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Le saule dans tout son éclat

Paulette Vanier

Clôture en saule vivant (photo : osiervivant.com)

Quand on évoque le saule, on pense généralement aux deux arbres majestueux que sont le saule pleureur, qui agrémente les pelouses, et le saule blanc, qui pousse le long des cours d’eau. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il existe de par le monde de 300 à 400 espèces de Salix – nom latin de ce genre botanique – et que, dans bien des cas, il s’agit d’arbustes plutôt que d’arbres.

Les tiges d’un an de plusieurs de ces espèces servent à la confection d’objets de vannerie de toutes sortes : paniers, bien sûr, mais aussi plateaux, meubles, tontines de jardin, treillis, plessis… On se sert aussi des tiges pour fabriquer clôtures, dômes, tipis, tunnels, labyrinthes et une foule d’autres structures en saule vivant qui, une fois établies, ne nécessitent qu’un entretien annuel. Enfin, des artistes se réclamant du land art conçoivent des sculptures faites de saule sec ou vert pour des musées, jardins botaniques ou autres espaces publics et privés.

Justement, l’été dernier, l’artiste de renommée internationale Patrick Dougherty était invité par le Jardin botanique de Montréal à y réaliser trois œuvres monumentales en osier sec. Le public était invité à participer à l’une d’entre elles. L’initiative a été une véritable réussite puisque quelque 16 000 personnes y ont participé. Éphémères, les œuvres pourront être admirées et visitées durant deux ou trois ans, après quoi elles se dégraderont naturellement, laissant derrière elles un matériau que sera transformé en paillis pour les plantes. Bref, de l’art à empreinte carbone zéro, de la beauté qui re-tourne à la nature sans laisser la moindre trace de son passage, sinon peut-être, dans le souvenir qu’on en garde.

J’ai eu le privilège de participer comme bénévole à l’érection des trois œuvres ainsi qu’à l’animation auprès du public. J’ai donc été à même de constater à quel point l’idée séduisait. Avec désinvolture ou, au contraire, le plus grand sérieux, grands et petits de tous horizons, langues et origines ont ajouté à l’édifice non pas leur pierre, mais leur branche de saule/osier. J’ai connu des moments de pur bonheur quand, après avoir inséré sa branche dans la structure en tirant la langue et en grognant, un petit bout de chou a levé les bras en signe de victoire et m’a redemandé une autre tige, puis une autre et une autre encore. Aussi, quand une dame tout juste arrivée de Syrie m’a serré les mains avec émotion pour me remercier d’avoir consacré du temps à sa petite famille. Ou encore, quand cette autre a expliqué à son mari, avec un clin d’œil à mon intention, que la force brute ne suffisait pas toujours, qu’il fallait également de la persévérance… J’ai eu parfois l’impression de faire partie de la famille, comme si on m’avait invitée à partager un repas dans l’intimité du foyer. C’est le genre d’expérience affective que permettent parfois les œuvres collectives.

C’est aussi en quelque sorte ce que permet le saule qui, grâce à sa très grande souplesse, se laisse facilement courber, recourber, tresser pour se transformer au gré des fantaisies de chacun. Riche en hormones végétales, il s’enracine aussi très facilement, d’où cette faculté unique de donner naissance aux sculptures vivantes les plus inusitées et à nous faire rêver. Il suffit de pénétrer dans une telle structure pour se sentir soudainement transporté dans un espace qui, pour peu qu’on lâche la bride à son imagination, nous ramène dans l’univers des contes de fées.

On ne s’étonnera pas alors d’apprendre que, dans bien des cultures, le saule ait été associé à la magie, au fantastique, au surnaturel. C’est en partie pour cette raison que j’en cultive une vingtaine de variétés dans mon jardin. Pour la part du rêve. « Moi, je rêve si fortement, écrivait en 1894 Rémy de Gourmont, qu’il n’y a aucune lacune entre mes songes et ma vie. »

Thrown for a loop, une des trois oeuvres réalisées par Patrick Dougherty, son équipe et des bénévoles des Amis du Jardin botanique (Photo : Paulette Vanier)