En décembre dernier, M. Florent Gagné remettait officiellement son rapport sur l’industrie acéricole québécoise. Ce rapport lui avait été demandé par le ministre de l’agriculture du Québec, Pierre Paradis. Le ministre avait requis de M. Gagné qu’il examine la situation de la grande érablière québécoise parce que, selon lui, le Québec, premier producteur mondial de sirop d’érable, recule face à ses concurrents, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et surtout les États-Unis.
L’argument de M. Paradis était fondamentalement celui-ci : en 2000, la part du Québec dans le marché mondial était de 81,2 % alors qu’elle n’était plus que de 68 % en 2015. Pourquoi ce recul, a demandé le ministre à Florent Gagné ?
La faute au plan conjoint ?
Dans son rapport, Florent Gagné constate d’abord que l’industrie acéricole québécoise est prospère. Il y a 13 450 producteurs de sirop et autres produits de l’érable qui exploitent 7 200 érablières. En 2014, cela a donné 114 millions de livres de sirop, une valeur de 318 millions de dollars. Le bénéfice net moyen pour les producteurs est de 17 %, contre 7 % pour la moyenne des exploitations agricoles québécoises. Cela génère environ 5 000 emplois dont 700 dans la transformation.
Depuis cinq ans, constate M. Gagné, 70 % de ce qui sort de nos cabanes à sucre va à l’exportation. On vend surtout aux Américains mais Allemands, Japonais, Britanniques, Australiens et Français ne détestent pas se sucrer le bec de temps à autre, eux aussi.
Gagné constate le recul de nos parts de marché et affirme que notre méthode de mise en marché en est la cause.
C’est que, au Québec, depuis 1990, les producteurs de sirop ont adopté un plan de mise en marché conjoint. Afin d’éviter des fluctuations catastrophiques des prix du sirop, ils ont décidé que, chaque année, une quantité limitée de sirop serait offerte dans le commerce. On évite ainsi d’inonder le marché et de provoquer une chute des prix.
En 2002, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, affiliée à l’UPA, est devenue la seule habilitée à acheter et à vendre le sirop en vrac. En outre, depuis 2004, les producteurs doivent obtenir d’elle un contingent. Elle détermine combien de sirop le marché mondial pourra absorber dans les années qui viennent et distribue la quantité à produire entre les producteurs de manière à satisfaire la demande sans casser les prix. Cette quantité est le contingent.
C’est ce contingentement que Florent Gagné accuse d’être responsable de notre recul sur le marché mondial. Son rapport cite des acériculteurs qui se plaignent de ne pouvoir produire à pleine capacité, d’être privés de revenus importants, de ne pouvoir écouler leur sirop comme ils le veulent, à qui ils le veulent et au prix qu’ils choisissent.
Pas content
Daniel Gaudreau, acériculteur de Scottstown en Estrie est l’un de ceux qui ne veulent plus rien savoir du plan conjoint de la fédération. « C’est la fédération qui attribue les contingents nouveaux qui permettent d’augmenter la production et les revenus. Il y a du favoritisme dans le choix des producteurs qui reçoivent ce privilège. De plus, le plan conjoint et le système des contingents nous privent de revenus intéressants. Par exemple, j’ai une capacité de production de 80 000 livres de sirop, mais mon contingent attribué par le plan conjoint me limite à 20 000 livres. Absurde et révoltant ! »
Gaudreau se plaint aussi de ce que la fédération lui propose d’acheter son excédent (le sirop produit au-delà du contingent, le « hors contingent ») à un prix qui le pénalise grandement, selon lui. « En 2015, le prix payé à la livre de sirop en vrac au producteur par la fédération était de 2,81 $. Mais pour le hors contingent elle ne paie que 1,61 $. C’est à vous décourager d’être productif ! »
La fédération répond
Paul Rouillard est directeur adjoint de la fédération. « Faut pas charrier ! Le hors contingent est acheté par la fédé au même prix que le sirop en vrac produit sous contingentement ! Seulement, pour attribuer les contingents, nous exigeons du producteur un plan détaillé de son érablière, plan conçu par un ingénieur spécialisé. C’est à partir de ce plan que les capacités de production sont établies et que les contingents sont distribués. Si le producteur triche et produit à partir d’érables non inclus dans le plan, là, oui, il y a pénalité financière à l’achat de ce sirop clandestin. Mais un producteur qui a excédé son contingent à l’intérieur du plan remis à la fédé, qui est simplement plus productif que prévu, n’est nullement pénalisé ! »
Rouillard n’est pas inquiet outre mesure quant à la quantité de ce sirop sans papiers produit au Québec. « Nous n’avons pas d’études sur le phénomène, mais je ne crois pas que les quantités soient suffisantes pour influer à la baisse sur les prix. »
Il tient aussi à souligner que le système de contingentement et la mise en marché conjointe ne sont pas le monopole que certains décrient. « Si vous décidez de ne pas produire de vrac, c’est-à-dire de vendre en barils, et que vous préférez vendre en petits contenants de moins de cinq litres, directement au consommateur, à l’érablière, vous n’avez pas à vous soucier du moindre contingent. Vous faites comme il vous plait. Si vous voulez vendre à un intermédiaire comme par exemple, un épicier ou au magasin général, libre à vous. La fédé et son agence de vente ne s’en mêlent pas. »
Quant aux inquiétudes du ministre Paradis sur la perte de parts de marché mondiaux, M. Rouillard n’y voit qu’une erreur de perspective historique. « Le Québec a en moyenne 72 % du marché mondial. Quand on a raffiné notre méthode de mise en marché, en 2000 et 2004, nos producteurs, stimulés par ces améliorations, ont produit davantage et notre part de marché a augmenté. Par la suite, la concurrence s’est ajustée et nous avons retrouvé notre 72 % historique. Donc, il n’y a pas le feu. »
N’empêche. Le 22 mars dernier, la fédération lançait un appel urgent à la Régie des marchés agricoles du Québec afin d’obtenir au plus vite le droit à 2,35 millions d’entailles supplémentaires pour briser la barrière des 72 %. M. Rouillard lui-même déclarait à Radio-Canada que, sans cette augmentation de la capacité de produire, les réserves québécoises de sirop seraient à sec. La part américaine du gâteau à l’érable en serait augmentée d’autant.
Une solution est donc d’obtenir de la Régie une augmentation du contingentement total. Pour les dissidents qui appuient le rapport Gagné, une autre solution consiste à laisser les producteurs québécois s’ajuster d’eux-mêmes, en-dehors des règles appliquées par la fédération.
Au printemps 2016, on le voit, il n’y a pas que de l’eau d’érable qu’on a fait bouillir à la cabane. Il a coulé aussi pas mal d’encre dans les seaux.