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- Dossier Eau -

L’agronome Richard Lauzier prend sa retraite

Un bilan avant de vous quitter
Richard Lauzier, agronome

Richard Lauzier, agronome

Note du rédacteur en chef

Pour la majorité des gens d’ici, monsieur Lauzier est loin d’être un inconnu puisque, depuis presque 20 ans, il est l’agronome local. Mais son implication dans la région va bien plus loin que celle que lui imposaient les responsabilités du simple fonctionnaire du ministère de l’agriculture du Québec (MAPAQ) : Richard Lauzier a été l’un des principaux artisans du travail de recherche, de conscientisation et d’action sur le terrain en matière de protection de la qualité de l’eau de la baie Missisquoi et de ses affluents. En tant qu’agronome, il a rapidement compris qu’il fallait, au-delà des exigences de son travail d’employé de l’État, travailler auprès des agriculteurs pour transformer les mentalités et contribuer à trouver les moyens qui pourraient permettre d’éviter la catastrophe. J’ai rapidement reconnu en lui un homme intègre, modeste et respectueux des personnes et des institutions, et je savais qu’il s’interdisait de dire certaines choses tant qu’il était à l’emploi du MAPAQ, devoir de réserve oblige. C’est pourquoi j’ai pensé lui offrir la possibilité, à l’occasion de son départ, de s’exprimer à titre personnel dans ces pages et de faire le bilan de ses années d’implication en territoire d’Armandie. Laissons-lui donc la parole.

Lorsque M. Lefrançois m’a contacté il y a quelques mois pour m’offrir de l’espace dans le Saint-Armand, les idées jaillissaient abondamment et j’avais l’impression que ce serait très facile de pondre un texte intéressant et pertinent.

Au cours de l’été, j’ai souvent songé à comment j’allais structurer mes idées et transmettre mon message et c’est alors que j’ai commencé à réaliser que l’exercice serait moins facile qu’il n’y paraissait au premier abord. En effet, toute ma vie j’ai mis en pratique le doute méthodique comme filtre à mes idées et jugements. Je me suis toujours dit : « Qui suis-je pour pontifier et faire de grandes affirmations ? ». Sans doute est-ce dû à de nombreux exemples de ce qu’on appelait dans le coin d’où je viens des « ti-Jos connaissants », la plupart du temps gérants d’estrade par ailleurs. Donc, c’est avec humilité que je couche sur papier la petite histoire de mon passage au bureau du MAPAQ de Bedford, en espérant ne pas vous ennuyer.

Un court résumé de mon cheminement professionnel

J’ai terminé mon bac en agronomie en 1978, à l’Université Laval à Québec. J’avais auparavant complété un bac en économie, puis j’ai réalisé que travailler dans les chiffres à longueur de journée, ce n’était pas pour moi.

Mon premier véritable emploi a été comme agent évaluateur pour la Régie de l’assurance-récolte du Québec, un organisme paragouvernemental qui existait à cette époque. Le travail était varié : rencontrer porte à porte des agriculteurs, leur expliquer les modalités de l’assurance-récolte, procéder à leur adhésion et, durant la saison suivante, faire le suivi des récoltes, mesurer les pertes, monter les dossiers d’indemnités. C’était l’époque où l’on exigeait une grande adaptabilité, on pouvait vous changer de région à chaque année, le statut d’emploi était contractuel et il y avait peu de bénéfices marginaux.

J’ai quitté cet emploi au bout d’un an et demi pour aller démarrer une ferme coopérative de production de fines herbes et épices au lac Saint-Jean. Nous cultivions et distribuions des produits dans 225 épiceries et boutiques. Malheureusement, au bout de quatre ans de travail et de sacrifices, la concurrence nous a mis hors circuit et je me suis retrouvé un emploi pour la Régie des assurances agricoles du Québec, organisme né de la fusion de l’assurance-récolte (ASREC) et de l’assurance-stabilisation des revenus des producteurs agricoles (ASRA).

Mon travail s’est alors complexifié et est devenu de plus en plus intéressant. Il m’amenait à être souvent sur les fermes : inventaires des différentes productions animales, plans de ferme, mesure des champs, échantillonnage des cultures pour en déterminer les rendements, obtenir les plans de cultures des agriculteurs, les aider dans leur processus d’adhésion à l’ASRA et à l’ASREC, toucher à toutes les cultures fruits et petits fruits, cultures maraîchères, serres – bref, la meilleure école pour être au coeur de l’agriculture.

Le travail à faire était réparti par zones, et c’est durant cette période que j’ai commencé à connaître la région, ayant été assigné au comté de Brome-Missisquoi. Cela n’est pas sans rapport avec le fait que, plusieurs années plus tard, alors que j’avais obtenu le poste de conseiller régional au bureau de Sherbrooke pour la Régie des assurances agricoles, (j’ai fait la route de Cowansville à Sherbrooke matin et soir durant trois ans et demi), j’ai posé ma candidature à un poste qui s’ouvrait à Befdord pour le ministère de l’Agriculture. C’est début janvier 1995 que j’ai commencé à travailler au bureau local du MAPAQ : j’étais en territoire connu, autant du point de vue géographique qu’humain.

Le bureau de Bedford fait partie intégrante de la petite histoire agricole du comté de Brome- Missisquoi, avec une quinzaine d’employés à l’époque où le MAPAQ s’occupait encore de la gestion et de l’aménagement des cours d’eau agricoles, en plus de ses nombreux autres champs d’intervention. Quand je suis entré en fonction, le bureau local était situé en plein centre ville de Bedford, sur la rue Du Pont, face au beau vieil édifice des avocats Paradis. Les choses avaient déjà commencé à changer et l’équipe ne comptait plus que six personnes.

Le changement

Je tiens à préciser que mon texte aura comme trame de fond le changement qui nous avait été prédit par Alvin Toffler dans Le Choc du Futur. On sait tous maintenant que le changement est incessant et qu’il s’accélère sans cesse.

Donc, les choses avaient déjà commencé à changer : le MAPAQ avait délaissé la responsabilité des cours d’eau ainsi que d’autres secteurs comme les laboratoires d’analyses de sol, qu’il gérait jusqu’alors mais qui étaient déjà privatisés. Il avait renoncé graduellement à ses fermes expérimentales et un mouvement de réduction de la fonction publique commençait à se mettre en place. La réingénierie de l’État de M. Charest, ça vous rappelle quelque chose ?

D’ailleurs, c’est peu de temps après que les clubs d’agriculture durable, dont le Dura-Club de Bedford a été l’un des pionniers, ont été graduellement mis en place pour fournir des services jusqu’alors dispensés par le ministère, comme la production des plans de fertilisation et l’accompagnement des agriculteurs vers une démarche plus respectueuse de l’environnement. En passant, quand on parle de changement, il convient de reconnaître que la place de l’environnement dans les préoccupations de la société a imprimé la vie des agriculteurs, avec sa panoplie d’exigences règlementaires. Ainsi, durant ces années charnières, le travail consistait à aider à la mise en place de ces nouveaux intervenants qu’étaient les clubs d’agriculture durable, tout en faisant une priorité des enjeux locaux.

La qualité de l’eau

Dans la région, l’enjeu de la dégradation de la qualité de l’eau des ruisseaux et rivières prenait de plus en plus d’importance, comme partout où l’on pratique une agriculture intensive. Plusieurs auront en mémoire les premiers phénomènes d’apparition des inflorescences d’algues bleues dans la baie Missisquoi et le tollé médiatique que cela a provoqué dans les journaux. Le Devoir, sous la plume du Louis Gilles Francoeur, parlait de la soupe aux pois de la baie Missisquoi et l’agriculture était montrée du doigt comme étant largement responsable de cet état de fait.

Comme la municipalité de Bedford puise son eau de consommation dans la baie et que, dans les pires cas, on devait décréter des interdictions de consommation, il devenait évident qu’on devait impérieusement s’attaquer au problème. C’est donc dans ce contexte que nous avons choisi un cours d’eau coulant dans un milieu caractéristique de l’agriculture qui se pratiquait dans le coin pour documenter le phénomène et mettre en place des solutions appropriées. Le cours d’eau choisi a été le ruisseau Castor (encore nommé Beaver Brook sur les cartes).

Nous avons alors établi une collaboration avec le chercheur Aubert Michaud, docteur en sciences du sol à l’emploi de l’IRDA (Institut de recherche et développement en agroenvironnement). Première initiative : rencontrer les agriculteurs riverains pour obtenir leur collaboration, ceux-ci étant les premiers touchés et concernés par ce projet. Ensuite, installer un dispositif de prises de mesures pour déterminer les concentrations d’éléments nutritifs, mesurer également les débits d’eau en fonction des précipitations, la richesse des sols et sa distribution, les pratiques culturales, les fumiers et engrais épandus, bref, comprendre notre problème afin de proposer des solutions appropriées. Un comité informel d’agriculteurs a aussi été formé et des réunions d’information ont été tenues dans le but de leur fournir un compte rendu des résultats.

Une coopérative pour changer les choses

Durant cette période, comme les effectifs du MAPAQ se réduisaient comme peau de chagrin, nos gestionnaires nous ont enjoint de travailler avec des groupes reconnus d’agriculteurs de façon à ce que notre impact soit plus important que celui qu’on obtenait auprès d’individus. Il a donc été décidé de se donner une structure légale et d’agrandir notre territoire d’intervention, soit tout le bassin versant de la rivière aux Brochets. En 1999, la Coopérative de solidarité du bassin versant de la rivière aux Brochets est fondée pour travailler à l’amélioration de la qualité de l’eau provenant du milieu agricole. Le conseil d’administration était composé d’agriculteurs et l’organisme était soutenu par le bureau du MAPAQ.  Les mesures prises sur le bassin versant du ruisseau Castor ayant permis de démontrer qu’il y avait effectivement des fuites d’éléments nutritifs dans l’eau et que celles-ci provenaient en bonne partie du ruissellement de surface, la Coopérative de solidarité du bassin versant de la rivière aux Brochets a pu aller chercher de l’appui financier au MAPAQ pour entreprendre des actions concrètes afin de juguler le phénomène. Il s’agissait de réparer les fissures dans les bandes riveraines, de stabiliser les sorties de drainage et ponceaux, d’élargir les bandes riveraines en plantant des arbres et arbustes sur les rives pour les stabiliser et mieux filtrer les eaux de ruissellement, en ajustant la fertilisation des cultures, en épandant les fumiers dans des champs moins vulnérables et en mesurant l’effet de ces interventions. Les premiers résultats démontrant que cela avait un effet positif, notre mode d’intervention a servi entre autres de modèle pour l’élaboration du programme Prime Vert par le ministère, programme qui a été proposé à l’échelle provinciale.

 

Un laboratoire à ciel ouvert

Au cours des années suivantes, la coop a continué à réaliser des actions correctives sur le terrain. Le programme provincial nous permettant d’avoir accès à un appui financier gouvernemental prévisible et la région est ainsi devenue un laboratoire à ciel ouvert car, en plus des projets réalisés sur le terrain, des scientifiques de divers milieux, universités et instituts de recherche menaient des projets d’acquisition de connaissance sur les mécanismes de la pollution diffuse, les charges d’éléments nutritifs fuyant dans les cours d’eau. Cependant, comme les actions réalisées étaient dispersées sur le territoire, suivant le bon vouloir des agriculteurs, il était difficile de mesurer de manière significative les tendances à l’amélioration dans les cours d’eau traversant les terres agricoles.

J’ai alors commencé à imaginer une action plus concertée et l’idée de travailler sur des secteurs plus restreints mais avec l’ensemble des agriculteurs a peu à peu fait son chemin dans mon esprit. Ainsi, en 2006, je suis allé à Québec en compagnie de mon patron d’alors, le directeur régional de la région Montérégie- Est, afin de rencontrer deux sous-ministres à qui j’ai présenté ma vision, proposant la mise en place d’un système global de protection des cours d’eau, soit une bande tampon de culture pérenne du début à la fin des cours d’eau d’une largeur suffisante pour être récoltable, le tout complété par une série d’ouvrages de contrôle du ruissellement en surface qui permettrait l’évacuation de cette eau en douceur et, surtout, le passage de la machinerie agricole d’un champ à l’autre, d’une terre à l’autre. Cette idée était plutôt révolutionnaire sous plusieurs aspects, notamment en ce qui concerne la notion de passage d’une terre à l’autre, les agriculteurs étant habitués à faire chacun leur petite affaire chez eux.

Enfin, l’idée a été jugée suffisamment intéressante pour que j’obtienne la promesse d’examiner les façons de trouver du financement pour essayer la formule. Environ six mois plus tard, le central nous contactait pour nous proposer de l’expérimenter sur cinq cours d’eau de la section agricole intensive, avec la Coopérative de Solidarité du bassin versant de la rivière aux Brochets comme porteur du projet et un financement majoritairement fédéral via un programme pancanadien permettant de réaliser des projets pilotes qui avaient pour fonction d’alimenter la réflexion des décideurs politiques lors de la conception de futures politiques agricoles.

Le projet devait durer deux ans et un travail titanesque nous attendait : rencontrer les agriculteurs pour leur en expliquer la nature et obtenir leur adhésion, passer à travers les exigences administratives de tous genres . études d’impacts environnementaux préalables et permis divers, réalisation des ouvrages mécanisés nécessaires, préparation des terres à semer, etc. Ce furent deux années très intensives mais enrichissantes, stressantes mais satisfaisantes, animés que nous étions par le sentiment de réaliser quelque chose de bien pour l’agriculture et la société en général. Si l’équipe du MAPAQ de Bedford y a participé, un grand mérite revient à Mireille Molleur en particulier, qui est sortie de sa retraite pour travailler au projet, et au conseil d’administration de la Coop de solidarité composé M. Ernest Gasser, M. Jacques Messier et sa conjointe Marie Claire Messier, M. Sylvain Duquette et Mme Thérèse Monty.

Quelques données sur les réalisations issues du projet : participation des agriculteurs à hauteur de 86 %, établissement de bandes riveraines élargies et de plaines inondables en cultures pérennes sur près de 100 hectares, ouvrages de contrôle du ruissellement sur 650 sites différents, sensibilisation sur la protection des cours d’eau et le respect des bandes riveraines à la grandeur du comté et au-delà. Bref on peut parler d’un beau succès et cela a été largement dû à l’ouverture d’esprit des agriculteurs du comté.

Puis ce fut le silence radio de la part des autorités

À la suite du projet, mon espoir était que les gouvernements perpétuent et étendent cette approche, mais j’ai été déçu. J’ai présenté les résultats à un forum national à Ottawa, mais ensuite ce fut le silence radio. Il semble que, en haut lieu, on préfère essayer de réparer a posteriori plutôt que de prévenir en amont. Il faut aussi dire que l’état des finances publiques est sûrement un facteur. On le voit bien aujourd’hui avec le retrait de l’État dans beaucoup de secteurs. Je crois cependant que, en tant que citoyens, on finira par payer la note de ces choix.

vol12no3_dec_2014_janv_2015_6Je pars à la retraite bientôt : j’ai le sentiment d’avoir fait de mon mieux et je peux marcher la tête haute. Je dois encore une fois rendre hommage aux agriculteurs du comté qui ont été mes supporteurs et complices dans ces projets (il y en a plusieurs dont je n’ai pas mentionné le nom ici, espace oblige) et je dis à l’ensemble des gens du comté : « respectez vos agriculteurs, ils constituent le fondement et la trame de notre société ».

Je pars cependant avec une préoccupation personnelle que je veux partager : la maîtrise de l’agriculture par les géants de l’agrobusiness, les quelques multinationales qui ont commencé à jouer à l’apprenti-sorcier avec les plantes en manipulant les bases de la vie, les gènes. Les OGM (organismes génétiquement modifiés) sont maintenant la norme dans les grandes cultures. L’essentiel du maïs et du soya plantés dans les champs autour de nous résulte de la manipulation génétique. Beaucoup de ces plantes sont ce qu’on appelle Round-Up Ready, ce qui veut dire qu’elles résistent au glyphosate, un herbicide utilisé depuis longtemps. Saviez-vous cependant qu’on retrouve maintenant du glyphosate dans tous les organismes vivants – plantes humains, animaux – dans tous nos cours d’eau, dans le sang des foetus ? Quel sera l’effet à long terme ?

On nous avait vendu l’idée des OGM en faisant valoir qu’on allait réduire la quantité de pesticides présents dans l’environnement ; or, ces plantes ont plutôt entraîné une augmentation de l’usage du Round-Up Ready. Maintenant, les compagnies semencières ne vendent à peu près plus que des OGM et, en outre, les semences sont enrobées d’un cocktail de fongicides et d’insecticides systémiques dont les fameux néonicotinoïdes, qui sont dommageables pour les insectes pollinisateurs, les abeilles entre autres.

Ces compagnies ont introduit leurs organismes génétiquement modifiés en prétendant qu’ils allaient contribuer à contrer la faim dans le monde. Je n’en crois pas un mot : la faim dans le monde ne vient pas d’un problème de production de nourriture, mais de la mauvaise distribution de la richesse à laquelle l’humanité est confrontée et le fondement de la stratégie des grandes compagnies semencières est de rendre les agriculteurs dépendants de leurs produits. Les multinationales n’ont pas de coeur et pas d’âme ; elles sont aux mains de gestionnaires dont le but est de maximiser leurs profits. Ce sont tous les acteurs de la chaîne qui en sont victimes, autant les vendeurs d’intrants que les agriculteurs et, ultimement, les consommateurs citoyens. Pourquoi croyez-vous qu’ils se débattent comme des diables dans l’eau bénite pour empêcher l’identification des OGM dans les produits : parce qu’ils savent que le consommateur qui verra que le produit contient des OGM laissera celui-ci sur la tablette.

Je tiens à préciser en terminant que ce sont là mes propres opinions et que cela n’engage pas mon ex-employeur, le MAPAQ.