Photo : Michel Dupont
Au détour de la rue Principale, près des Sucreries de l’érable de Frelighsburg, on remarque une bâtisse de bois et de briques (l’ancien bureau de poste) dont la façade a été restaurée avec goût : la Galerie Michel Dupont. En entrant dans la boutique, on se rend compte que c’est également un atelier. Au fond, à droite, on voit l’artiste en train de manipuler des tubes sur le haut comptoir, alchimiste des mélanges de couleurs préparant sa plaque avant de la déposer sur la presse qui trône dans l’espace. Il actionne la grande roue noire qui comprime le papier dans les aspérités qu’il a finement travaillées. Apparaît alors un monde « en négatif », où le résultat révèle toujours une surprise. L’embossage du papier réagit aux textures rudes de la plaque, de fines lignes se dessinent, cernant de manière délicate des formes carrées ou rectangulaires, elles-mêmes riches en couleurs et en textures. La surface est épaisse et grossière ; elle fait office de parchemin qui reçoit les impressions et les couleurs de l’artiste. Elle a la pureté et la sensibilité d’un papier fait main, 100 % coton, sur lequel vibrent les nuances colorées de la gravure. Elle s’imprègne de la densité des tons et divulgue des traces subtiles. Voilà une gravure ou encore une estampe prête à accepter d’autres interventions peintes.
Michel Dupont tend le papier devant ses yeux et examine le réseau de lignes qui se sont sculptées dans la matière en bas-relief, l’intensité des tons qu’il a soigneusement mélangés. Suite à de nombreux essais, il est enfin satisfait. L’œil brille, le sourire se dessine et on entend un rire franc. L’artiste est prêt à intervenir sur le monotype ; il ajoute, au pinceau, de légères touches de rouge qui dirigent le regard dans la composition de son œuvre. Il me dit « ce que j’aime c’est le processus, chercher, travailler pour arriver à des résultats qu’on n’aurait pas pensés. »
Le parcours d’un artiste est toujours intéressant à suivre, on y découvre des souvenirs qui font des clins d’œil à l’histoire de l’Art. Ses premières tentatives, Michel les a faites dans la plasticine, ses doigts y façonnant des personnages. Mais c’est vers l’âge de treize ans que la peinture se démystifie pour lui. Son parrain déroule devant ses yeux un rouleau contenant plusieurs peintures. Apparaissent la texture de la toile, les reliefs des coups de spatules et l’odeur du tableau. Tout de suite, il se procure des tubes de couleur et expérimente la monochromie sur du bois, et s’intéresse à des livres didactiques sur la peinture. Il découvre Chardin et tente de faire des copies de ses œuvres. Les compositions simples et structurées l’attirent ; un fond brun fauve avec des objets aux contours flous se confondant dans le clair-obscur. La palette de couleurs se précise chez lui, bien qu’il ne l’utilisera que plus tard dans son parcours. Peut-être est-ce grâce à un bref séjour dans une compagnie où il s’est essayé à la presse Offset, ce qui l’a poussé vers la sérigraphie.
C’est en 1975, en autodidacte et avec l’aide de quelques bons bouquins, qu’il se lance dans la production florissante de sérigraphies. Des paysages, des scènes dépouillées aux dégradés subtils font sa réputation. Il s’expose au Salons des Métiers d’arts de Montréal durant de nombreuses années. Il y rencontre Bertrand Casebon qui l’initie à la fabrication du papier fait main. Un autre monde s’offre à lui, la matière est plus vivante, plus riche en possibilités. Il commence alors à expérimenter une nouvelle forme de gravure ; il lui faudra quatre ans avant d’obtenir les résultats désirés. Son style se précise, on perçoit quelques influences asiatiques dans ses compositions. Le côté brut des vieux documents, les parchemins, les patines le fascinent. Son travail est maintenant reconnu jusqu’au MOMA de New York ainsi que dans beaucoup de galeries internationales.
En 1985, il s’installe à Frelighsburg, travaillant d’abord dans son atelier à la maison. Comme ce dernier s’avère trop exigu, il décide d’acquérir le bureau de poste qui vient de clore ses portes. Il entreprend d’importantes rénovations afin de donner plus de chaleur à l’édifice. Toute de bois, la façade y a grandement gagné en élégance. Michel décide alors de se retirer du Salon des Métiers d’art et d’ouvrir sa galerie atelier. Il offre aussi des ateliers intensifs de fin de semaine à ceux que ce médium intéresse.
Je l’ai rencontré alors qu’il explorait de nouvelles idées et tentait de nouvelles expérimentations. Toujours le papier en toile de fond. Cette fois, la blancheur se décline en teintes délicates, à peine soulignée d’ombres que lui donnent les reliefs travaillés à même la matière. L’estampe devient lumière, réfléchissant le souffle d’une trace imprégnée d’un blanc à peine coloré. L’espace est bien en place, tout circule et suit le tracé de petites interventions que le regard parcourt avec enchantement.