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Les saveurs de l’érable

François Normandeau

Je me souviens de l’époque où j’allais, très jeune, chercher du sirop chez un producteur du coin. On devait obligatoirement y gouter avant de l’acheter. Nous savions que c’était par principe, que ce n’était pas vraiment nécessaire puisque c’était le meilleur. À 5 ou 6 ans, on me servait mon shooter de sirop. Quelle fierté ! Je me sentais traité sur un pied d’égalité, mon opinion était écoutée. À l’occasion, nous achetions notre sirop ailleurs, mais nous revenions toujours chez notre producteur préféré. C’était notre acériculteur de famille !

À défaut d’avoir son acériculteur attitré, on se fie à ce qui est indiqué sur l’emballage. Préférez-vous le doré et délicat ou plutôt l’ambré et le riche ? Probablement que, comme 40 % des consommateurs, pour sucrer vos crêpes, vous préférez le sirop de classe B, selon la classification québécoise ou le « no 1 médium », selon la classification canadienne. À moins que vous préfériez le Vermont fancy ! En fait, presque chaque province ou État producteur avait autrefois sa propre classification. C’est pour remédier à la confusion         qui en résultait que l’institut international du sirop d’érable a entrepris d’uniformiser la norme. Ainsi, depuis décembre 2016, le sirop destiné à l’exportation est identifié comme suit :

  • Doré, goût délicat
  • Ambré, goût riche
  • Foncé, goût robuste
  • Très foncé, goût prononcé

Quant au sirop destiné au marché local, les producteurs ont jusqu’en décembre 2017 pour adopter la nouvelle norme. Concrètement, ça change peu de choses pour l’amateur. Si vous préférez le type B, dorénavant vous achèterez de l’ambré. La nouvelle classification est destinée au nouveau consommateur, afin de l’aider à faire un choix. Pratiquement, on peut résumer ainsi l’utilisation des quatre classes, quoique c’est au gout de chacun : le doré, au goût délicat, c’est pour le sucre à la crème, le vrai, celui sans cassonade. L’ambré, au goût riche, c’est pour manger nature sur les crêpes, les gaufres ou la crème glacée. On préfèrera le foncé, au goût robuste, pour les desserts cuits au four. Tandis que le très foncé, au goût très prononcé, sera utilisé parcimonieusement dans les sauces.

Qu’il s’agisse de la nouvelle ou de l’ancienne norme, la détermination de la classe se fait de la même manière : on mesure le pourcentage de lumière qui traverse un échantillon de sirop. Par exemple, pour que qu’il appartienne à la classe dorée, il faut que l’échantillon bloque au maximum 25 % de la lumière. Pour l’ambré, c’est 50 %, et ainsi de suite.

Actuellement, la couleur est le seul moyen objectif de classifier le sirop, mais il n’y a aucune garantie que deux sirops de même classe soient semblables au goût bien que la probabilité soit grande. Il y a en effet une forte corrélation entre saveur et couleur dans le cas de ce produit.

 C’est la faute aux microorganismes

Mais d’où vient cette variation de couleur et de goût du sirop ? En début de saison le sirop est d’abord clair. Au fur et à mesure qu’elle avance, il devient de plus en plus foncé et acquiert un goût de caramel de plus en plus prononcé. Les grands crus se situent entre ces deux extrêmes soit à la mi-saison. En toute fin de saison, des gouts désagréables apparaissent, comme le gout de bourgeon. Il est alors temps de « désentailler ».

En 2011, Marie Filteau nous apprenait dans sa thèse de doctorat que le site de récolte est un facteur déterminant. Le site, non pas la région. Ici le terroir ne semble pas s’exprimer. Dans une même région, deux sites donneront des sirops fort différents et, à ce jour, aucune région n’a réussi à en surpasser une autre. Désolé pour les Beaucerons… Après analyse du microbiote de l’eau d’érable, Mme Filteau a démontré qu’il existait un lien entre certaines espèces de microorganismes et la couleur du sirop.

Au moment de l’entaillage, l’eau d’érable est considérée comme stérile, d’où le fait que le sirop issu de la première coulée ait peu de goût. Peu à peu, l’eau se contamine, ce qui mène à l’apparition d’un goût caractéristique. La chercheuse a identifié des levures qui pourraient être à la source du développement subtil des saveurs. Rarissimes dans la nature, mais relativement abondantes dans la sève, certaines d’entre elles se retrouvent sur l’écorce. C’est lors du perçage de l’entaille qu’elles entrent en contact avec l’équipement de collecte et le contamine. Durant la saison, les bactéries en viennent graduellement à dominer le microbiote. En fin de saison, ce sont ces bactéries qui seront à l’origine des saveurs caractéristiques marquant cette période.

Maillard a aussi sa part de responsabilité

De son vrai nom Louis-Camille Maillard, ce chimiste français publia, en 1911, ses travaux sur le brunissement des protéines en présence de sucres. Cette réaction connue sous le nom de « réaction de Maillard » est bien connue des cuisiniers. Elle est responsable, entre autres choses, de la caramélisation des sucres et du brunissement des viandes, ainsi que de la saveur caractéristique qui en découle. À condition, bien sûr, que la température soit suffisamment élevée. C’est aussi grâce à la réaction de Maillard que le déglaçage des sucs collés au fond d’une poêle à l’aide d’un liquide acide, le vin par exemple, permet d’obtenir des sauces savoureuses.

Mais, avant tout, c’est l’acériculteur le grand responsable.

Faire du sirop peut sembler relativement simple. Il suffit de faire réduire de l’eau d’érable pour obtenir un produit sucré plus ou moins caramélisé et assurément agréable au goût. Par contre, faire du bon sirop présentant la saveur caractéristique de l’érable, sans arrière-goût, relève du savoir-faire. La compétence de l’acériculteur tient en sa capacité à contrôler la qualité du produit, de l’entaille à la sortie de l’évaporateur.

Pour faire du bon sirop, il doit donc dans un premier temps contrôler la croissance du microbiote de l’eau d’érable. Juste assez pour que les saveurs se développent, mais pas au point qu’il favorise l’apparition d’un gout désagréable.

Au départ, l’eau d’érable, stérile, contient principalement du sucrose, un disaccharide peu sensible à la réaction de Maillard. Sous l’action d’enzymes sécrétés par les microorganismes, il se scinde en deux monosaccharides, le glucose et le fructose. Comme ce dernier possède un point de fusion équivalent au point d’ébullition du sirop, il se caramélise rapidement quand le sirop est à point.

Ce qui nous mène au deuxième facteur associé au savoir-faire du producteur, à savoir la maitrise de la température et la rapidité avec laquelle l’eau d’érable s’évapore. Après une phase d’évaporation intense, elle passe par une phase de cuisson. À partir de ce moment, l’acériculteur doit accélérer le processus de manière à minimiser la caramélisation tout en laissant séjourner le réduit suffisamment longtemps dans les casseroles pour que la saveur se développe. Tout un défi ! Il doit aussi éviter de créer des points chauds qui auraient pour effet de favoriser la réaction de Maillard. C’est la maitrise de ce savoir-faire qui produit les grands crus. Cette maitrise ne s’obtient qu’après des années d’apprentissage et ne se transmet, parait-il, que de bouche d’acériculteur à oreille d’acériculteur.