Édouard René Demers 1817 – 1886
Introduction
La vie d’Édouard René Demers s’est déroulée au 19e siècle, à l’époque des grandes réformes municipales, scolaires, parlementaires et constitutionnelles. Véritable pionnier, il sera au cœur de tous ces changements et deviendra un membre important du Parti Rouge. Opposé à la confédération des provinces, c’était aussi un partisan du retour à un Bas-Canada indépendant. Il a lutté contre l’imposition de la dîme et fut un supporteur actif de l’abolition de la tenure seigneuriale. Victime des luttes intestines au sein de son propre parti, il ne réussit pas à se faire élire comme député. De plus, il assista au démembrement d’Henryville et finit par quitter cette municipalité pour s’installer à Bedford.
Lors du décès de son père, il devint le second propriétaire de l’Horloge du chemin de Chambly. C’était le douzième enfant de François Demers. Né le 6 novembre 1817, sur le chemin de Chambly à Longueuil, on l’appela Édouard, prénom auquel il ajouta celui de René. C’était la coutume de donner comme prénom celui d’un souverain. Il choisit sans doute René dans le but de se distinguer des autres Demers. Il n’avait que 12 ans lorsque son père reçut la grande horloge de huit de ses enfants, à l’occasion de sa nomination comme capitaine de la milice. L’aîné de la famille, son frère Alexis Demers, aurait normalement dû en hériter, mais il était décédé depuis de nombreuses années. Cette horloge n’était plus à la mode et son entretien s’avéra difficile. Était-ce lui qui avait suggéré de la peindre en vert lors de la fuite vers la frontière ? C’est probable. On ne devait pas se bousculer au portillon pour la posséder. Édouard René Demers en hérita donc.
Talentueux, le garçon termina ses études à l’âge de 17 ans. Il avait suivi le cours classique à Chambly où il apprit le latin, la rédaction française et l’anglais. Il fut le premier de notre famille à devenir un professionnel. L’éducation comptait énormément pour lui. Trois de ses fils firent des études classiques au séminaire de Saint-Hyacinthe. Mentor de son neveu, Alexis Louis Demers, c’est grâce à lui que les fils de ce dernier firent aussi des études classiques. L’influence d’Édouard René Demers ne s’exerça pas uniquement dans sa famille. Toute sa vie, il se fit le promoteur de l’éducation pour l’ensemble de la population. On trouve des marques précises de son action dans le Haut-Richelieu et dans la ville de Bedford.
Les années de cléricature
À la fin de ses études, Demers entreprit cinq années de cléricature dans le but de devenir notaire. Il obtint son diplôme en 1838, à 21 ans, âge de la majorité à l’époque. Ces longues années comme clerc de notaire lui fournirent l’occasion de parfaire ses connaissances en droit et en anglais, lui permettant ainsi de devenir l’un des notaires importants de sa génération. Le greffe des actes qu’il nous a laissés en fait foi, de même que les nombreuses fonctions qu’il a occupées dans le domaine public. Résidant en divers endroits, depuis Longueuil jusqu’à Henryville, il se familiarisa non seulement avec le territoire des comtés du Haut-Richelieu et voisins voisins, mais il tissa aussi des liens avec de nombreuses personnalités dont l’action politique fut important à l’époque. Il entreprit sa cléricature en 1833 à Chambly et à Henryville, chez le notaire Basile Larocque. Il y était en terrain connu, Basile Larocque œuvrant comme notaire de la famille. L’année précédente, il avait rédigé une demi-douzaine d’actes notariés pour les Demers. Joseph Demers, François Demers et Louis Demers, les frères d’Édouard René Demers, s’étaient établis à Henryville. Rappelons-nous que ce village avait été fondé en 1815-1817 par le notaire Edme Henry, l’un des héros de la guerre de 1812, durant laquelle il avait été l’un des commandants de François Demers. C’était un homme d’affaires important. C’est à titre d’agent foncier qu’il avait fondé Henryville et lui avait donné son nom. On le connaissait bien à l’auberge du chemin de Chambly puisque c’était un ami de la famille. Il recrutait de futurs résidents pour Henryville, laquelle connut, avec l’arrivée des loyalistes durant les années 1920, une forte croissance. Par la suite, vers 1830, l’expansion se poursuivit, cette fois avec l’arrivée d’une population sans cesse croissante de Canadiens français. Certains des enfants de François Demers étaient du nombre.
À l’arrivée d’Édouard René Demers en 1833, Henryville comptait près de 2000 habitants, dont la majorité était de langue anglaise. Notaire de renom à Chambly et à Henryville, Me Basile Larocque était un partisan du Parti canadien puis du Parti patriote. Dans son étude, Demers apprit les rudiments de sa future profession. Il poursuivit son apprentissage auprès de Me Léon Dugas, notaire de Clarenceville, village voisin de Henryville à population majoritairement anglophone. C’est là qu’il perfectionna sa connaissance de l’anglais en apprenant la terminologie nécessaire à l’exercice de sa profession. Par la suite, il s’installa à Chambly où, en 1836 et 1837, il effectua un stage chez Me Joseph Porlier. Chambly, ville importante sur le plan militaire et centre de négoce, lui assurait une expérience et des connaissances plus vastes. En 1837-1838, il compléta son stage auprès de Me Louis-Mars Decoigne, notaire de L’Acadie. Tous ces notaires étaient des partisans du Parti patriote, mais la dernière association avec le notaire Louis-Mars Decoigne eut un impact déterminant à cet égard.
Cléricature et action politique
En 1837, Louis-Mars Decoigne pratiquait le notariat depuis une dizaine d’années. Il avait repris la pratique de son père, Louis Decoigne, suite au décès de celui-ci en 1832 à Sainte Marguerite de Blairfindie, aujourd’hui connue sous le nom de L’Acadie. Il comptait parmi ses clients François Bourassa, dont le fils, François, avait l’âge de Louis-Mars Decoigne. La pratique du notariat à l’étude de Louis-Mars Decoigne était importante, mais l’action politique l’était tout autant, sinon plus. Louis-Mars était aussi un partisan du Parti patriote. Il appuyait Papineau et les membres de ce parti. En pleine rébellion, il s’impliqua dans les manifestations et la révolte armée. Il n’était pas seul ; son frère Pierre Théophile, notaire à Napierville, et son jeune frère Olivier furent aussi très actifs dans la rébellion. Il en fut de même de François Bourassa, fils, qui y participa à titre de capitaine de l’Association des frères-chasseurs.
Les Demers, Decoigne et Bourassa assistèrent à l’assemblée des six comtés qui se tient à Saint-Charles le 23 octobre 1837. Déchainés, les orateurs réclamaient des mesures contre ceux qui pactisaient avec le régime dénoncé. Également patriote, Édouard René Demers participa, avec Louis-Mars Decoigne, à un charivari chez le docteur Timoléon Quesnel le 26 octobre 1837 à l’Acadie. Celui-ci refusait de donner suite aux pressions des patriotes qui lui enjoignaient de démissionner de sa fonction de juge de paix pour protester contre l’administration britannique. Il ne s’en laissa pas imposer et, en novembre 1837, fit arrêter et emprisonner Louis-Mars Decoigne. Ce dernier réussit à obtenir sa libération en juillet 1838 contre un cautionnement de 1000 livres. Par la suite, il continua à participer secrètement à la rébellion.
Une des dernières batailles livrées par les patriotes eut lieu le 9 novembre 1838 à Odelltown, village situé à mi-chemin entre Lacolle et la frontière américaine. Ce fut un désastre pour les patriotes. Louis-Mars Decoigne, ayant appris qu’il faisait l’objet de dénonciations, s’enfuit aux États-Unis. Sa maison de l’Acadie fut brulée en novembre 1838 durant son absence. Édouard René Demers réussit tout de même à obtenir un dédommagement en déclarant que le notaire Decoigne se trouvait aux États-Unis pour affaires et que sa maison avait été brûlée accidentellement lorsqu’on avait mis le feu aux résidences voisines. La situation était devenue extrême. Lors d’une discussion, le notaire Larocque, un patriote, avait reçu une volée de coups de fouet d’un autre patriote. François Demers et son fils ainé, Alexis Demers, étaient en fuite. Joseph Demers, qui demeurait à Henryville, ayant contesté le sérieux de recrues armées de gourdins et de lances en bois, se fit tirer dessus par un patriote. François Bourassa fut arrêté et incarcéré à la prison de Montréal. Le frère de Louis-Mars Decoigne, le notaire Pierre Théophile Decoigne, fut arrêté et condamné à mort par un tribunal militaire. Il fut pendu en janvier 1839.
Ce fut l’une des périodes les plus tumultueuses des deux colonies britanniques du Bas et du Haut-Canada. Lors de la rébellion de 1837-1838, la constitution fut abrogée, les assemblées législatives du Haut et du Bas-Canada furent abolies, la loi martiale fut mise en place et l’habeas corpus fut suspendu. John Colborne, le chef des armées britanniques, qu’on avait surnommé l« e vieux brulot », mâta les rebelles. Plus de 1000 patriotes furent arrêtés au Bas-Canada, autant dans le Haut-Canada. Les maisons de ceux qui s’étaient enfuis furent brûlées. Si la rébellion tant au Haut-Canada qu’au Bas-Canada fut un échec, la Chambre des communes de Londres se rendit compte de l’insuccès du gouvernement représentatif et de la mauvaise administration de la colonie qui avait entrainé cette rébellion. La répression ne pouvait être une solution, il y avait lieu d’agir autrement et de trouver une solution.
Lord Durham, un homme d’État britannique réputé progressiste, fut désigné pour analyser les causes de la rébellion et faire rapport. Il fit plusieurs recommandations à Londres pour la réorganisation des deux colonies. Nous en retenons deux :
- Créer une seule province, le Canada-Uni, avec un gouvernement responsable devant une assemblée de représentants élus par la population. L’usage du français serait interdit. L’Acte d’Union fut sanctionné à Londres le 23 juillet 1840.
- Établir des municipalités avec des conseils élus par la population locale, responsable de l’administration et de l’éducation. Le 29 décembre 1840, des lois furent adoptées au Bas-Canada qui mettaient en place des districts municipaux.
(suite au prochain numéro)