Lamproie sur une truite
En circulant dans le village de Notre-Dame-de-Stanbridge, faudrait être aveugle pour ne pas remarquer la nouvelle structure spectaculaire apparue à la fin de l’automne dernier sur le cours d’eau qui borde l’hôtel de ville à l’ouest. Nouvelle version d’un barrage hydro-électrique ? Piscine de style futuriste ? Piège à soucoupes volantes ?
En conversant avec madame Simard Gendreault, mairesse de Notre-Dame, j’ai rapidement compris qu’aucune de mes hypothèses farfelues n’était fondée. « La structure que vous voyez devant vous est une barrière de capture des lamproies marines. », m’expliquera madame Gendreault. « Au fil des années, les chercheurs se sont aperçus que les eaux de la baie Missisquoi et du lac Champlain hébergeaient une population toujours croissante de lamproies marines, une espèce qui, à l’âge adulte, se nourrit du sang des autres poissons. Or les blessures qu’elle inflige affectent les populations de poissons et les chercheurs attribuent à la prédation de la lamproie la diminution sensible des salmonidés, des truites, du doré jaune et du touladi dans les eaux du lac Champlain. »
Comme la pêche sportive représente une activité lucrative pour les localités américaines avoisinant le lac Champlain, le Département de l’intérieur des États Unis, par l’intermédiaire du U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS), a entrepris de protéger non seulement les espèces indigènes mais également les ensemencements de poissons réalisés aux frais des contribuables. Parmi les méthodes de contrôle des lamproies marines dans le lac Champlain, l’USFWS a recours à un pesticide, également appelé lampricide : le TFM. Or, en raison des risques environnementaux liés à l’usage des pesticides, les autorités québécoises privilégient plutôt une méthode mécanique pour lutter contre la lamproie.
Mais que vient donc faire le gouvernement québécois dans cette guerre à la lamproie marine ?
C’est que le ruisseau Morpions, un affluent de la rivière aux Brochets qui passe sur le territoire de Notre-Dame-de-Stanbridge, est considéré comme un important lieu de reproduction de la population de lamproies marines du lac Champlain. Aïe !
Impasse intergouvernementale ?
Eh bien non !
En 2013, une entente est intervenue entre le gouvernement des États-Unis, le gouvernement du Québec et la municipalité de Notre-Dame-de-Stanbridge, entente qu’on peut qualifier d’exemplaire. Les parties ont convenu de la construction et de l’exploitation d’une barrière de capture qui sera en opération chaque année d’avril à la fin juin. Le gouvernement des États-Unis a entièrement financé la construction de la structure métallique et des matériaux amovibles, et en demeure propriétaire. Chaque année et pour toute la durée de l’entente, la municipalité de Notre-Dame sera dédommagée financièrement pour la location du terrain, la maintenance des installations, l’opération de la barrière, la capture des lamproies et la relâche en amont des espèces non ciblées. La municipalité a également reçu l’engagement que, advenant qu’il n’y ait plus de raison d’opérer la barrière, le gouvernement américain se chargerait de démanteler les piliers de béton, ramenant ainsi le ruisseau Morpions à son état original. Au final, suite à une autorisation du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), la barrière à lamproie respectera toutes les exigences environnementales du Québec.
« Pour voir cette merveille technique à l’œuvre, conclut madame Simard Gendreault, la municipalité de Notre-Dame-de-Stanbridge et les représentants du U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS) vous invitent à assister à l’inauguration de la barrière le jeudi 15 mai prochain, à 11 heures. Des experts américains seront sur place pour faire une présentation sur la construction et l’opération de la barrière, et pourront répondre à vos questions. Ne manquez pas ce rendez-vous ! »