Discours patriotique
Saint-Armand, 24 juin 2017
François Renaud
En 1977, le premier gouvernement du Parti Québécois décrétait que le 24 juin serait désormais la journée officielle de notre FÊTE NATIONALE. À l’occasion du 40e anniversaire de cette décision historique, le Comité organisateur de la Fête Nationale nous propose, dans le contexte de notre discours patriotique, de réfléchir au thème : EMBLÈME DE NOTRE FIERTÉ.
Un emblème est une représentation symbolique autour de laquelle se rassemblent et se reconnaissent les collectivités qui les ont adoptées. Pour les Amérindiens de la Côte Ouest du Canada, par exemple, l’emblème par excellence est le totem, une imposante sculpture verticale qui résume, à l’aide de divers symboles, l’histoire d’une famille ou d’une tribu, et autour de laquelle se réunissent et se reconnaissent tous les membres de cette collectivité.
Aujourd’hui, à l’occasion de la réflexion que se doit de susciter ce discours patriotique, je vous propose de travailler à nous créer un totem imaginaire, un emblème autour duquel nous saurons tous nous reconnaître et nous rassembler, un emblème qui sache résumer l’essence-même de l’attitude patriotique. Or qu’est-ce que le patriotisme, sinon la somme des efforts que certains individus savent mettre en œuvre pour assurer le mieux être et l’avenir de leur propre famille, de leur communauté et, souvent sans même s’en rendre compte, l’avenir de tout un peuple.
Dans notre région, la figure emblématique qui me vient le plus naturellement à l’esprit, le personnage dont l’action a marqué son époque, dont l’héritage marque toujours la nôtre, et dont la vision permettra à nos enfants et à nos petits-enfants d’affronter l’avenir, le personnage qui, à mon sens, devrait guider la création de notre totem, c’est un homme qui fut ministre de l’agriculture, Premier ministre du Québec et dont la tombe est toute proche d’ici, en plein centre du cimetière catholique de Frelighsburg… Ce personnage qui, à mon sens, devrait inspirer la création de notre totem imaginaire, c’est monsieur Adélard Godbout.
Avant d’être un homme politique, Adélard Godbout était d’abord un agronome, un homme qui respectait la terre et, surtout, ceux qui la travaillent. En ce sens, le premier étage de notre totem devrait faire référence au thème de l’agriculture, telle qu’elle se pratiquait au début du siècle dernier et telle qu’elle se pratique encore aujourd’hui, c’est-à-dire orientée vers l’élevage de la vache laitière et la culture des céréales destinées à alimenter les troupeaux.
Au deuxième étage de notre totem, on devrait retrouver un élément qui symbolise la pomoculture, car c’est Adélard Godbout, ne l’oublions pas, qui, grâce à son appui indéfectible à des personnages tels Paul-Omer Roy, Joseph-Félix Desmarais et, plus tard, Diane et Réal Caron, aura permis à ces visionnaires d’aller au bout de leurs rêves et de lancer l’industrie de la pomme, transformant à tout jamais à la fois le paysage et l’économie de notre région.
Ces pionniers du monde agricole allaient, par leur audace, en inspirer d’autres qui allaient, à leur tour et en prenant des voies différentes, révolutionner notre agriculture locale. Christian Barthomeuf et le docteur Papillon allaient fonder le DOMAINE DES CÔTES D’ARDOISE, le tout premier vignoble de la région de Dunham, suivis de près par les fondateurs de L’ORPAILLEUR, du DOMAINE DU RIDGE, du CLOS SAINTE-CROIX et d’une bonne demi-douzaine d’autres, le dernier en lice étant le vignoble PIGEON HILL, situé ici-même, à l’extrémité Est de la municipalité de Saint-Armand.
Mais la créativité de nos agriculteurs n’allait pas s’arrêter là. Christian Barthomeuf allait avoir un autre trait de génie et créer le cidre de glace, un produit qui, en bonne partie grâce au sens des affaires de Charles Crowford, le fondateur de la cidrerie DOMAINE PINNACLE, allait donner à notre région une réputation internationale.
Au-delà de son influence sur le monde agricole de notre région, le patriotisme d’Adélard Godbout allait également marquer toute la société québécoise et, en quelque sorte assurer son avenir. Ainsi, notre totem imaginaire pourrait, au-dessus d’une pomme et d’une grappe de raisins stylisées, ajouter un symbole supplémentaire qui ferait référence à l’énergie hydroélectrique, puisque, et on l’oublie trop souvent, Adélard Godbout a été celui qui a osé, en 1944, nationaliser la MONTREAL LIGHT, HEAT & POWER et, dans la foulée, créer HYDRO-QUÉBEC, cette grande société d’État qui fait toujours l’orgueil des Québécois et assure à notre pays un rôle de pionnier en matière d’énergie propre.
À l’étage suivant, notre totem devrait évoquer la force collective des travailleurs, car c’est encore lui, Adélard Godbout, qui, dans ces mêmes années 1940, a osé adopter un nouveau code du travail qui allait accorder aux ouvriers le droit de se syndiquer.
Alors, si nous repassons rapidement en revue notre sculpture totémique, nous avons, à la base, une référence à l’agriculture et à l’élevage ; un cran plus haut, un symbole qui évoque l’introduction de la pomoculture et de la viticulture ; une évocation symbolique de l’hydro-électricité, puis une image liée à la force collective des travailleurs.
Mais attention, notre exercice de création totémique est loin d’être terminé !
Maintenant, nous allons devoir jongler avec le raffinement extrême, en imaginant une représentation symbolique qui sera à la fois la plus subtile et la plus puissante que nous aurons à illustrer, puisqu’elle réfèrera au rôle des femmes dans notre société.
En 1940, c’est lui, Adélard Godbout, ne l’oublions jamais, qui accorda le droit de vote aux femmes, libérant du même coup une énergie et une force créatrice qui est omniprésente dans nos vies quotidiennes. Pensons, par exemple, à tous ces commerces de proximité que nous fréquentons pratiquement tous les jours : le marché Métro, la succursale de la Société des alcools, les institutions bancaires, la pharmacie, les salons de coiffure, la boutique Micheline, la chocolaterie, nos deux bars, même les bureaux de nos députés provincial et fédéral… Partout, ce sont des femmes qui nous accueillent, qui nous conseillent et qui, avec un large sourire, nous invitent à revenir tout en encaissant efficacement notre argent !
En ce début de XXIe siècle, la vie municipale de toute notre région témoigne éloquemment de l’engagement, du leadership et de l’efficacité des femmes dans nos vies : cinq de nos six municipalités ont des directrices générales à leur tête ; à Bedford, Saint-Ignace, Canton de Bedford et Saint-Armand plusieurs postes de conseillers municipaux sont occupés par des femmes ; les conseils municipaux de Pike River et de Stanbridge Station peuvent même se vanter d’avoir atteint la parité, étant composés à 50 % de femmes. Mais à ce chapitre, c’est à Notre-Dame-de-Stanbridge que revient la palme, puisqu’elle peut s’enorgueillir d’avoir marqué l’histoire en étant la toute première municipalité de notre région à choisir une femme, et une femme remarquable, madame Gendreault, pour occuper le poste de maire.
À ce stade-ci de l’érection de notre totem imaginaire, je crois que nous en sommes rendus aux ailes… Aux ailes, parce que l’autre apport de notre patriote emblématique est peut-être le legs le plus important qu’il nous ait laissé. En adoptant, dès les années 1940, une législation qui rendait l’éducation gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, Adélard Godbout offrait aux générations futures de tout un pays les outils nécessaires pour qu’elles puissent déployer leurs ailes et développer les multiples talents créatifs qui font aujourd’hui du Québec l’une des sociétés les plus créatives de la planète. Des talents comme ceux de Michel Tremblay, Guy Laliberté, Robert Lepage ou Xavier Dolan n’auraient jamais pu éclore n’eût été de leur accès précoce à l’éducation. Montréal ne serait pas l’une des capitales de la création des jeux électroniques ni à l’avant-garde des recherches sur l’intelligence artificielle si les grands développeurs ne pouvaient compter sur un bassin de personnel créatif ayant reçu une solide formation académique.
Mais revenons à notre image de totem. Nous en étions rendus aux ailes, et, dans le plumage de ces ailes déployées, je propose qu’on y retrouve les figures de ces femmes et de ces hommes de notre région qui, grâce aux talents que leur éducation leur a permis de développer, ont su nous entraîner sur les routes de l’art et de la créativité.
Je pense ici à Guy Dufresne, jeune pomiculteur d’Abbot’s Corner, qui allait devenir une figure importante de notre dramaturgie nationale ; à Jacques Brault, un grand poète qui a vécu à deux pas d’ici, à Saint-Armand ; à Raoul Duguay, artiste multidisciplinaire, qui a adopté notre région il y a près de 40 ans. Même chose pour le cinéaste Jean-Pierre Lefebvre, qui lui aussi vit à Saint-Armand depuis près d’un demi-siècle, de même que ses collègues Jacques Godbout, Charles Binamé, André Leduc, sans oublier Micheline Lanctôt qui, elle, est une authentique enfant de la région.
Et je m’en voudrais d’oublier tous ces artistes visuels remarquables, tels les potiers Jacques Marsot, Sarah Mills et Michel Viala, la créatrice textile Rosie Godbout, le peintre Pierre Gauvreau, le sculpteur Laurent Viens, qui, tous, grâce à au talent qu’ils déploient depuis plusieurs années, savent nous émouvoir, nous faire réfléchir ou simplement nous faire rêver.
L’avantage de créer un totem imaginaire, c’est que nous pouvons en faire une œuvre en devenir, un Work in progress, comme on dirait en latin. Au cours des années qui viennent, d’autres symboles, d’autres visages pourront s’ajouter et faire grandir notre formidable totem. Des visages dont les contours commencent déjà à émerger et qui, pour beaucoup, ont été influencés par ces remarquables prédécesseurs que nous venons d’évoquer.
En matière d’agriculture, par exemple, nous pouvons déjà envisager ajouter un symbole évoquant l’agriculture biologique et l’apport inventif de Marie-Maude Desroches et Jean-Martin Fortier, les créateurs de la Grelinette ; de même que les membres de la coopérative Le Pied-de-cèleri, à Dunham ou les animateurs des Jardins de Tessa, à Frelighsburg.
L’influence des écrivains, des cinéastes et des artistes que nous avons nommés plus tôt, n’est peut-être pas étrangère aux choix de carrière de jeunes créateurs comme l’écrivain Christian Guay-Poliquin ou le cinéaste Guy Édoin, un authentique fils de Saint-Armand, dont le travail est sur le point de valoir à chacun d’eux une place de choix parmi les visages qui ornent déjà les ailes déployés de notre totem imaginaire.
Personne ici ne sait ce que nous réserve l’avenir, mais, tous, nous savons qu’il y aura des moments magiques et d’autres, franchement difficiles. Comme nos prédécesseurs en ont vécu, nous connaîtrons nous aussi des virages qui nous feront parfois flirter avec la catastrophe. Mais quand le moment viendra d’affronter ces temps rudes qui nous guettent, je vous invite à jeter un regard sur ce totem que nous venons d’imaginer, à vous tourner vers les actions de ces patriotes que nous venons d’évoquer, afin de vous inspirer de leur détermination, de leur ardeur et de leur courage, pour, à votre tour, faire preuve de ce patriotisme qui assurera le bien-être de vos familles, de notre communauté et, pourquoi pas, de tout notre pays.
Monsieur Adélard Godbout, mille fois merci pour votre inspiration.
Chers amis, chers voisins, chers concitoyens, bonne Fête nationale !