Mathieu Voghel-Robert au pied d’un thuya occidental sur la rive de la rivière Causapscal (photo : Jean-Simon Voghel-Robert)
Nous en sommes déjà au dernier chapitre du dossier sur la foresterie que Le Saint-Armand a publié au cours de cette dernière année. Beaucoup de changements dans la législation forestière sont à prévoir dans un avenir proche. En 2013, le nouveau régime forestier présenté dans la dernière mouture de la Loi sur les forêts entrera en vigueur. En outre, verrons-nous un jour le résultat de l’interminable consultation entourant la refonte de la politique agricole au Québec ? En juin dernier, Pierre Corbeil, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, déposait son livre vert pour une politique bioalimentaire. On y trouve beaucoup de nouvelles données qui laissent planer de l’incertitude chez les agriculteurs et les producteurs forestiers. Pour faire le tour des questions concernant ces deux nouvelles politiques, Le Saint-Armand s’est entretenu avec André Roy, président du syndicat des producteurs de bois de l’Estrie.
Le Saint-Armand : Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans le livre vert de M. Corbeil ?
André Roy : Dans son livre vert, jamais le ministre ne fait mention des forêts. D’ailleurs le nom, de « politique bioalimentaire », ça ne fait pas de place au bois. On privilégie plutôt l’appellation « politique agricole ». C’est un secteur économique trop important pour la vitalité des régions pour qu’on l’oublie. On veut que le ministère protège l’agriculture, mais aussi la sylviculture, plus artisanale. Parce que tous les produits du bois sont des produits agricoles, mais ça ne cadre pas dans la définition de bioalimentaire, ça ne nous habille pas. Pourtant, c’est assez complémentaire : qu’on pense seulement au sirop d’érable ! La définition d’« agriculture » dans le Larousse convient aux produits du bois : « activité économique ayant pour objet la transformation et mise en valeur du milieu naturel afin d’obtenir des produits végétaux et animaux utiles à l’Homme, en particulier ceux qui sont destinés à son alimentation ». Les Européens ont compris que la forêt, ça se cultive et, généralement, c’est le même ministère qui chapeaute la forêt et l’agriculture. Dans ces cas-là, la forêt privée prend toute sa place.
S.-A. : Quelles sont les lacunes du régime forestier ?
A.R. : Il y a toujours eu la grande forêt publique qui a toujours été administrée à part. La politique forestière était assez simple : on confie quelques millions d’hectares à une compagnie qui installe des usines pour créer des emplois en région. La forêt privée et la forêt publique ont toujours fonctionné en parallèle, l’une faisait de la sylviculture, l’autre, de la transformation. Mais, il n’y a pas de logique à faire de la transformation parce qu’on ne s’est jamais soucié du renouvellement de la ressource. Les tiges sont de plus en plus petites et de plus en plus éloignées des usines. À cause de tout ça, depuis 2000, on a perdu près de la moitié de notre potentiel forestier.
S.-A. : La nouvelle mesure qui encourage la création de forêts de proximité, ce n’est donc pas une bonne nouvelle pour les producteurs de la forêt privée ?
A.R. : On veut que la loi clarifie la différence entre forêt publique de proximité et forêt privée. Parce que, pour l’instant, ça va nous faire perdre la garantie d’écouler notre bois, en plus d’accroître la pression sur les prix. On veut que le bois des forêts de proximité soit soumis au principe de résidualité. C’est-à-dire que, avant d’allouer le contrat d’approvisionnement des usines près des forêts de proximité, il faut faire le tour de toutes les sources d’approvisionnement possibles. Après, on peut allouer des volumes de bois dont le pourcentage serait réparti en fonction de l’importance de chaque source. Si les forêts de proximité ne sont plus soumises à ce principe, on perd l’accès à l’usine pour la forêt privée. De plus, d’un point de vue fiscal, on veut que les promoteurs des forêts de proximité paient des taxes et des redevances à la communauté. Pour l’instant, ils vont avoir un avantage concurrentiel qui se chiffre entre 20 et 25$ le mètre cube. Comme orientation politique, c’est pas fort.
S.-A. : La Fédération des producteurs de bois du Québec s’est aussi prononcée sur la Loi sur la protection du territoire agricole. Il n’y a pas de changement en vue. Pourquoi cette inquiétude ?
A.R. : Le milieu municipal fait des pressions pour qu’il y ait des changements. Il veut protéger les terres agricoles, mais la forêt d’à côté, qui est inutilisée, c’est un bel endroit pour faire des parcs industriels ou de nouveaux lotissements. Les maires veulent faire grossir leur assiette fiscale, c’est normal. La pression est très forte sur la zone agricole, mais en milieu rural, c’est sur la forêt que la pression est forte. Soixante-dix pour cent de la forêt privée se trouve en zone verte et, pour l’instant, la loi protège très bien cette forêt-là. On veut que ça continue.
S.-A. : Qu’est-ce qui serait souhaitable pour la forêt privée ?
A.R. : On a déjà fourni 20 % du bois au Québec, mais ce n’est plus le cas. En Montérégie, les producteurs doivent souvent écouler leur bois à l’extérieur de la région. La valeur foncière des propriétés augmente rapidement, parce que les taxes augmentent aussi. Le budget alloué aux forêts privées est en baisse. Les compressions budgétaires n’affectent jamais le Plan Nord ou la construction d’un amphithéâtre. On parle des deux côtés de la bouche. Mais ce qu’on souhaite, c’est d’être considéré à notre juste valeur dans la politique agricole et sur le même pied d’égalité que les forêts de proximité.