurs ? Regardez ce qu’est devenu Saint-Sauveur, est-ce cela que nous voulons ? » Bonne question.

Dans sa boule de cristal, il y voit un avenir ici, « aux générations futures d’y voir »… et dans ses rêves les plus fous, il se voit franchir les portes de l’église, transformée en un centre multidisciplinaire dédié à l’art sous toute ses formes. Chant, musique, concert, exposition, tout pour élever l’âme… d’une autre façon.

Merci Gérard pour cette trop courte rencontre, prenez soin de vous, et à la prochaine.

Renseignement pour la table d’hôte : (450) 248-3832