Après l’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo, le premier choc passé, je me suis mise à penser, toutes proportions gardées, à notre petit journal communautaire, et au problème de l’autocensure. En tant que cofondatrice et première coordonnatrice du Saint-Armand, je me suis remémorée nos débuts. Je me souviens que, dès la première réunion de production, la question s’est posée : serions-nous un journal de combat, engagé, militant ou un simple organe d’information ? À l’assemblée publique qui devait entraîner plus tard la création du journal, la population s’était plainte de manquer d’information. Voilà pourquoi nous avons opté majoritairement pour un journal d’information pure et simple. Nous préférant plus engagés, deux collaborateurs nous ont quittés.
En tant que journalistes néophytes, nous n’étions pourtant pas au bout de nos peines. Très vite, il nous a fallu nous poser les questions suivantes : Qu’entend-on par « information » ? Quelle est la différence entre « idées » et « opinions » ? Informer la population, était-ce lui communiquer la date des réunions du conseil municipal, le programme des différentes activités, dresser le portrait d’habitants de Saint-Armand, de Philipsburg ou de Pigeon Hill, ce genre de choses ? Étaitce cela « informer les gens » ? Je me souviens d’avoir été chargée de faire le compte rendu d’une réunion, qui s’est révélée assez houleuse, concernant l’état des cours d’eau et du lac. Devais-je exactement rapporter les propos entendus, même si plusieurs auraient pu être blessants pour les agriculteurs ? Toute vérité estelle bonne à dire, surtout dans une communauté tissée serrée où tout le monde se connaît ? Devant certaines informations, la question se posait : ces informations sont-elles d’intérêt public ? Même si la réponse était oui, nous pensions aux conséquences possibles de leur publication.
Très rapidement, nous sommes tombés dans l’autocensure. Je me souviens également d’une bande dessinée par Siris pour Le Saint-Armand, caricaturant une réunion du conseil, que nous n’avons pas hésité à publier. Elle en a fait rire certains, en a choqué d’autres. Le but d’une caricature, est-ce de provoquer ? De faire rire ? De réveiller les consciences ? D’après le dictionnaire (Antidote), une caricature est un « dessin satirique qui procède notamment par la déformation, l’exagération de certains aspects significatifs ». Satire : « s’attaquer aux vices de la société en les ridiculisant ». Qu’entend-on par « aspects significatifs » ? Significatifs pour qui ? Les caricatures qui ont servi de prétexte aux attentats du 7 janvier ridiculisaient-elles des aspects significatifs (représentations du Prophète) symbolisant, pour ces futurs assassins, identité et valeurs non reconnues ? Pourquoi, dans un pays démocratique qui garantit le droit d’expression, la protection physique et juridique, avons-nous préféré nous bâillonner volontairement devant des événements qui auraient mérité une couverture plus poussée ? À une époque de relativisme triomphant, où la frontière entre vérité et mensonge devient de plus en plus floue, une autre question se pose : la vérité ? Quelle vérité ?