« L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet. »
Vincent de Gaulejac
Il y a dix ans, alors qu’elle était à l’aube de la retraite, ma mère s’est inscrite à un atelier intitulé Sens et récit de vie. Je me souviens que, durant cette période, elle faisait régulièrement l’éloge de l’écriture comme outil de connaissance de soi. Il ne s’agit pas d’écrire une œuvre, avec une intrigue, des rebondissements et une finale inattendue, me disait-elle, mais plutôt de mettre en mots l’expérience d’une vie pour en trouver le sens.
Une vie, comme un livre, est composée de chapitres dont le nombre et la longueur appartiennent à chacun. Néanmoins, ce qu’on appelle « le récit de vie » ne consiste pas en une autobiographie, dans la mesure où l’on ne met pas l’accent sur le résultat, mais plutôt sur le processus. Autrement dit, ce n’est pas le texte qui compte, au final, mais bien le cheminement intérieur de celui ou celle qui l’écrit.
Le récit de vie est la narration d’une histoire, celle de la vie du narrateur/auteur. Bien sûr, il s’agit d’une version de l’histoire, et non pas du récit exact des faits et des événements. Subjectif ou subjective, celui ou celle qui l’écrit affirme la prépondérance de certains souvenirs sur d’autres et ainsi, construit le fil des éléments marquants de son existence. Pas à pas, la pratique de cet exercice débouche vers une certaine quête identitaire. Si les grandes questions de l’existence (Qui suis-je ? Où vais-je ? Que m’est-il permis d’espérer ?), resteront à jamais irrésolues, l’écrit permet néanmoins de s’approprier le sens de ces interrogations…
Si le récit de vie relève de la sphère personnelle, voire existentielle, la démarche implique toutefois l’intervention d’un mentor ou d’un professeur. D’où les nombreux ateliers offerts à ceux et celles qui désirent se lancer dans l’aventure. À noter toutefois que le récit de vie n’est pas une thérapie, mais bien un processus d’analyse et de compréhension de soi qui passe par l’écriture.
Il y a dix ans donc, ma mère écrivait le sien et ce, dans un contexte précis, soit le programme Sens et projet de vie de la TÉLUQ (Université du Québec à distance). La démarche du récit était suivie d’une analyse et de l’élaboration d’un projet de vie. Aujourd’hui, grâce à ce numéro du journal, je m’intéresse de plus près à cette aventure qui fut la sienne. Elle a répondu à mes questions et m’a donné accès à un extrait du texte qu’elle a écrit lorsqu’elle a fait le bilan de cette aventure. Elle y raconte sa démarche et les bienfaits qu’elle en a tirés.
« Désemparée serait le qualificatif de mon état devant la tâche à entreprendre. Par quel bout prendre cela ? En douceur… Durant l’été qui a précédé l’atelier d’écriture, j’ai relu tout ce que j’ai pu me concernant. Des documents datant de plus de quarante ans, jamais relu : des lettres de ma mère et de mes jeunes frères et sœurs. L’amour que je retrouvais entre les lignes de ces lettres m’a nourrie. À cette même période, je tenais un journal. J’avais peur de le relire. Déjà je jugeais cette jeune fille de dix-sept ans bien démunie, ayant peu de mots. Pourtant après cette lecture, avec un brin d’admiration, je me suis attachée à elle. J’ai relu aussi de magnifiques lettres d’amour, d’autres plus tristes. Et j’ai pris le temps de faire le tour des boîtes de photos pêle-mêle… Je suis retournée dans des lieux du passé… simplement pour m’habiter de mon histoire. Et cet été là, je suis allée voir mes vieilles « matantes ».
L’incubation terminée, je me mets à la tâche. Quelle structure aiderait l’émergence du contenu ? Je me suis autorisé un désordre à l’intérieur d’une structure chronologique minimale. Peu de place à l’événement, beaucoup aux sentiments qui s’y rattachent. L’important était de m’autoriser à retrouver cette vie passée, dormant là au fond de moi et de donner aux mots jamais dits le temps d’émerger, de venir se poser sur la feuille blanche, de venir à la rencontre de la femme que je suis devenue.
Tout au long de la démarche, des choix à faire : Quels personnages gravitant autour de moi privilégier ? Quelle place leur donner ? Quelle place prendre ? Quel sera l’angle de mon regard ? Le récit refuse la distance, il est un exercice de proximité. Il ne cherche pas le fil conducteur, il cherche ces fils tout menus qui le tressent : l’anodin, l’insignifiant, le détail, ce qu’on a gardé en marge. C’est cette belle robe bleue portée lors d’un certain Noël, cette mention d’honneur ratée à l’école, cette inquiétude d’une enfant devant le compte d’épicerie trop élevé, cette bonne odeur de la maison d’une grand-maman. Les mots sont au service de ma vie. Ils arpentent les cavernes du passé, enlèvent des pierres, découvrent des perles.
Cette rencontre avec le passé apporte son lot de douleurs, de joies, d’espérance. Ces simples mots réunis en phrases font des tableaux, donnent une poésie à ma vie. À la fin, je peux toucher le texte, le lire, le faire lire. J’ai la sensation de me matérialiser, de rentrer à la maison… »
Si l’écriture d’un récit de vie vous intéresse, vous trouverez sur YouTube, en anglais, Memoir as Soul Work avec Allan Hunter et sur Google, en tapant « récit de vie » ou « histoire de vie », divers sites exposant les bienfaits de l’écriture de ce genre de texte. Vous pouvez également consulter le site du Réseau Québécois pour la pratique des histoires de vie (RQPHV). Cet organisme propose un lieu collectif de réflexion sur les pratiques personnelles et professionnelles à cet égard. Toute personne qui a une expérience pratique dans ce domaine et qui souhaite poursuivre sa réflexion peut devenir membre. Intervenants sociaux, étudiants, auteurs, particuliers en démarche personnelle, chercheurs, malgré des horizons parfois fort éloignés les uns des autres, tous ces gens partagent un intérêt commun : celui de donner de la signification à l’existence à partir du récit de leurs expériences.
De plus, sachez que vous pouvez contribuer au patrimoine culturel en déposant des documents personnels – journal de bord, autobiographie, correspondance – sur le site des Archives Passe-Mémoire qui se consacre à la collecte et à la conservation des écrits personnels du Québec (http://www.archivespassememoire.org).
Si vous souhaitez faire votre généalogie, de nombreuses ressources sont accessibles. Visitez entres autres les sites de Généalogie Québec (https://www.genealogiequebec.com), de Nos origines (www.nosorigines.qc.ca/) ou de la Société de généalogie des Cantons-de-l’Est (http://sgce.whc.ca/accueile.htm). Jetez aussi un coup d’œil sur le site de Bibliothèque et archives nationales du Québec (www.banq.qc.ca). Tout en bas, sous l’onglet « Généalogie », vous trouverez une foule d’informations pertinentes.