À mon avis, il était plus noir que brun quoique les avis aient toujours été partagés à ce sujet. Il s’appelait Poilu. Son allure relâchée et ses pattes de derrière, qui étaient légèrement plus courtes que celles du devant, donnaient l’impression qu’il était toujours assis, même en marchant. Son poil en broussaille lui tombait sur les yeux et le museau.
On se rappelle en riant du jour où Jacques, notre nouveau voisin un peu timide, lui avait mis les deux pieds sur la tête en croyant qu’il avait affaire à un coussin. Sa chienne Cybèle, elle, était plutôt câline. Son poil blond-roux était long et lisse. Sa taille fine et sa démarche gracieuse lui avaient valu le nom qu’elle portait avec un air un peu guindé.
Durant la semaine où Cybèle s’est installée avec son maître dans sa nouvelle demeure attenante à la nôtre, Poilu n’est presque pas sorti. Mais malgré ses airs d’indifférence, il passait la majeure partie de ses journées, le museau complètement collé à la fenêtre, à épier les faits et gestes de celle avec qui il allait devoir partager son domaine, jusqu’alors exclusif : la cour arrière.
Elle en examinait chaque recoin, flairait partout la présence sournoise de son nouveau compagnon et appréhendait à chaque instant de le voir surgir de derrière une poubelle ou un tas de planches. Mais comme il n’en fit rien, elle en vint à s’habituer à cette odeur, se disant qu’il s’agissait sans doute de celle d’un ancien résident.
Elle pouvait donc, avant que la terre ne gèle complètement, commencer ses fouilles archéologiques, d’autant plus qu’elle avait déjà repéré depuis trois jours l’odeur d’un nonosse enfoui sous la galerie.
Dès l’instant où elle se tourna vers cette direction, Poilu bondit du dossier du sofa où il était perché et vola vers la sortie, renversant sur son passage une lampe sur pied, un cendrier plein, un verre de jus, un tabouret et la guitare que Jacques avait laissée chez nous. Il atterrit finalement sur la porte qu’il heurta de plein fouet, cul par-dessus tête, posture dans laquelle nous étions habitués de le voir choir quand il était trop pressé pour constater que la porte était fermée.
Dès qu’il fut sur le balcon, il prit une attitude contenancée que je ne lui connaissais guerre. À peine émit-il un petit grognement.
Elle recula de deux pas, plus surprise qu’apeurée. Elle l’avait imaginé plus costaud et plus ras. Ils restèrent ainsi un bon moment comme deux acteurs qui auraient oublié la suite de leur scénario.
Pendant les quelques jours qui suivirent, chacun avait tenté par tous les moyens d’affirmer sa prééminence sur l’autre. Mais leur plaisir inexplicable d’être ensemble s’était vite imposé, et ils avaient vraisemblablement conclu une entente tacite des plus complexes selon laquelle la cour était partagée en deux territoires spécifiques intercalés.
Durant les premières semaines, Jacques n’autorisait Cybèle à sortir qu’en compagnie de Poilu qui connaissait bien le voisinage. « Quelle honte, pensait-elle, déambuler avec un tel bâtard au vu et au su de tout le monde ! »
Mais tout était bien différent de la banlieue où Cybèle avait grandi. Presque personne ne la complimentait sur sa grâce. Par ailleurs, on saluait gaiement Poilu qui ne se gênait pas pour sautiller autour des gens comme un écervelé. Les enfants couraient avec lui et ils s’amusaient ensemble à des jeux aussi incongrus que salissants.
Son plaisir le plus dégoûtant était de marcher dans la boue pour ensuite prétendre qu’il portait des gants de velours.
Elle se tenait toujours à bonne distance et feignait de ne rien remarquer de ces activités dégradantes.
Parfois, pourtant, en le voyant gambader ici et là avec son allure étriquée de pouf ganté, elle réprimait difficilement un désir fou de galoper autours de lui en jappant allègrement. Et quand il traversait la clôture ébréchée pour aller visiter le vieux boucher hilare, elle tournait en rond sur place, déchirée entre l’envie d’aller partager le festin et l’embarras de passer par un endroit aussi abject.
L’événement marquant dans la relation de Poilu et Cybèle s’est déroulé dans le grand placard du passage, un 24 décembre pluvieux. Marquant, d’abord parce que nous croyons qu’il a été à l’origine de la naissance de Noëlita, belle comme sa mère et tout en boule comme son père ; puis parce qu’après ce jour, Cybèle ne s’est jamais plus privée de ces plaisir bouffons qui agrémentent la vie des cabots.
Comment le tout avait-il commencé ?Nous ne le saurons jamais . Ce que nous savons, c’est que nos deux larrons se sont retrouvés dans l’armoire où tous les cadeaux étaient rangés et que quelqu’un, par mégarde, les y a enfermés.
e quelle façon ont-ils mis en marche l’aspirateur central encastré dans la penderie et lequel des deux a inopinément appuyé sur le bouton ? Cela restera toujours un mystère. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont hurlé dans un état de panique plusieurs longues secondes avant que nous arrivions à leur rescousse.
Quand nous avons ouvert la porte, tous les cadeaux étaient déballés. Plusieurs boîtes étaient même déchiquetées.
Le spectacle qui s’offrait à nos yeux était tordant. On aurait cru un animal à deux têtes vêtu pour le carnaval. Après que le contact de l’appareil eut été coupé, Poilu constata, à sa grande surprise, qu’il était encore vivant. Il nous servit alors une sortie de son style le plus cabotin. Enjambant le dégât magistral qu’il venait de causer, il passa lentement devant nous, la tête haute surmontée d’un casque de vélo retenu par un velcro rouge fluo et traînant derrière lui un long foulard de dentelle m i r a c u l e u s e m e n t accroché à sa queue.
Quant à Cybèle, elle resta terrée sous les décombres jusqu’à ce que le spectacle soit terminé. La seule raison pour laquelle elle se décida enfin à sortir est qu’elle craignait que l’un de nous ne lui referme la porte au nez.
Pour la première fois, elle était plus drôle à voir que Poilu. On aurait dit une jeune mariée ayant passé sa nuit de noce tout habillée. Enfiler une telle variété d’accessoires en si peu de temps tenait déjà de l’exploit. Mais le plus drôle était encore l’air indigné qu’elle parvenait à afficher malgré sa pilosité éparse et son œil totalement caché derrière une étoile de Noël dorée que nous n’avions pas réussi à hisser en haut de l’arbre.
Les enfants qui, de coutume, ne lui portaient que peu d’attention, étaient soudainement séduits. « Venez-voir l’accoutrement de la chienne à Jacques ! » s’écria Simon. « Elle est habillée comme dans un conte de fée, » dit Léa. « Elle sera notre princesse prisonnière et nous la délivrerons de ses ennemis. »
Poilu connaissait déjà très bien ce jeu. Il y tenait toujours le rôle du fou du roi. Quant à Cybèle, non pas qu’elle eût vraiment consenti à s’y prêter mais avec trois pattes coincées dans une manche de gilet, on peut difficilement se défiler d’une pareille invitation.
À la fin du jeu, Cybèle faisait vraiment partie de la troupe. Elle s’amusait franchement des mille accoutrements dont les enfants l’affublaient.
Depuis ce jour, quand un ami s’habille de façon un peu excentrique, tout tête haute surmontée d’un casque de vélo retenu par un velcro rouge fluo et traînant derrière lui un long foulard de dentelle m i r a c u l e u s e m e n t accroché à sa queue.
Quant à Cybèle, elle resta terrée sous les décombres jusqu’à ce que le spectacle soit terminé. La seule raison pour laquelle elle se décida enfin à sortir est qu’elle craignait que l’un de nous ne lui referme la porte au nez.
Pour la première fois, elle était plus drôle à voir que Poilu. On aurait dit une jeune mariée ayant passé sa nuit de noce tout habillée. Enfiler une telle variété d’accessoires en si peu de temps tenait déjà de l’exploit. Mais le plus drôle était encore l’air indigné qu’elle parvenait à afficher malgré sa pilosité éparse et son œil totalement caché derrière une étoile de Noël dorée que nous n’avions pas réussi à hisser en haut de l’arbre.
Les enfants qui, de coutume, ne lui portaient que peu d’attention, étaient soudainement séduits. « Venez-voir l’accoutrement de la chienne à Jacques ! » s’écria Simon. « Elle est habillée comme dans un conte de fée, » dit Léa. « Elle sera notre princesse prisonnière et nous la délivrerons de ses ennemis. »
Poilu connaissait déjà très bien ce jeu. Il y tenait toujours le rôle du fou du roi. Quant à Cybèle, non pas qu’elle eût vraiment consenti à s’y prêter mais avec trois pattes coincées dans une manche de gilet, on peut difficilement se défiler d’une pareille invitation.
À la fin du jeu, Cybèle faisait vraiment partie de la troupe. Elle s’amusait franchement des mille accoutrements dont les enfants l’affublaient.
Depuis ce jour, quand un ami s’habille de façon un peu excentrique, tout tête haute surmontée d’un casque de vélo retenu par un velcro rouge fluo et traînant derrière lui un long foulard de dentelle m i r a c u l e u s e m e n t accroché à sa queue.
Quant à Cybèle, elle resta terrée sous les décombres jusqu’à ce que le spectacle soit terminé. La seule raison pour laquelle elle se décida enfin à sortir est qu’elle craignait que l’un de nous ne lui referme la porte au nez.
Pour la première fois, elle était plus drôle à voir que Poilu. On aurait dit une jeune mariée ayant passé sa nuit de noce tout habillée. Enfiler une telle variété d’accessoires en si peu de temps tenait déjà de l’exploit. Mais le plus drôle était encore l’air indigné qu’elle parvenait à afficher malgré sa pilosité éparse et son œil totalement caché derrière une étoile de Noël dorée que nous n’avions pas réussi à hisser en haut de l’arbre.
Les enfants qui, de coutume, ne lui portaient que peu d’attention, étaient soudainement séduits. « Venez-voir l’accoutrement de la chienne à Jacques ! » s’écria Simon. « Elle est habillée comme dans un conte de fée, » dit Léa. « Elle sera notre princesse prisonnière et nous la délivrerons de ses ennemis. »
Poilu connaissait déjà très bien ce jeu. Il y tenait toujours le rôle du fou du roi. Quant à Cybèle, non pas qu’elle eût vraiment consenti à s’y prêter mais avec trois pattes coincées dans une manche de gilet, on peut difficilement se défiler d’une pareille invitation.
À la fin du jeu, Cybèle faisait vraiment partie de la troupe. Elle s’amusait franchement des mille accoutrements dont les enfants l’affublaient.
Depuis ce jour, quand un ami s’habille de façon un peu excentrique, tout le monde s’écrie : « Regardez, il est atriqué comme la chienne à Jacques ! »