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- Gens d'ici -

Hans Ulrich Kaiser

Éric Madsen

Terry, Hans, Michelle, Catherine et Adrianna  (Photo : Archives famille Kaiser)

Il n’y a pas si longtemps, Rumland était un tranquille petit village. Aujourd’hui c’est devenu l’une des ban­lieues de Zurich (Suisse). C’est dans ce village qu’est né Hans en 1952, entouré, à l’époque, de deux jeunes frères. Troisième garçon d’une lignée de cinq frères et d’une sœur, il a grandi dans un milieu rural. Le père élevait son troupeau et récoltait des fruits dans des vergers situés sur des terres louées à l’État. La rareté des terres, qui caractérise certains pays d’Europe, aura une grande influence sur le destin de Hans. Devant l’impossibilité de prospérer et de faire vivre sa marmaille, son père envisage sérieusement d’émigrer. D’autant plus que la menace d’une expro­priation en vue de faire place à une autoroute devient de plus en plus réelle. Et puis, le prix des terres est exorbitant ; il faudrait que la famille hérite d’une fortune pour être en mesure d’acheter une terre dans son propre pays.

En 1974, dans le cadre d’un échange Canada-Suisse, Hans ira travailler pendant six mois sur une immense ferme céréalière de l’Alberta. Tout un contraste pour le jeune homme, qui est impressionné par les grandes étendues ! Peu de temps après son retour au pays, son père décide enfin de prendre contact avec un agent, dans l’espoir d’acheter une terre en Amérique. Ils auront été nombreux ces Suisses, Belges et autres Européens à acheter des terres ici et ailleurs au Québec. De s même que les « agents » locaux qui profiteront largement de cette manne financière.

La maman, le papa et le frère aîné viennent donc visiter des fermes de ce côté-ci de l’Atlantique. Ils en verront plusieurs. On les trimballe dans toute la vallée du Richelieu, on passe même à Saint­-Armand mais, finalement, la famille se décide pour une terre à Noyan. Entre­temps, Hans, impatient de savoir de quoi il en retour­nera, occupe son temps au verger, à l’étable, voire même à la « cannerie » familiale. Puis, finalement, en 1975, la famille s’em­barque, comme bien d’autres, pour la grande aventure.

Arrivés en « nouveau monde >>, les deux frères aînés prennent les choses en main ; ententes avec les institutions bancaires, achat des machineries, etc. En peu de temps, on repart en neuf avec 60 têtes de bétail et 300 acres. Fritz, le frère de Hans, qui est aujour­d’hui bien connu, retourne en Suisse peu de temps après son arrivée afin de terminer son apprentissage dans une école de fro­magerie. Sa sœur y retourne elle aussi, pour s’occuper du grand-père et compléter ses études. Finalement, elle décide de rester au pays de Guillaume Tell.

La Suisse, c’est en fait trois Suisses : la française, l’italienne et l’allemande. Donc, trois langues sur un si petit territoire. Avec un nom pareil on devine bien qu’elle était la langue maternelle de Hans. On comprend aussi que la con­quête de Catherine Kuhne, cousine d’une voisine et elle aussi Suisse­-Allemande, sera facilitée par la langue qu’ils ont en commun. Si bien que, en juillet 1977, ils se marient à Bedford.

Comme les Kaiser avaient acheté beaucoup de produits John Deere, pour les remercier, le fabricant offrit à la famille un voyage gra­tuit à ses installations aux États-Unis. Hans fût invité. Curieux de voir plus de pays que la première fois, il organisa donc son voyage de noces dans la même région, passant plusieurs jours avec sa douce dans les campings du corn belt américain, sous des chaleurs accablantes.

Catherine, Cathy pour les intimes, est l’aînée des trois filles de la famille. Au début des années 1950, Walter Kuhne, son père, avait quitté sa Suisse natale pour s’installer à Saint-Armand sur une ferme du rang Saint­Henri. Inversons un vieux dicton et disons « qui prend épouse, prend pays>> ; Hans se retrouve chez le beau­père. Celui-ci, encouragé par la vaillance de son gendre, n’hésite pas longtemps avant de lui offrir de partager la ferme légalement. Les beaux­parents finissent par déménager pas très loin, et le nid est fondé.

Stéphanie, David, Terry et Franzie poussent dans les choux du jardin secret. Au début des années 1980, la ferme roule à fond. Terry veut suivre les traces de son père. Drôle de coïncidence, il profitera du même pro­gramme d’échange qui avait amené Hans en Alberta, mais pour aller en Nouvelle­Zélande. Séjour déjà raconté dans nos pages. En 1985, Hans et Cathy deviennent uniques propriétaires de la ferme. Membre actif au sein de la QFA*, un regroupe­ment d’entraide et de socialisation pour les culti­vateurs anglophones, ainsi que membre d’une associa­tion de cultivateurs suisses, Hans s’active lors des débats et des échanges. Si bien que, par la force des choses, il se lance en cam­pagne électorale pour un poste de conseiller à la mairie de Saint-Armand. Il gagne. Bien assis sur son siège, il tente de faire les choses « le plus correcte­ment possible » et de rester « le plus neutre qui soit », dira-t-il. Le premier mandat n’est pas de tout repos : la lecture de nombreux docu­ments accapare son temps précieux et des décisions déchirantes concernant le nouveau centre communau­taire doivent être prises. Quatre ans plus tard, il sera nommé, faute d’opposant. À l’issue d’un court terme de deux ans, il perd au profit de Réal Pelletier. Presque soulagé, il rentre dans ses terres l’esprit en paix.

Pendant ce temps, la ferme s’agrandit. Les Kaiser achètent celle du voisin en 1999. Coup du hasard, Hans devient mon nouveau voisin ; dorénavant nous partageons ensemble la vieille clôture à Roméo.

Le samedi 16 juin 2001, la température est lourde et humide. Depuis quelques jours nous sommes en pleine canicule. Annoncé par les médias, un gros orage approche en noircis­sant le ciel. Je m’en sou­viens très bien : mon fils et moi sommes dehors en costumes de bain, savourant les premières gouttes salva­trices de cette chaude pluie en attendant le « mauvais grain ». Hans est au télé­phone avec son frère lorsqu’un effroyable éclair embrase son transformateur. Instantanément, la ligne est coupée et presque toute 1′ in­stallation électronique de la maison flanche. L’éclair suit les fils conducteurs pour aboutir à la laiterie. Juste avant de dire à fiston de ren­trer, car on sent que ça va « brasser », mon regard se tourne vers le nord-ouest. Vers la masse sombre de l’orage approchant avec, en son centre, une énorme boule de feu… Oh ! merde … , nous sommes ­ nous dit, la grange des Kaiser brûle.

La plupart des pompiers participaient à une noce à Philipsburg. Selon Hans, certains se souviennent encore d’avoir entendu une déflagration provenant du Saint-Henri et d’avoir échangé des regards inquiets.

Dans chaque malheur il y a parfois des évènements chanceux. Exceptionnel­lement, Hans avait fini son « train » plus tôt ce soir-là.

Les vaches étaient déjà dehors quand la foudre est tombée. Avec l’aide de bon(ne)s samaritain(e)s, il a réussi à sauver quelques veaux.

Hans est un homme croyant. Malgré l’épreuve et avec l’aide de son ciel et du réconfort de son fils Terry, il a su se relever très vite. Aujourd’hui, il philosophe un peu. « Dans la vie, il y a des épreuves plus difficiles, les exemples ne manquent pas ; pensez à la maladie, aux famines, aux tremble­ments de terre >>.

Avec l’acharnement qu’on lui connaît, il s’est remis à la tâche. Quatre mois plus tard, les vaches étaient revenues au bercail. « Les gens ont été bons pour nous », s’empresse d’a­jouter Cathy. Et Hans de renchérir, la larme à l’ oeil : « quand on tient les choses trop fort dans les mains, c’est pas bon, il faut les tenir librement » … Laissant entendre que le matériel n’est pas une fina­lité en soi.

Aujourd’hui, sept ans après le tragique incident, les enfants sont partis. Terry habite à côté, Stéphanie enseigne l’anglais langue seconde dans une école à Saint-Constant, David et Franzie étudient tous les deux dans une université montréalaise, l’un en médecine, l’autre en enseignement.

Hans, lui, toujours aussi bon vivant, sait qu’il peut compter sur sa bonne étoile, sur son Dieu. Et que ce n’est pas demain la veille qu’il arrêtera de courir à tra­vers ses champs

Merci Hans et bonne route !

À la prochaine !

* QFA : Quebec Farmer Association