Photo : Raymond Germain
Si vous passez sur le chemin Dutch en allant vers les douanes de Morses Line, vous ne pouvez pas manquer ces grands enclos où s’ébattent des cerfs majestueux appelés wapitis. Le cervus elaphus canadensis, 2e cervidé d’Amérique du Nord par la taille, s’appelle wapiti car, en langue amérindienne, ce mot veut dire : « croupe blanche »
C’est là le fief de Francine et Raymond Germain. Natifs de Frelighsburg, ils ont « émigré » à Saint-Armand il y a 17 ans. En 1994, ils démarrent l’élevage d’un troupeau avec deux femelles gestantes. Le marché du bois de wapiti est alors prometteur. Bien conseillés au départ, Raymond et Francine s’arment de patience et créent petit à petit Le Val Grand-Bois avec 45 têtes et des installations fonctionnelles sur une vaste terre qui fournit aussi en grande partie le foin pour la nourriture d’hiver.
Élevage
Le wapiti est un animal robuste bien adapté à notre climat puisqu’il est originaire du Canada comme son cousin plus grand l’orignal. Peu sujet aux maladies, les mâles vivent de 12 à 14 ans et les femelles de 15 à 20 ans. L’alimentation est fonction du cycle naturel de l’animal, lequel est régi par la longueur du jour ; l’été cet herbivore peut brouter jusqu’à 16 heures par jour car il doit prendre du poids en prévision de la période de rut, où il peut perdre plus de 100 livres. La période de rut en septembre-octobre est déclenchée par une production maximale de testostérone ; inversement l’absence de cette hormone en mars-avril provoque la pousse des bois. Les femelles mettent bas après une gestation de 247 jours. Quand plusieurs biches vêlent dans le même enclos, l’une d’elles à tour de rôle surveille les petits pendant que les autres vont se nourrir. Les humains n’ont donc rien inventé avec leur système de garderie.
Les arbres offrent une protection naturelle au wapiti, qui reste dehors toute l’année. Sa résistance lui permet de supporter les grands froids et les grandes chaleurs.
La viande
Certains éleveurs se consacrent à la production de viande de wapiti qui est, parmi les viandes de grands gibiers, d’un goût et d’une qualité exceptionnels, sans gras ni cholestérol. Raymond et Francine ont une production de viande (limitée à l’abattage de quelques sujets par année) dont ils font de délicieuses terrines et rillettes, Ils ont aussi de la viande à cuire (steaks, rôtis, etc.). Mais la raison d’être de leur élevage est d’abord et avant tout la production du bois de velours.
L’utilisation du bois de velours est connue depuis plus de 2000 ans en Orient.
Le bois de velours
Réglons tout de suite le cas des mythes et légendes ! Non ! Le bois de velours n’est pas un aphrodisiaque, ni une poudre de perlimpinpin pour chamans et sorcières. C’est avant tout un produit naturel aux vertus médicinales fantastiques, utilisé surtout pour soulager l’arthrite, réduire l’hypertension, le vieillissement des tissus, l’ostéoporose. De plus, il procure de l’énergie (pourquoi pas sexuelle !) et aide à lutter contre la fatigue. Une pharmacie ambulante que cet animal : glucosamine, chondroïtine, collagène, minéraux, acides aminés et autres hormones sont les principaux éléments contenus dans les bois.
Pour arriver jusqu’au consommateur, il y a bien des étapes. D’abord, le prélèvement. Chaque printemps, de nouveaux bois apparaissent sur la tête des mâles. Le prélèvement des bois se fait en douceur car si le wapiti est de caractère facile, il est hypersensible au stress. Il est amené dans la cage de contention. Une anesthésie locale est pratiquée (insensibilisation) à la base des bois pour éviter toute douleur. Immédiatement après la coupe, le bois de velours est étiqueté, identifié et conservé au congélateur jusqu’à son envoi à l’usine de transformation.
La compagnie Canada Changmin Ltd. est la seule à traiter le bois de velours au Québec. Elle est installée à Rivière-au-Renard, en Gaspésie. La technologie employée assure le séchage à froid, la pasteurisation et la mise en poudre du bois de velours qu’on trouve dans le commerce sous forme de capsules.
Depuis 1994, Raymond et Francine Germain vivent une aventure palpitante faite de hauts et de bas pour la commercialisation de leur produit. Il y a quelques années, la Corée achetait la moitié de la production mondiale mais, depuis la crise de la vache folle, la fermeture des frontières aux exportations a porté un rude coup à l’industrie (pourtant, un seul cas de « wapiti fou » a été recensé dans l’ouest canadien, et il venait des États-Unis !). L’effet bénéfique de cet embargo a été la nécessité de promouvoir le bois de velours au Québec mais, comme pour toutes les activités non traditionnelles, les temps sont durs. Un éleveur de wapitis peut en vivre mais ne deviendra pas millionnaire !
Autre sujet important : la traçabilité. Tous les animaux sont identifiés par un numéro et par une puce électronique placée dans l’oreille si bien qu’à chaque étape de la transformation (viande ou bois de velours), on connaît la provenance du produit. L’identification généalogique assure ainsi la qualité rigoureuse et une exemption totale de maladie (des normes bien plus rigoureuses que pour le boeuf !).
En fin de compte, Raymond et Francine vivent en symbiose avec leurs wapitis et ont appris beaucoup de la sagesse de ces animaux … à moins que ce ne soit le contraire !