Dans le numéro précédent, nous avions eu la surprise d’apprendre qu’une princesse avait grandi et vécu au bord de la baie Missisquoi (ici, chez nous !) jusqu’a l’âge de 17 ans. Nous reprenons donc le fil de ce récit qui a tout d’un conte de fée, en nous inspirant largement de l’article de Luc Chartrand publié en 1979 dans Châtelaine.
Agnès Joy, notre héroïne et future princesse, quitte le village de Philipsburg…pour se retrouver sur la corde raide, alors qu’un cirque ambulant l’engage comme écuyère vers 1857. Elle ne connaît toutefois aucun succès avec ses représentations hippiques et tente plutôt sa chance comme funambule. Son premier numéro consiste à gravir un fil métallique tendu entre le sol et le mât de la grande tente. Un journaliste de Washington raconte que le soir de la première, il faisait froid et venteux tandis que la fille vêtue de rose et d’argent tentait sa périlleuse ascension. Agnès décide quand même de poursuivre. À mi-chemin, elle perd pied et elle est miraculeusement attrapée au vol par un acrobate qui surveillait sa progression ! Téméraire, la jeune débutante reprend son ascension et réussit l’exploit devant une foule haletante, qui lui fait une ovation monstre !
Il est probable qu’Agnès a effectué plusieurs tournées au Québec, se produisant peut-être même à Philipsburg. C’est à cette époque qu’elle troque son nom contre celui d’Agnès Leclercq. « Comme on le voit, écrit l’historien Philippe Laferrière, elle avait déjà le goût de la particule… ».
Certaines sources prétendent aussi qu’elle fut actrice de théâtre, mais on n’en sait pas plus. Il s’agit sans doute d’une confusion née de ses activités dans le monde du spectacle.
Quoi qu’il en soit, ce n’est ni le cirque, ni le théâtre qui en firent une célébrité internationale. Alors qu’elle n’a que 21 ans, les vacances qu’elle passe chez sa sœur Della, à Washington, vont modifier le cours de son existence. Les recherches deviennent alors moins compliquées, car Agnès prend la géniale initiative de rédiger ses mémoires, une autobiographie des 10 années ultérieures, sous le titre original de Ten Years of my Life.(Ce rarissime volume, publié en 1875, a miraculeusement survécu jusqu’à nos jours !)
En 1862, en pleine guerre de Sécession aux États-Unis, Agnès Leclercq se retrouve derrière le front nord, et l’animation qui règne dans la capitale n’est pas pour lui déplaire, comme on s’en doute… Elle écrit : « l’enthousiasme militaire qui règne à Washington est à son paroxysme, et les femmes, bien sûr, n’échappaient pas à cette épidémie ; en fait, elles étaient encore plus excitées que les hommes ! Ne pouvant s’enrôler, elles consacraient le meilleur d’elles-mêmes à encourager les héros. Les pauvres civils n’avaient alors pas beaucoup de chances auprès d’elles. Apollon lui-même serait passé inaperçu s’il n’avait porté des galons ! »
C’est dans cette atmosphère de culte de l’uniforme qu’Agnès rencontre son beau prince qui, lui, ne manque pas de galons : le colonel Félix, prince de Salm-Salm ou encore Félix Constantin Alexandre Nepomucene zu Salm-Salm (Félix pour les intimes…), deuxième fils du souverain de la principauté westphalienne de Salm-Salm, en Prusse. Né à Noël 1828 (alors que, coïncidence, Agnès est née aussi à Noël, mais en 1840), il a eu une jeunesse plutôt turbulente au cours de laquelle il flambe sa fortune, en plus de contracter d’énormes dettes. À 33 ans, il décide de s’éloigner un peu de ses créanciers et trouve refuge aux États-Unis. N’ayant d’autre métier que celui des armes (et de coureur de galipote…), il s’engage comme mercenaire aux côtés du général Blenker. Agnès ne s’inquiète pas des erreurs de jeunesse de son futur époux et ne sembla pas impressionnée outre mesure par le rang que lui conférerait son union. Elle aima l’homme.
(suite et fin dans le prochain numéro)