Elle n’a cessé de lire depuis ce jour où, enfant, elle a réussi à déchiffrer les quelques mots d’une courte phrase dans son manuel scolaire. Ce fut de tout temps une lectrice avide. Malgré les sept enfants qu’il a fallu nourrir, habiller, éduquer, consoler, soigner. Malgré le ménage, le lavage, le repassage, le reprisage, l’époussetage, le récurage et, bien sûr, la vaisselle. Toujours, sur sa table de chevet, un bouquin. Des romans à l’eau de rose (beaucoup), de grandes sagas russes (une ou deux), des biographies (à l’occasion), des romans historiques (si possible), mais toujours un livre.
Puis, la dégénérescence maculaire se déclare, prévisible mais ignorée tant qu’il se peut. Elle s’installe petit à petit, faisant comme un grand vide au centre de la rétine. Dans un œil, puis dans l’autre. Deux yeux grands ouverts qui n’y voient plus guère. Lunettes à l’ordonnance renouvelée jusqu’à plus possible – on n’a pas plus fort, madame – lampe-loupe à la puissance décuplée, télévisionneuse, injections aux deux mois, rien n’y fait, sa vue ne cesse de se voiler, son champ visuel la trahit, des lettres lui échappent, il ne reste de « bouquet » que le b, le q et le t. Ça ne fait pas un mot, ça ne fait qu’une succession de signes insensés.
Parallèlement, son corps se fatigue, l’arthrose lui gruge les articulations, la sténose imprime sur son visage un masque permanent de douleur. Elle est sous forte médication, ne peut plus guère se déplacer, ne peut plus danser, elle qui excellait au tango, ne peut même plus effectuer les mouvements, pourtant si faciles, du yoga en position assise qu’on enseigne à la résidence. Elle a aussi dû renoncer au bridge, de crainte que ses partenaires au jeu ne lui reprochent de mauvaises décisions dues à sa vue défaillante.
Plus de danse, plus de bridge, plus de lecture… Reste quoi alors quand la télé n’est pas non plus une solution ?
Quelqu’un lui suggère alors de s’abonner au SQLA, en long le Service québécois du livre adapté, qui ouvre toutes grandes les portes d’une bibliothèque audiométrique aux personnes malvoyantes. C’est Balzac au bout des doigts, quoique plus vraisemblablement Daphne du Maurier ou Somerset Maugham Elle refuse, prétextant qu’un livre, ça se hume, ça se tient à deux mains et ça se lit avec les yeux, pas avec les oreilles. C’est ce qu’elle a fait toute sa vie, elle ne va pas en changer, maintenant qu’elle arrive en fin de parcours. Mais on insiste, disant que ça ne coûte rien d’essayer, que ça l’aidera sûrement à meubler ces petits temps morts qui se multiplient à mesure que s’atténuent ses capacités visuelles. Elle finit par accepter.
C’était il y a cinq ans. Quelques centaines de livres audio plus tard, elle affirme que, parmi tous ses médicaments – et la liste est longue – le plus efficace, c’est le SQLA. Non, elle ne dit pas le SQLA, elle dit « mes livres », « mes livres sont mon meilleur médicament ». Elle nie catégoriquement avoir refusé au départ de s’abonner à ce programme, tellement il est désormais inscrit dans ses fibres… Mais bon, on ne va pas lui reprocher cette légère entorse à la vérité alors qu’elle a retrouvé la joie de « lire ». Pour peu, on croirait que « ses » livres prolongent son existence, comme semblent en témoigner ses 96 ans bien sonnés.
Le service québécois du livre adapté est offert par la Grande bibliothèque à tous les Québécois ayant une déficience perceptuelle et ce, gratuitement. Il s’agit essentiellement de livres enregistrés, en braille ou à gros caractères. Les personnes répondant aux critères d’admissibilité du programme des aides visuelles de la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) peuvent également emprunter sans frais l’appareil nécessaire à l’écoute des livres enregistrés. En outre, le service de livraison et de cueillette des livres audio et en braille au domicile de l’abonné est assuré gratuitement par Postes Canada.
Les personnes désirant s’abonner au SQLA doivent d’abord remplir le formulaire prévu à cette fin et y joindre obligatoirement une attestation de la déficience perceptuelle par une autorité professionnelle pertinente. Ce formulaire est disponible à la Grande Bibliothèque, dans les bibliothèques publiques, dans les centres de réadaptation du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et, sur demande, par téléphone. À noter toutefois, que l’inscription ne peut se faire en ligne. Il faut, dans tous les cas, imprimer le formulaire, le signer et le retourner, accompagné de l’attestation médicale, à l’adresse suivante :
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Service québécois du livre adapté,
475, boulevard De Maisonneuve Est
Montréal (Québec)
H2L 5C4
Pour tout renseignement, n’hésitez surtout pas à communiquer avec le service au 514 873-4454 (région de Montréal) ou au 1 866 410-0844 (ailleurs au Québec). Le personnel y est particulièrement serviable et vous aidera, le cas échéant, à établir votre profil de lecteur ou de lectrice.