Sara Mills
Un jardin et des pots
Cachées derrière un buisson florissant, trois grandes vasques invitent à la méditation. Au détour d’un sentier, un massif d’hémérocalles jaunes sert d’écran à une jarre mordorée. Un régiment de cruches perché sur un tronc d’arbre guette le promeneur qui s’y attarde. Suspendus dans les arbres ou assis sur des branches, une kyrielle d’objets insolites attirent le regard et provoquent l’admiration.
Dans cette escapade champêtre, on ne cueille point de fraises. On récolte avec joie des pots, des lampes, des vases, des plats, des coupes et des sculptures, œuvres créées par la magie des potiers et des potières. Comme chaque année, le village de Mystic devient le théâtre de l’exposition « CeraMystic », où sont présentées plus de 6000 pièces signées par une trentaine d’artisans.
Le chef d’orchestre, Jacques Marsot, lui-même potier, invite des céramistes aux multiples talents à présenter leurs nouvelles œuvres, lesquelles sont artistiquement disséminées dans sa forêt enchantée. Le public s’y promène, rêve et admire, puis jette son dévolu sur une pièce de son choix.
De la Terre, de l’Eau et du Feu
Mais qui sont ces artisans ? On les nomme des potiers, des potières ou bien des céramistes. Ce sont les alchimistes de la terre. Sous leurs doigts agiles, ils transforment l’argile, mélangeant leurs recettes secrètes au gré de leur imaginaire. Ils pétrissent et modèlent. Ils enfournent, émaillent, vernissent et recuisent pour nous offrir un vase, une sculpture, une assiette, une coupelle, un bol.
Quelle magie ! Quelle passion brûle l’âme du potier pour chacune des pièces façonnées !
Terre, vieille Terre
« Vieille terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu’il faut pour que se succèdent les vivants ! », écrivait Charles de Gaule. Oui, vieille la terre. Si vieille que pour trouver la date des débuts de la poterie, il faut remonter à trente millénaires avant J.C. C’est à cette époque que des peuplades nomades, dans diverses parties du monde, ont commencé à s’établir. Comme il fallait préserver les cueillettes et le produit de la chasse, c’est en mélangeant de la terre et en la mettant près du feu que furent inventées les premières poteries utilitaires. Un fait intéressant : ce sont des femmes qui travaillaient la poterie. De la Mésopotamie au Japon, de l’Afrique à la Russie, de la Chine aux Amériques en passant par l’Europe, la façon de procéder au départ fut la même : mélanger des terres et les cuire.
De l’utilitaire à l’Art
En poterie, quand on parle de terre, on ne parle pas du tout de la terre qui est sous nos pieds ni de celle que l’on cultive. La plupart des terres utilisées sont des argiles (faïence, grès et porcelaine). L’argile est une poudre, résultant de l’érosion des roches comme le granite.
Ces poudres argileuses sont transportées par les eaux et déposées sur les rives des lacs et des rivières. Donc, après cette première approche utilitaire, il n’en fallait pas plus à l’être humain pour transformer les poteries en objets non seulement pratiques, mais décoratifs.
L’âme du potier était née.
La Terre en fut transformée… Les terres furent malaxées, modelées, tournées et même sculptées. Des formes inspirées surgirent, la seule limite étant l’imaginaire. Reliefs, incrustations, gravures, tout était possible. Le séchage était suivi de divers procédés de cuisson. Le temps et les températures donnaient des résultats différents. Puis l’artiste décidait de son fini : brut, rugueux, corallien, sablonneux, rustique… Ou bien polir, lisser, émailler afin d’avoir un fini vitreux, glacé, avec des reflets changeants, ou métallescent…
Chimie, Amour et Fantaisie
Chaque potier, chaque potière voit dans un morceau de terre le spectacle de l’objet sublimé. Tenir un simple bol et penser aux mains qui l’ont façonné devient une communion sensorielle intense. L’amour de l’artisan imprimé dans la terre cuite est ressenti par celui qui tient l’objet. Ayant hérité de millénaires de traditions diverses, le potier rajoute dans chacune de ses œuvres son interprétation personnelle mêlée à son expérience en constante évolution. Sa sculpture est un instantané, un moment unique dans le temps. Ses doigts plongent dans la terre pour donner naissance à sa vision de la beauté planétaire qui recèle toute forme, toute couleur et toute texture. La poterie, la céramique, c’est un éventail de méthodes, un aboutissement d’expérimentations et de notions de chimie mélangé au bonheur tactile de triturer la terre
De la chimie, oui bien sûr, car l’artisan doit savoir comment se comporte la terre dans les fours. Il doit savoir utiliser les émaux provenant des minéraux des roches : talc, silice, chaux, kaolin… Il doit comprendre les procédés des glaçures, les secrets des engobes et connaître les réactions des couleurs qui sont tirées d’oxydes métalliques comme le cobalt, le cuivre, le fer et tous leurs copains !
Chimie et alchimie.
Chaque pièce raconte sa métamorphose, son parcours et l’aventure extraordinaire de son potier ou de sa potière.
L’année prochaine
Pour les connaisseurs, CeraMystic est un incontournable. Pour l’endroit qui est paradisiaque et pour le goût et l’exquise manière dont Jacques Marsot et Sue Hughes disposent les œuvres, au milieu de leur jardin paysagé et plein de charme. On fait le tour une fois, deux fois, et on retourne voir ce qui nous a échappé encore et encore.
Alors, l’année prochaine, encore et encore, nous y retournerons.
Et vous aussi, c’est certain, vous y retournerez !
Si vous voulez en savoir plus sur la poterie, pourquoi ne pas visiter nos céramistes du coin :
Naomi Pearl (Dunham)
Jacques Marsot (Mystic)
Sara Mills et Michel Viala (Pigeon Hill),
que je remercie grandement pour leurs précieux conseils et toutes les précisions sur ce beau métier.