Quand j’étais enfant, je servais la messe du dimanche aux côtés de ce bon vieux Père-Lou. J’ai été rapidement recrutée dans la chorale de l’église, ce qui me donnait l’avantage de voir tous les gens qui y entraient. Et il y avait ce couple que je trouvais beau. Bien sûr ils étaient très vieux (ils avaient certainement le début de la quarantaine…) Une belle dame distinguée et un beau monsieur souriant, toujours bien vêtus et très gentils. J’ai demandé à mon ami Stéphane, fils de ce superbe couple, de nous présenter ses origines.
« Le patriarche de la famille, Jacques (James) Beaulac, avait la jeune vingtaine lorsqu’il s’établit, au milieu des années 1950, dans la maison de Moore’s Corner. Comme nous le rappelait une récente reconstitution historique, ce lieu est associé aux affrontements impliquant les Patriotes de Louis-Joseph Papineau en décembre 1837, au cours desquels un homme blessé aurait trouvé refuge dans notre grande maison. Une légende ? Peut-être, quoiqu’une plaque en façade tendrait à le confirmer. »
Notre aïeul, Adhémar Beaulac, originaire de la région de Drummondville, est arrivé dans le coin au début du 20e siècle, avec trois de ses frères, à la recherche de meilleurs emplois et d’occasions d’affaires, compte tenu de la proximité du voisin américain. Le concept de la ‘ferme à moitié’ – vous avez peut-être déjà entendu l’expression – permettait à l’agriculteur d’exploiter une terre en partageant les revenus, à 50/50, avec le propriétaire terrien. À l’instar de bien d’autres Canadiens français modestes de cette époque pas si lointaine, Adhémar a ainsi travaillé pendant plusieurs années et a réussi à mettre de côté les fonds nécessaires à l’achat de sa propre ferme, dans le fond d’un rang près de Morses Line, qui porte d’ailleurs le nom de Chemin Beaulac.
» Femme forte et fière de ses origines à la fois écossaise et irlandaise, Marguerite Rudd habitait Dunham avant d’épouser ce p’tit Beaulac ben travaillant que tout le monde aimait. Issue d’une famille de gens d’affaires assez prospère de Brome-Missisquoi, la belle Marguerite était une fervente catholique comme son bon Adhémar. Ils ont eu six enfants, qui ont eu eux-mêmes leurs familles, dont plusieurs membres demeurent toujours dans le comté.
» L’éthique de travail et la détermination des Beaulac-Rudd, mon père Jacques (ou Jimmy pour les intimes) en a clairement hérité, lui qui se rendait le premier à sa petite école de rang, l’hiver, pour allumer le poêle à bois avant le début des classes. Avec un coup de pouce de son père qui avait un bon nom et qui le cautionnait sans réserve, Jacques avait sa « run de lait » dès 17 ans et sa ferme à 20 ans. Récemment, un homme de Bedford me soulignait que c’est comme chauffeur d’autobus scolaire qu’il se souvient de mon paternel, une entreprise d’appoint qu’il a eue pendant de nombreuses années. En fait, outre son métier premier d’agriculteur – production laitière au tout début, bovine pendant longtemps, puis centrée sur les grandes cultures – Jacques a conjugué plusieurs emplois et occasions d’affaires afin de gagner sa vie, somme toute convenablement, et surtout en faire bénéficier sa famille, très généreusement. Le doyen de la famille a récemment fêté ses 80 ans, avec ses frères et soeurs, ses deux fils et ses cinq petits-fils (Samuel, Sasha, Jacob, Michaël, Stiopa) ; un événement mémorable (d’où la photo coiffant le présent texte).
» La famille Beaulac de Saint- Armand, c’est aussi et surtout la grande dame, Marguerite Gervais, fille cadette d’Albert Gervais et de Mercédès Bedford, de Notre-Dame-de-Stanbridge, qui rencontra ce jeune homme charmant lors d’une danse de sous-sol d’église organisée par ladite paroisse. C’est à l’école Notre- Dame-de-Lourdes que plusieurs personnes de la municipalité ont connu, et beaucoup apprécié me dit-on, Mme Marguerite : une enseignante rigoureuse et dévouée, formée au couvent et possédant cette approche humaniste voulant que tous les élèves, forts et moins forts, peuvent réussir si on s’y prend adéquatement.
Elle fut plus tard maîtresse de poste, pendant près de trente ans, le bureau de poste du village se trouvant en fait dans une pièce de notre maison.
» Les deux garçons Beaulac (mon frère et moi) ne sont pas tombés très loin de l’arbre : Martin a pris la relève dans l’agriculture et continue à développer l’entreprise familiale avec grand succès ; quant à moi, avocat de formation, je suis les traces maternelles puisque j’enseigne le droit constitutionnel et international à l’Université de Montréal. Toujours Armandois de coeur, nos liens avec la maison patriarcale demeurent indéfectibles, comme foyer d’opération des activités agricoles et comme résidence secondaire pour le professeur-gentleman-farmer que je suis : on peut sortir le gars d’la campagne, mais on ne sortira pas la campagne du gars ! »
Je remercie Stéphane d’avoir pris le temps de nous faire découvrir la famille Beaulac. Vous voulez partager votre histoire avec nous ? Appelez-moi au (450)248- 2201 ou arrêtez me faire une petite jasette. On est « recevants »… on est de Saint-Armand !