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- Chronique botanique d'Armandie -

L’orme de Thomas de Saint-Armand

Charles Lussier

Grand orme liège de 20 mètres avec ses branches inférieures réclinées, au nord du cœur villageois de Saint-Armand. Photo : Charles Lussier

Les butons calcaires entre le cœur villageois de Saint-Armand et la baie Missisquoi constituent l’habitat de nombreuses plantes rares. Ce substrat dolomitique, calcaire et rocailleux explique la présence de l’orme liège aussi nommé « orme de Thomas » ou « orme à grappes ». Il existe dix espèces d’ormes en Amérique du Nord dont trois sont indigènes au Québec : le grand orme d’Amérique ou orme blanc (Ulmus americana Linnaeus) qui, à 35 mètres de hauteur, domine, l’orme rouge (Ulmus rubra Mühl.) et l’orme liège (Ulmus Thomasii Sargent). Les Américains le nomment rock elm ou cork elm.  En langue abenakie, l’orme c’est le a ni bi.

L’orme liège a un port à cime cylindrique, légèrement ovale comme les frênes, plutôt qu’un port étalé en parasol comme ses deux cousins. Au Québec, il atteint rarement les 25 mètres de hauteur ; son diamètre, à hauteur de poitrine, est de 50 à 60 cm. Ses branches principales sont relativement courtes, à crêtes liégeuses, souvent noires, les inférieures réclinées ou légèrement horizontales. Ses rameaux sont courts, tordus, noirs ou gris foncé, s’apparentant ainsi à certaines variantes liégeuses du chêne à gros fruits. D’où le nom anglais de cork elm. Son écorce est gris foncé, crevassée, à larges crêtes entrecroisées, davantage que les deux autres ormes.

Les feuilles sont alternes, doublement dentées, symétriques ou presque. Elles sont coriaces, le dessus est vert foncé et lisse, le dessous plus pâle et légèrement pubescent. De leur côté, l’orme rouge et le blanc ont des feuilles plus asymétriques, souvent plus rugueuses et pubescentes. L’orme de Thomas est le seul ayant des fleurs en racèmes  (en grappes) qui sortent du début mai à la mi-mai. Ses fruits sont des samares elliptiques ou ovales, ses graines enflées ressemblent à celles du tournesol. L’arbre préfère les sols rocailleux, minces, calcaires. On le trouve sur les buttes, les crêtes, en limites de champs, d’où sa présence dans la zone ouest du village de Saint-Armand.

Le nom d’orme de Thomas est associé à David Thomas (1776-1859) un ingénieur civil américain devenu fermier, botaniste et pomologue dans l’État de New York. C’est lui qui a observé et communiqué ces caractéristiques physiologiques.

Rareté

L’aire de répartition de l’orme de Thomas se trouve dans les États américains au sud des Grands Lacs et de la vallée supérieure du Mississipi. En périphérie nord de son aire, soit dans le sud du Québec, au Vermont et dans l’État de New York, il est en déclin. Il est considéré comme rare dans 11 des 22 États américains où il est présent. Le sud-ouest du Québec correspond à l’extrémité nord-est de cette aire avec des colonies présentes dans la vallée élargie de l’Outaouais, dans la région de Montréal, en Montérégie et jusqu’à Joliette. Selon le système de classement du Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CPDNQ), il a le statut d’espèce menacée de rang 2.

Au Québec, le nombre de colonies est estimé à une centaine. Cinquante-cinq d’entre elles sont considérées comme historiques, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas été vues depuis au moins 20 ans, et 32 comptent moins de 100 tiges. Plusieurs, dont les trois colonies de Saint-Armand, ont entre 3 et 15 tiges, pour un total de 20. La plus grande colonie se trouve dans la région de Joliette avec plus de 1800 tiges. Dans tout le Québec, on en compote au moins 2500. Il serait d’ailleurs souhaitable de dresser à court terme un nouvel état de la situation de cette espèce dans la province.

L’espèce est très vulnérable aux deux champignons causant la maladie hollandaise, observée pour la première fois à Saint-Ours en 1944. De plus, la régénération naturelle est fragile en raison du faible taux de germination des semences, qui sont sensibles au gel printanier tardif ou à la sécheresse. Par contre, à la suite d’une coupe, l’orme liège réagit par drageonnage et par la production de rejets de souches.

Le bois

Rameau liégeux d’un jeune arbre dans une forêt de Saint-Armand.

 Au 19e siècle, le bois de cet arbre était très prisé car il est à la fois le plus dur, le plus résistant, le plus lourd et le plus souple des trois espèces d’orme. D’environ 0,75 g/cm3, sa densité surpasse celles de l’érable à sucre (0,63 g/cm3) et du chêne blanc (0,68 g/cm3). Cependant, les menuisiers et les marchands de bois que j’ai interviewés ne le connaissent plus car il a pratiquement disparu.

Il a été utilisé en construction navale et dans la fabrication de moyeux de roues, de châssis de pianos, de meubles et, bien sûr, de bâtons de hockey. Il était également employé par les industries qui fabriquaient des manches d’outils agricoles. De 1860 à 1910, dans la région de Bedford, plusieurs billes ont dû être envoyées à l’usine Rixford Mfg. Co., devenue la Bedford Mfg. Co., qui fabriquait des instruments de jardinage munis de manches de bois. Les frères Lambkin de Stanbridge East ont sûrement utilisé son bois pour la fabrication de leurs superbes meubles. La Missisquoi Carriage Factory* de Philipsburg a peut-être récolté plusieurs billes sur les dallages de marbres à proximité pour la production des moyeux de roues de ses voitures à chevaux vendues à travers le monde.

La situation des trois petites colonies d’orme de Thomas de Saint-Armand est préoccupante, comme c’est le cas dans l’ensemble du Québec. Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) garde l’œil sur les plantations réalisées au cours des vingt dernières années afin de compenser les coupes effectuées, par exemple, lors de la construction de l’autoroute 25 ou à l’occasion d’un développement immobilier. Les pépinières du Québec ne le produisent pas, en raison de la rareté de ses semences. Présentement, il n’existe pas de programme de rétablissement officiel. Des projets visant à augmenter les effectifs actuels seraient identifiés comme prioritaires.

Pourquoi pas un projet collectif dont le but serait d’obtenir quelques jeunes arbres selon les exigences du MELCC** et de les planter, par exemple, sur un terrain public à Saint-Armand, de même qu’à l’arboretum de l’École-o-village de Frelighsburg ? En effet, il importe de préserver et de faire connaître cet arbre patrimonial local de premier ordre. Les propriétaires dont les terres en abritent sont les gardiens d’un véritable joyau arboricole. On peut aussi contribuer à sa préservation en signalant la présence éventuelle dans la région d’un ou de quelques spécimens.

* Voir à ce sujet notre article paru en août-septembre 2008 : https://journalstarmand.com/la-missisquoi-carriage-factory/)

** La multiplication des espèces menacées tombe sous le coup de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables et est donc soumise à une réglementation stricte.

Référence bibliographique :

Sabourin, A. et Dignard N. 2006. La situation de l’orme liège (Ulmus Thomasii Sargent) au Québec. Direction de la recherche forestière, ministère des Ressources naturelles et de la Faune, rapport préparé pour le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec, ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, 35 p.

On peut consulter cet ouvrage à cette adresse :

https://mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Dignard-Norman/Rap-situation-orme-liege.pdf

Mes remerciements à

Jacques Labrecque, Line Couillard du CPDNQ, MELCC, Frédéric Coursol du Jardin botanique de Montréal, Bernard Contré, John Davis, Dany Dubé, Raphaël Filiatrault de Langevin Forest, Frédéric Chouinard, de l’OBVBM.

 

Légendes

 

Rameau liégeux d’un jeune arbre dans une forêt de Saint-Armand.

 

Grand orme liège de 20 mètres avec ses branches inférieures réclinées, au nord du cœur villageois de Saint-Armand.

 

Photos Charles Lussier