Photo : Jean-Pierre Fourez
Si le maïs-grain (et le soya) occupe aujourd’hui une telle place dans notre agriculture, c’est en grande partie parce que, à partir du 20e siècle, et plus spécifiquement de la Deuxième Guerre mondiale, les protéines animales ont pris une part de plus en plus grande dans notre alimentation. Auparavant, les méthodes de production et les techniques de conservation ne permettaient pas de disposer en tout temps de viande, produits laitiers et oeufs, comme c’est le cas aujourd’hui.
L’animal : peu efficace comme source de protéines
Cependant, d’un point de vue écologique, l’animal est relativement peu efficace comme source de protéines. « L’animal, écrivait un chercheur français en 1981, n’est écologiquement rentable que lorsqu’il est élevé sur des terres trop pauvres pour permettre la culture des plantes directement consommables par l’être humain et s’il consomme des végétaux impropres à l’alimentation humaine ». Ce qui, soulignons-le, a été le cas pendant la plus grande partie de l’histoire de l’agriculture.
Quelques chiffres
Il faut en moyenne : 15 kilos de protéines végétales pour obtenir 1 kilo de protéines de boeuf
7 kilos de protéines végétales pour obtenir 1 kilo de protéines de porc
5 kilos de protéines végétales pour obtenir 1 kilo de protéines de poulet
4 kilos de protéines végétales pour obtenir 1 kilo de protéines d’oeuf
La monoculture : une aberration écologique
Cette augmentation de la consommation de protéines animales a entraîné des changements considérables dans la conduite des troupeaux et dans leur alimentation. Comme ils favorisent l’engraissement rapide, les tourteaux de maïs et de soya ont graduellement remplacé tout ce qui fourragers, orge, seigle, blé, pois, fève et autres légumineuses, glands, châtaignes, fruits blets et moûts de fruits, déchets de culture et de table, etc.
En conséquence de quoi, le paysage rural s’est grandement appauvri au cours des dernières décennies. Pour cultiver le maïs et le soya, on assèche les marécages, on gomme les forêts, on élimine les prairies et les pâturages, alors que, chacun à sa façon, ces écosystèmes diversifiés contribuaient jadis à la santé et à la productivité de la ferme.
Sans compter qu’une agriculture reposant sur la monoculture constitue une véritable invitation aux insectes ravageurs et aux maladies qui, dans de telles conditions, se multiplient rapidement et peuvent prendre la forme d’épidémies très destructrices. En 1970 par exemple, la céphalosporiose a infecté des millions d’hectares de maïs aux États-Unis.
Au nord, les terres et les eaux sont polluées
Le formidable développement de l’utilisation du maïs en alimentation animale a entraîné un grave problème de pollution des sols et des eaux par les nitrates et le phosphore. Pollution aussi des eaux souterraines et des eaux de surface par l’Atrazine, herbicide omniprésent dans les cultures de maïs. Par le glyphosate également, cet autre herbicide plus connu sous le nom de marque Round-Up, et dont on disait jusqu’à tout récemment qu’il était biodégradable, ce qui s’est avéré inexact : en France, on en a détecté dans une rivière qui alimente en eau potable le département du Finistère des concentrations égales à 172 fois la norme maximale autorisée. De plus, le glyphosate se dégrade en un autre produit, l’AMPA, tout aussi toxique mais persistant plus longtemps dans la nature.
On se préoccupe également des effets des OGM, dont 80 % sont représentés par le maïs et le soya destinés à l’alimentation animale. Effets potentiellement néfastes sur la santé animale et humaine (allergies, cancers), risque qu’ils soient introduits accidentellement dans la chaîne alimentaire, pollution génétique qu’ils engendrent et effets globaux sur l’environnement.
Au Sud, les terres s’appauvrissent
Non contents de l’implanter chez nous, nous exportons notre modèle de production intensive vers les pays du sud. Toutefois, les besoins accrus en azote des variétés de maïs hybrides à haut rendement ne peuvent être couverts dans les pays pauvres, par suite de l’écart croissant avec les prix industriels et faute d’usines productrices d’engrais azotés. Les sols de ces pays s’épuisent donc très rapidement avec ces nouvelles variétés.
L’eau : une ressource de plus en plus sollicitée par le maïs-grain
On estime que 26 % de la population mondiale est aujourd’hui confrontée à de graves pénuries d’eau, alors que l’agriculture consomme 70 % de toute la ressource à travers les continents. Et le maïs destiné aux animaux d’élevage joue un rôle de plus en plus important dans cette consommation. En France, en 2000, il représentait 50 % de toutes les surfaces irriguées et dans certaines régions, ce taux monte à 90 %. Des associations locales parlent de désastre écologique et d’aberration économique.
On estime qu’il faut environ quatre fois plus d’eau pour soutenir un régime alimentaire de type occidental qu’il n’en faut pour soutenir un régime de type chinois ou indien.
La solution passe par la diversité
Considéré jadis comme la Mère universelle, créatrice de toute vie, le maïs se présente plutôt aujourd’hui sous les traits d’un Titan montrant une tendance au despotisme, « tendance d’autant plus redoutable, écrivait Paul Diel à propos des Titans de la mythologie, qu’elle se dissimule parfois sous une ambition obsédante d’améliorer le monde ». En effet, l’amélioration du monde figure au premier plan des objectifs exprimés par les géants de l’agrobusiness. Cependant, en tentant d’imposer un modèle d’agriculture unique, reposant largement sur une seule céréale, dont le bagage génétique est de plus en plus étroit, n’est-ce pas, en fait, leur position dans le monde qu’ils cherchent à améliorer ?
L’amélioration du monde passera par la diversité et non par l’uniformité, par des solutions variées, adaptées aux situations locales. Il passera aussi forcément par une revalorisation des protéines végétales dans l’alimentation humaine.
Remarque :
l’objectif de cette série d’articles n’était pas de blâmer les agriculteurs pour les problèmes causés par la culture intensive du maïs-grain car ils sont généralement de bonne foi. Ceux qu’il faut plutôt pointer du doigt sont les grandes multinationales de l’agro-alimentaire qui ont la totale maîtrise des politiques agricoles, de même que les pouvoirs publics et corporatistes qui font preuve de complaisance à cet égard. Nous savons bien que les agriculteurs ne sont plus maîtres de ce qui se passe sur leurs terres et que s’ils le redevenaient, les choses changeraient probablement pour le mieux…