L’artiste n’est pas une personne d’une espèce différente, mais toute personne est une différente espèce d’artiste.
Éric Gill, philosophe
En Armandie, grâce à l’imagination créatrice d’un grand nombre d’artistes et d’artisans, la culture rayonne bien au-delà de notre région. C’est pourquoi les propos que je tiendrai dans Le Saint-Armand porteront essentiellement sur l’art, la créativité et la culture. Toutefois, j’accueillerai les questions et commentaires des lectrices et des lecteurs du journal de l’Armandie. Et dans certains cas, j’y répondrai.
La créativité n’est pas le fief absolu des artistes. Voilée ou dévoilée, elle se manifeste dans toutes les sphères de la société. Un mécanicien peut être aussi créateur qu’un artiste et un agriculteur, en symbiose avec la nature et s’adaptant aux fluctuations du climat, peut être aussi inspiré qu’un poète dans sa recherche de solutions en lien avec l’exploitation de ses terres. Bien que le terme « artiste » désigne une personne qui consacre sa vie à une forme d’art, toute personne humaine, dans son quotidien, a recours à son imagination créatrice pour trouver réponse à ses questions. La première vertu d’un artiste, c’est son unicité. Tout en étant différent de tout humain, tout humain est semblable à tout humain.
Semblable mais jamais identique. Il est unique dans la mesure où il crée une image à sa ressemblance. C’est en étant le plus et le mieux lui-même que l’artiste digne de ce nom finit par être le reflet de son environnement et que son œuvre contribue à la création de l’identité culturelle de sa collectivité.
L’image idéale représentant le processus de toute forme de créativité est l’arbre. Dans toutes les civilisations de toutes les époques, les hommes ont établi une correspondance entre l’arbre et l’imagination. Comme l’arbre, enraciné à la fois dans le ciel et dans la terre, l’imagination unit la matière et l’esprit, la réalité et le rêve. Comme l’arbre, elle est une source perpétuelle de régénération et d’évolution. Évoluer, c’est changer. Changer, c’est créer. Créer, c’est se créer sans fin. Toute personne en quête de l’autonomie de sa pensée et de sa liberté d’action, s’engage dans un processus évolutif qui n’a pas d’autre finalité que la pleine et entière réalisation de soi. Elle ne crée pas seulement pour s’adapter à son milieu. Elle crée pour adapter son milieu à ses besoins. Pour mieux s’insérer dans le tissu social et mieux comprendre son environnement physique et culturel, elle pose des questions. Outre les réponses qu’elle obtient sur les plans sociopolitique et scientifique, elle cherche des réponses plus profondes en lien avec l’essence de son existence et finit par constater que le progrès de l’humanité réside dans la vision des créateurs qui imaginent le monde.
On dit qu’une image vaut mille mots. Mais, pour un poète, un mot, ce vers d’Éluard par exemple, « le dur désir de durer », peut valoir mille images. Dans ma thèse de licence en philosophie, tentant de cerner le sens de ce simple vers, j’ai écrit près de deux cents pages sans y parvenir vraiment totalement. Pour moi, ce vers garde toujours son mystère. Et c’est en cela qu’il est immortel et transcende les âges. Créer, c’est donc d’abord et avant tout créer l’image de soi-même, l’imaginer. La créativité est la carte d’identité d’un individu, l’expression de la différence, de ce qu’il y a d’unique dans la personne. Nous sommes ce que nous créons. Cependant, la créativité implique qu’on sorte des modèles établis pour voir les choses sous un angle différent. Créer, c’est établir de nouvelles relations en jetant un pont entre le connu et l’inconnu, entre ce que l’on sait et ce que l’on sent ou pressent. Plus on a d’outils pour exprimer l’image que l’on se fait de soi et du monde, plus grands seront les bras de notre arbre et mieux branchés nous serons pour embrasser la vie et fleurir, fleurir, fleurir.
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Beaudelaire, Correspondances
La métaphore de l’arbre étant à l’image du processus créatif, toutes les branches de l’art s’appellent et se répondent. Grâce à l’arborescence des imaginaires, l’art est essentiellement un moyen de créer des correspondances, des analogies entre les êtres et les choses. Tout est interconnecté, en correspondance avec tout. Bref, comme le disait le philosophe présocratique Anaxagore : touttt est dans touttt.
Entre les rives de la réalité et du rêve, entre la matière et l’esprit, entre le visible et l’invisible, entre l’individu et le peuple, l’art a toujours été le plus solide, le plus subtil et le plus beau pont pour traverser l’histoire de l’humanité et en comprendre le sens. Traverser le pont, c’est aller à la rencontre de l’autre pour lui transmettre l’essence de son identité, lui signifier la spécificité de sa présence et attendre un peu pour en recueillir l’écho.
L’art est le plus subtil, le plus mystérieux et le plus transcendant de tous les langages en ce sens qu’il est d’abord et avant tout la transmission de l’essence de l’existence. En cela, l’art est un métalangage. Le langage de l’au-delà et de l’en deça de la réalité. En cela aussi, l’art est la plus haute forme de communication parce qu’il est une tentative de lecture, d’interprétation et de traduction des mondes sombres ou lumineux qui gravitent autour et au cœur de la psyché humaine. Bref, faire de l’art, c’est d’abord marcher dans les pas de ceux qui ont tracé de nouvelles voies dans les forêts vierges de l’inconnu et, à son tour, laisser des traces de son passage en ce monde, des traces qui mènent vers des mondes nouveaux. Faire de l’art, c’est exprimer les secrets imprimés au fond de son être. L’impression est la source, le tremplin ; l’expression est le flot, le saut.
Une société qui n’a plus de rêve n’a plus d’avenir. Sans poésie, le monde n’a pas de saveur et l’existence perd son sens. Si les gens de raison s’occupent de la réalité, les poètes s’occupent du reste : du rêve, de l’infini et de l’éternité.
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