En plus de servir à l’irrigation des terres agricoles, les eaux souterraines sont essentielles à l’équilibre de l’écosystème aquatique, alimentant le réseau des eaux de surface : rivières, lacs et zones humides. Image : Getty
Cet article est une gracieuseté de l’Université du Québec à Montréal.*
En raison de leur invisibilité, on a souvent tendance à oublier l’existence des eaux souterraines. Pourtant, ces réservoirs d’eau constituent une ressource essentielle dont la protection et la pérennité doivent être assurées. Au Québec, à l’exception des grandes agglomérations urbaines comme Montréal et Québec, 90 % du territoire habité, en grande majorité rural, dépend des eaux souterraines pour l’approvisionnement en eau potable. « En plus de servir à l’irrigation des terres agricoles, les eaux souterraines sont aussi essentielles à l’équilibre de l’écosystème aquatique, alimentant le réseau des eaux de surface – rivières, lacs, zones humides –, dont les poissons et autres espèces aquatiques dépendent », souligne Karine Lefebvre, coordonnatrice de la Chaire de recherche en hydrogéologie urbaine et postdoctorante au Centre de recherche sur la dynamique du système Terre (Geotop)**.
Dans le cadre de son postdoctorat, elle a mené une recherche intitulée Synthèse hydro-géochimique des régions couvertes par les projets d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines et développement d’un indice de résistance chimique des eaux souterraines du Québec***. Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) lui a confié le mandat de réaliser cette étude, conduite sous la direction du professeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Florent Barbecot, titulaire la Chaire de recherche en hydrologie urbaine. Diffusée sur le site web du MELCC, l’étude constitue une première par son échelle et sa méthodologie.
« L’objectif était d’établir une méthode d’évaluation de la résistance des eaux souterraines aux différents types de polluants environnementaux afin d’enrichir les outils de protection, explique la chercheuse. Plus précisément, il s’agissait de construire un indice de résistance chimique (IRC) pour un ensemble de régions couvertes par le programme gouvernemental d’acquisition des connaissances sur les eaux souterraines (PACES), puis de tester sa robustesse et son utilité par rapport aux autres indices déjà mis au point dans le cadre de ce programme. »
Jusqu’aux années 2000, les eaux souterraines étaient encore mal connues au Québec. En 2002, le gouvernement du Québec met en place une politique de l’eau visant à mieux protéger ces ressources. Puis, en 2008, il lance le PACES qui, jusqu’à maintenant, a couvert une quinzaine de régions et quelque 75 municipalités du Québec.
« Les différentes équipes de recherche ayant participé au PACES ont utilisé une même méthode d’échantillonnage et d’analyse des eaux pour pouvoir comparer leurs résultats, explique Karine Lefebvre. Cela a permis d’avoir un premier portrait global des eaux souterraines du Québec et de leur vulnérabilité. » On a aussi pu mettre à jour la complexité de la dynamique des aquifères – formations de roches, de sable ou de gravier – où circule l’eau souterraine. « Des prélèvements sont faits dans deux types d’aquifères en interaction, soit les aquifères régionaux et les petits aquifères locaux, plus proches de la surface du sol et, de ce fait, plus vulnérables aux pressions anthropiques et aux polluants. »
Pressions anthropiques
Depuis quelques années, le développement des aires urbaines et des productions agricoles a eu pour effet d’augmenter la pression sur les eaux souterraines, laquelle affecte à la fois la qualité de l’eau, en raison d’une exposition accrue aux polluants urbains et agricoles (pesticides et nitrates, notamment) et sa disponibilité, plus faible compte tenu des besoins en irrigation des terres cultivées.
« Ce double constat a renforcé le besoin de mieux anticiper la vulnérabilité des eaux souterraines, explique Karine Lefebvre. Il est facile de creuser un puits ou de mettre en place un site de pompage, mais il faut réfléchir à la disponibilité de l’eau. » En Montérégie, par exemple, certaines municipalités ont dû ralentir leur développement parce que l’alimentation en eau potable de leur population était devenue un enjeu problématique en certaines saisons. « On doit repenser le mode d’aménagement local pour tenir compte de cet enjeu, lequel est aggravé par les changements climatiques, en particulier les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les pluies diluviennes et les périodes de sécheresse. »
Pour évaluer la vulnérabilité des nappes d’eau souterraines à la contamination par des polluants provenant de la surface, la réglementation québécoise sur la qualité de l’eau potable ainsi que sur le prélèvement des eaux et leur protection a privilégié jusqu’à maintenant la méthode DRASTIC (Depth to water table, Recharge, Aquifer media, Soil media, Topography slope, Impact of vadose zone, Aquifer conductivity – Profondeur de la nappe, Recharge, Nature de l’aquifère, Type de sol superficiel, Pente du terrain, Nature de la zone vadose, Conductivité hydraulique de l’aquifère).
Cette méthode, précise Karine Lefebvre, repose sur l’évaluation de paramètres hydrogéologiques propres aux aquifères, qui sont ensuite pondérés pour obtenir un indice agrégé. « La méthode DRASTIC permet de caractériser de façon généralement satisfaisante la probabilité que des polluants atteignent l’eau souterraine. »
Évaluer la résistance des eaux souterraines
L’évaluation de la vulnérabilité de l’eau souterraine doit tenir compte de deux autres composantes moins bien connues. D’abord, la résistance, c’est-à-dire la sensibilité intrinsèque de l’eau et l’intensité à laquelle elle peut être affectée par les polluants. La résistance d’une masse d’eau souterraine intègre des paramètres tels que la porosité de l’aquifère, son volume et sa recharge. Ensuite, la résilience, soit la capacité de l’eau de retrouver un niveau de qualité satisfaisant après avoir connu un épisode de pollution.
Dans le cadre de sa recherche, la chercheuse a construit une méthode d’évaluation de la résistance des eaux souterraines basée sur un indice de résistance chimique (IRC), afin d’améliorer la connaissance des risques de pollution des nappes d’eau et leur protection. « Il s’agit d’une démarche novatrice, complémentaire à la méthode DRASTIC, observe-t-elle. Le MELCC souhaitait tester une approche prospective, investiguer l’apport des index de vulnérabilité chimique, sans avoir l’assurance au départ que cela allait fonctionner. »
Pour sa recherche, elle s’est appuyée sur une base de données géochimiques du Ministère portant sur un peu plus de 2 600 puits répartis sur 16 sites, dont 13 avaient fait l’objet d’études PACES. « Il est rare d’avoir accès à une base de données aussi imposante. Cela a permis de couvrir presque l’ensemble du Québec méridional, depuis l’Outaouais jusqu’au lac Saint-Jean, et de l’Abitibi-Témiscamingue jusqu’en Montérégie. » Les résultats ont d’ailleurs démontré l’importance que revêt l’indice de résistance chimique pour l’ensemble des régions concernées et dans tous les contextes hydrogéologiques. « L’IRC offre une sensibilité suffisante pour caractériser les ressources d’eau des aquifères granulaires, tout en étant pertinent pour les eaux plus anciennes. Nous avons posé une première pierre. Les informations obtenues devraient être intégrées aux bases de données pour servir à de futurs projets de recherche. Il faut continuer d’affiner l’indice de résistance chimique, notamment pour l’évaluation de certains types d’aquifères, comme les aquifères carbonatés où la minéralisation de l’eau est plus rapide. Cela permettra d’offrir une expertise pouvant être utile aux gestionnaires de l’eau et aux responsables de l’aménagement du territoire. »
* https://actualites.uqam.ca/2022/evaluer-la-vulnerabilite-des-eaux-souterraines/
** https://hydro-sciences.uqam.ca/la-chaire-strategique-en-hydrogeologie-urbaine/