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- Exodus -

Mario Tremblay

Mario Tremblay

Photo : Lindsay Glover

Il arrive souvent aux jeunes de vouloir s’exiler de leur campagne pour aller vivre dans la grande ville. Surtout ceux qui sont différents et qui se cherchent parmi une population bien souvent trop homogène. La réalité, c’est qu’en sortant de la petite campagne, on s’enfonce dans la jungle urbaine, où l’on est soumis à divers stimulus physiques et psychologiques et où chacun doit apprendre à contourner les obstacles par soi-même.

Je crois que le meilleur moyen de réussir dans cette jungle est d’avoir été élevé par une famille honnête, peu importe la ville, le village ou la paroisse d’où l’on vient. Pour ma part, avoir été élevé dans une paroisse comme Saint-Armand, une paroisse en pleine nature, très fière et en même temps très modeste, c’est avoir été imprégné d’une sensibilité au monde qui m’entoure. On remarque des « choses »  que les autres ne remarquent pas.

Malgré des études en commerce de la mode, sans doute le monde le plus superficiel qui soit, on dirait que la nature demeure ancrée en moi. Elle influence mes choix avec une telle subtilité que je les prends pour le fruit du hasard. Me voilà présentement à travailler au Conseil canadien de la fourrure, où je dois défendre les intérêts de gens travaillant près de la terre et d’artisans pratiquant ce métier de génération en génération. Des gens qui, curieusement, ont été élevés un peu comme moi.

Extraits de lettres reçues au Conseil : « C’est inhumain d’utiliser la fourrure des animaux de nos jours (…) Vous n’avez aucun respect pour la nature (…) De quel droit tuez-vous les animaux pour vos propres intérêts ? (…) Vous ne méritez que d’être pendu à une corde… »

Quand j’ai commencé au sein du Conseil, ces mots étaient pour moi dénués de sens. Il m’apparaissait incroyable que des lettres haineuses puissent être écrites à cause de l’utilisation de la fourrure. J’ai compris que ces mots sont écrits la plupart du temps par des gens ayant vécu en ville, qui n’ont pas eu la chance d’avoir un contact direct avec la nature. Quand on connaît la nature, on peut comprendre que les animaux sont une ressource naturelle et renouvelable. On conçoit aisément que l’utilisation des animaux, que ce soit pour la viande, le lait, le cuir ou la fourrure, n’est pas fait de manière irrespectueuse, bien au contraire. Il s’agit simplement du cycle de la vie, dont les hommes font eux aussi partie, au même titre que les animaux et les plantes.

Mon patron n’en revenait pas. Il devait habituellement expliquer et parfois même convaincre ses nouveaux employés des bonnes raisons d’utiliser la fourrure. Cet homme de 58 ans, écrivain et journaliste, a travaillé toute sa vie dans l’industrie de la fourrure. Sa copine a deux enfants. L’été passé, ils ont décidé d’envoyer le fils de celle-ci passer une semaine à notre ferme familiale.

Ils trouvaient que, trop concentré sur les jeux vidéos et son cellulaire, il manquait de respect envers la vie, que la vie en dehors de la ville lui ferait du bien. En allant le chercher une semaine plus tard, ils sont « tombés sous le choc » en voyant la beauté de l’endroit où j’ai vécu mon enfance. Depuis ce temps, quand un collègue de bureau se lamente de l’arrivée de la neige, il leur répond qu’il devrait aller vivre sur notre ferme à Saint-Armand. Il n’ajoute rien. Pas besoin de plus de commentaires.

C’est alors que je ressens une fierté que je n’avais jamais ressentie auparavant. J’ai compris que si je n’avais jamais quitté la campagne, je n’aurais pas pu comprendre ce que grandir dans un endroit comme Saint-Armand a pu m’apporter. Je sais aussi que, si pour l’instant ma vie est en ville, je compte bien dans un avenir proche revenir à mes sources.