Annonce
Annonce
- DERNIÈRE HEURE -- Fibre optique -

Internet haute vitesse, le piège

Pierre Lefrançois

Tout le monde s’entend sur la nécessité d’avoir un accès efficace, robuste et abordable à Internet haute vitesse et on convient volontiers qu’il s’agit désormais d’un service essentiel, notamment pour le travail à domicile, les études et le maintien des contacts sociaux et familiaux.

En 2015, nos gouvernants semblaient avoir compris qu’il fallait investir rapidement afin de doter toute la population d’un tel service, puisqu’il y a encore de nombreuses personnes qui n’y ont pas accès. On a donc mis sur pied, à Québec comme à Ottawa, des programmes visant à inciter les entreprises de télécommunication à construire des réseaux dans les endroits mal desservis.

Devant le peu d’empressement des grandes firmes de télécom à déployer de tels réseaux en milieu rural, notamment parce que c’est peu rentable là où la densité de population est plus faible que dans les grandes villes, des coopératives et des organismes à but non lucratif (OBNL) ont pris le relais, souvent soutenus par des conseils municipaux ou des municipalités régionales de comté. N’étant pas à la solde d’actionnaires gourmands comme ceux des grandes firmes, les coopératives et les OBNL sont davantage susceptibles d’offrir un service de qualité à un prix abordable.

En 2017, les gouvernements fédéral et provincial décidaient finalement de financer de telles initiatives et d’ouvrir les cordons de la bourse afin de combler les disparités régionales dans la connectivité à Internet. Des centaines de millions étaient ainsi investis dans divers projets de déploiement de fibre optique, la technologie la plus efficace, la plus robuste et la plus fiable à long terme. C’est ainsi que, dans Brome-Missisquoi, IHR Télécom, un OBNL issu des milieux municipaux, a obtenu le mandat de construire un réseau de fibre optique dans les secteurs mal desservis de la MRC. Cet OBNL a fait le choix de déployer la fibre optique jusqu’aux domiciles, commerces et institutions afin de maintenir la meilleure qualité possible à long terme.

Les débuts ont été lents et difficiles, Bell et Hydro-Québec, les propriétaires des poteaux, montrant peu d’empressement à autoriser l’accrochage de la fibre à leurs structures et à faire les réparations lorsque c’était requis. Cependant, à force d’efforts et de patience, on commence enfin à être branchés à Pike River, Notre-Dame-de-Stanbridge, Stanbridge-Station, Bedford, Canton de Bedford, Saint-Armand et Stanbridge East. Et les travaux progressent rapidement à Dunham, Frelighsburg et ailleurs.

Ça marche !

 Les chanceux qui sont branchés au réseau d’IHR peuvent vous le dire, ça fonctionne à merveille. En ce qui me concerne, depuis que la fibre optique est branchée à mon domicile, les économies réalisées sont de l’ordre de 50 à 60 % pour la ligne téléphonique et la connexion à Internet. Pour le téléphone, nous avons les mêmes services de téléphonie avancée que ceux que nous avions avec Bell (afficheur, répondeur, appel en attente, appels-conférence, etc.), avec moins de défaillances de la ligne et une meilleure qualité sonore. Notre connexion à Internet est de 25 à 30 fois plus rapide que ce qu’elle était auparavant et les interruptions de service sont pratiquement inexistantes, contrairement à ce à quoi nous étions confrontés avant l’arrivée de la fibre optique.

En d’autres mots, depuis des années, nous payons tous beaucoup trop cher pour des services médiocres. Nous sommes floués depuis belle lurette et la mise en service, encore très partielle, du réseau d’IHR, en fait la démonstration irréfutable. Les responsables de cette arnaque, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, ce sont les grandes firmes de télécom, bien sûr, mais également les gouvernements  fédéral et provincial, qui n’osent pas faire preuve d’assez d’autorité afin de faire cesser les petits jeux, d’une indécence innommable, auxquels se livrent ces voyous corporatifs.

Et pourtant…

Malgré le succès d’IHR et de ses semblables au cours des dernières années, en dépit de la démonstration magistrale de l’efficacité de cette approche, nous sommes forcés de constater que l’actuel gouvernement du Québec fait tout pour saboter le travail. On semble bel et bien avoir décidé de sortir les coopératives et les OBNL du dossier de la connectivité à Internet haute vitesse. Depuis le printemps 2020, le gouvernement québécois tend à rejeter les soumissions des coopératives et OBNL pour plutôt accorder les mandats aux grandes firmes de télécom.

Lorsque j’ai demandé l’accès aux soumissions présentées par Bell, qui venait d’obtenir trois de ces mandats dans la MRC du Haut-Richelieu (en mai 2020), j’ai essuyé une fin de non-recevoir. Mes demandes visant à connaître la nature de ces mandats sont également demeurées sans réponse. Je n’ai pas davantage reçu de réponse lorsque j’ai demandé si, dans le cas où ils lui étaient accordés, Bell amènerait la fibre à domicile ou si une autre technologie était envisagée. En septembre 2020, quatre mois après l’attribution de ces mandats, j’apprenais de source sûre que les devis de Bell n’étaient pas encore rédigés. Est-ce à dire que ces contrats ont été attribués sans qu’une soumission soit déposée en bonne et due forme ? Est-ce à dire que les soumissions déposées par les coopératives et les OBNL ont été mises au rancard et que les mandats ont été accordés suivant une nouvelle procédure dont les détails seraient inconnus ? Si ce n’est pas criminel, c’est pour le moins délinquant d’un point de vue administratif. Au moment d’écrire ces lignes, toutes ces questions restent sans réponse.

Le piège

Ce silence pourrait légitimement porter à croire que nos élus à Québec ont succombé aux discours trompeurs des lobbyistes qui représentent les grandes firmes de télécom : ce gouvernement serait en voie d’abandonner le principe de la fibre optique à domicile au profit d’une desserte sans fil (4G LTE et bientôt 5G) ou par câble, des technologies moins efficaces, moins robustes et moins fiables que la fibre à domicile. Cette desserte de moindre qualité serait de plus offerte par les mêmes entreprises qui pratiquent des tarifs indécents depuis des décennies pour des services médiocres. Nous sommes piégés par les Bell de ce monde, avec la complaisante complicité de nos élus. Cherchez l’erreur !

Si on les laisse continuer de la sorte, je parie qu’une grande firme de télécom va bientôt chercher à racheter le réseau de fibre optique construit et opéré par IHR. Quand nous en serons là, il ne faudra pas les laisser faire si nous voulons préserver la qualité des services et les tarifs compétitifs que nous offre actuellement IHR.

Et quand ils refuseront de donner le même service aux voisins, il faudra les talonner sans relâche, parce que tous les Québécois et tous les Canadiens ont droit au même traitement. Quoi qu’en disent les lobbyistes et quoi qu’en croient les élus.

Au moment d’écrire ces lignes, en février 2021, des techniciens s’affairent à relier des câbles terminaux de fibre optique aux résidences du secteur Pigeon Hill de Saint-Armand, tandis que d’autres, un peu partout sur le territoire de Brome-Missisquoi, poursuivent les travaux nécessaires au déploiement du réseau. C’est ce qui doit arriver et on ne devrait pas laisser quiconque y mette un terme. Désormais bien informés, les citoyens n’accepteraient pas un retour en arrière. Il y a tout de même des limites à entraver ou à permettre qu’on entrave la mise en place d’un service essentiel.

En même temps, le 19 février, nous apprenons que le gouvernement québécois investira, d’ici 2023, 450 millions dans un projet visant à mettre en orbite basse 298 satellites qui envelopperont la planète d’un gigantesque quadrillage d’antennes, afin d’offrir la connectivité Internet par cellulaire. Bref, notre argent sert à nous orienter dans la mauvaise direction en priorisant la connectivité sans fil, plutôt que la fibre optique. Devons-nous remercier nos élus de nous tendre ce piège ?

Concluons avec les mots que chantait Gilles Vigneault en 1975 à Robert Bourassa, le premier ministre de l’époque ; ils sont tout aussi à propos pour François Legault en 2021 :

À s’mer du vent de cette force-là
Tu t’prépares une joyeuse tempête
Peut-être ben qu’tu t’en aperçois pas.

Gilles Vigneault, extrait de la chanson
Lettre de Ti-cul Lachance à son premier sous-ministre.

 Écouter la chanson, interprétée par Pauline Julien :

https://www.allformusic.fr/pauline-julien/retrospective-compil

ou

https://www.youtube.com/watch?v=vGQbPPpaJmY