J’ai quitté Saint-Armand il y a six ans déjà. C’était à l’aube de ma vraie vie : celle où j’allais m’auto-définir. Celle où je découvrirais mes aspirations, mes forces, mes faiblesses. Je sortais du joug de la naïveté campagnarde : « le bonheur de vivre au jour le jour ».
J’étais tiraillé, adolescent et plein d’arrogance. Je bouillais de savoirs et de changements, car j’étouffais dans cet univers de promiscuité hypocrite nivelant vers le bas que nous offrait l’école secondaire. J’ai déménagé à Ville Saint-Laurent, à seize ans, pour y fréquenter le cégep. De rang de terre (cul-de-sac, soit dit en passant) à corridor aérien, immeuble à douze logements en carton, voisins turbulents et banlieue aussi multiculturelle que Côte-des-Neiges. L’extrémisme est toujours le moyen le plus rapide, bien que peu recommandable, pour changer de plan. J’avais réussi.
Ce bouleversement représente encore aujourd’hui le plus grand défi auquel j’ai été confronté. Contrairement à toutes mes prévisions : j’ai détesté. « Ça sonne faux comme un cluster de piano-bar ».
Je ne parlerai pas de la qualité de l’air, ni du bruit ambiant, ni de l’absence chronique de verdure, encore moins de l’insipide chaleur humaine collective. Je vais profiter du peu de temps que j’ai (la légende « urbaine » du métro-boulot-dodo s’incruste assez rapidement chez le Montréalais moyen) pour parler d’un phénomène qui trop souvent demeure urbain. Le festival (on est à Montréal quand même) des sorties de placard.
Il est étonnant de voir à quel point la pire insulte peut devenir, du totalitarisme de la polyvalente à l’ouverture des études supérieures, un gage de libération et d’émancipation pour beaucoup de jeunes. Dès le cégep et encore aujourd’hui à l’université, beaucoup de jeunes s’affirment et s’affichent comme homosexuels. Pour un petit gars de la campagne qui avait pour seule référence les caricatures du cinéma et les sorties publiques de Mado, c’était plutôt quelque chose d’intangible.
J’ai décidé de faire des études en musique et je me suis du coup familiarisé avec le phénomène. Les tribunes qui défendent les droits des homosexuels sont la plupart du temps occupées par des homosexuels, donnant ainsi l’image d’une « minorité visible ». Je dirais même que cette façon de faire accroît notre connaissance du sujet, ce qui est bien, mais fait en sorte que ça ne nous intéressera plus. Détrompez-vous !
L’homosexualité n’a rien de marginal. La minorité à la faculté de musique, si je puis m’exprimer ainsi, c’est moi. Tout comme dans la totalité des disciplines artistiques : c’est presque un club sélect !Ce sont des gens fantastiques pour nous apprendre la sensibilité, le respect et l’amour. Oui messieurs, un ami gay, c’est tout ce qui vous manque.