William S. Messier, Dixie, Éditions Marchand de feuilles, Montréal, 2013, 160 pages
William S. Messier est né à Cowansville. Il a passé une grande partie de son enfance sur la ferme familiale, avec ses oncles Joseph et Urbain Swennen, à Saint-Armand ; le « S » de son nom vient de Swennen, le nom de sa mère. Puis les années ont passé et, comme plusieurs, il a dû s’exiler en ville pour poursuivre ses études. Mais le temps a beau éroder les souvenirs, William avoue que Saint-Armand exerce toujours sur lui une attraction magnétique. Ses romans sont d’ailleurs élaborés à partir de cette fascination.
En fait, pour lui, la fiction est une réponse à l’éloignement, à l’absence, au manque. En écrivant, il cherche à habiter les lieux de son enfance grâce à l’imaginaire. Dans l’œuvre du jeune auteur, Saint-Armand et ses environs ne représentent pas uniquement le contexte de ses récits, ils se donnent plutôt à lire comme un personnage incontournable. Ainsi, dans Épique, son premier roman, on sent déjà qu’il cherche à consacrer une mythologie à la région de Brome-Missisquoi. Avec Dixie, paru cet automne, ce trait se précise davantage. Dans ce roman creusant l’histoire et l’imaginaire de notre région frontalière, « toutes sortes de récits foisonnent et frisent comme des ronces ». On y retrouve un prisonnier américain en cavale, des « jobbers » de toutes sortes, des contrebandiers et surtout, au centre de toutes ces histoires entrelacées, le jeune Gervais issu d’une famille d’agriculteurs.
Le passé, les légendes et les lieux évoqués dans Dixie ne nous sont pas étrangers. Au contraire, de Pigeon-Hill à Bedford en passant par Eccles Hill et le Dutch, le décor que nous livre Messier nous est familier. On y reconnaît les intersections, les collines, les champs, les forêts, les douanes. Mais si ces images semblent claires et transparentes aux yeux des lecteurs qui habitent ou connaissent le coin, nous ne sommes pas à l’abri d’un certain danger, nous avertit l’auteur. Un danger ? Oui, celui de perdre de vue la frontière, non pas celle qu’on appelle « les lignes », mais bien la distinction entre réalité et fiction. Et c’est le tour de force de Messier de nous projeter à la croisée de ces deux frontières.
Bien qu’on reconnaisse, dans Dixie, nos propres référents géographiques et historiques, le Saint-Armand mis en scène par l’auteur est avant tout le sien. En fait, on peut dire que l’univers de ce roman est à la fois « autre » et « nôtre ». Car bien que le passé et les lieux de la région y jouent une place centrale, il ne s’agit pas d’un document, mais bien d’une œuvre de fiction. Le fait que nous soyons contraints à se le rappeler fait largement sourire W.S. Messier. Il ajoute que cette ambiguïté fascinante se renouvelle à chaque époque, c’est pourquoi dans Dixie, la fiction et le réel se mêlent, et « c’est bien comme ça ». En d’autres termes, on peut dire que le romancier s’est approprié notre région pour lui redonner vie autrement, dans l’imaginaire du roman. Un imaginaire fertile comme nos terres.
Comme l’ont souligné plusieurs critiques littéraires des « grands médias », l’œuvre de W.S. Messier s’inscrit dans une nouvelle mouvance littéraire qui tend à revaloriser les « régions ». Certains parlent ainsi d’une « démontréalisation » de la littérature québécoise. Le phénomène est certes réel, car plusieurs écrivains de la relève semblent s’intéresser à des réalités moins urbaines, plus distantes des grands centres. Néanmoins, le terme « démontréaliser » laisse place à la discussion. William propose en ce sens qu’il faut surtout investir d’autres lieux, d’autres imaginaires de façon à éviter l’opposition et la hiérarchisation imposées par les notions de centre et de périphérie, de métropole et de régions. Il ne s’agirait donc pas de « démontréaliser » quoi que ce soit, car cela impliquerait implicitement que la métropole a toujours avalé sa périphérie, mais bien simplement de parler « d’autre chose ».
Soulignons ainsi que c’est un univers manuel qui est déployé dans Dixie. La vie ordinaire scintille et la richesse du quotidien est surprenante. On y retrouve plusieurs pelletées d’expressions populaires tirées du travail agricole, forestier et mécanique. Cette tension entre l’oral et l’écrit s’inscrit comme une frontière de plus dans l’œuvre de Messier. Et cela fait miroiter davantage son respect et son admiration pour les fermiers, les bûcherons, les « patenteux », enfin tous ceux dont le travail contient une créativité pratique.
William S. Messier sera de passage à Saint-Armand en octobre pour faire un lancement « champêtre » de son livre. L’événement sera affiché au magasin général. Tous sont les bienvenus.