Nul n’est éternel, surtout pas les rédacteurs en chef. Alors, après huit ans (ce qui est en soi une petite éternité), je tire ma révérence de la rédaction du journal Le Saint-Armand et je laisse la place à quelqu’un d’autre qui aura autant de satisfaction que moi à occuper ce poste de pilotage. C’est avec joie que je prends du recul pour mieux regarder grandir le journal comme l’artiste qui s’éloigne de quelques pas pour observer son tableau. Je mettrai encore un peu la main à la pâte par quelques articles ou caricatures.
Quelle belle aventure et quel chemin parcouru ! Souvenez-vous du printemps 2003 : la M.R.C Brome-Missisquoi réunissait des groupes de citoyens dans chaque village dans le cadre du Pacte rural. À Saint-Armand, les quelques 70 personnes qui participaient à cette rencontre avaient formulé une priorité : « créer des outils et des lieux pour améliorer la vie collective des citoyens ». Proposée par Dominic Soulié, l’idée d’un journal communautaire avait suscité un vif intérêt, et une petite équipe de sept personnes jetaient les bases du Saint-Armand : un bimestriel distribué gratuitement dans tous les foyers de la municipalité. Cette équipe regroupait Daniel Boulet, Josiane Cornillon, Robert Crevier, Nicole Dumoulin, Éric Madsen, François Marcotte et moi-même. Nous avons contribué de notre poche 50 $ chacun pour sortir le premier numéro en septembre 2003…, une page recto verso ! Plus tard, le conseil municipal et le Pacte rural donneront chacun une subvention de 1500 $. Dans cette équipe initiale, chacun avait trouvé un créneau dans lequel il se sentirait utile et compétent, soit au niveau administratif, rédactionnel ou autre. C’est ainsi que je me suis retrouvé rédacteur en chef avec une certaine connaissance du journalisme, mais aucune expérience comme chef de pupitre.
Très rapidement, de nombreux bénévoles se sont joints à l’équipe, et le journal est passé à 3, 6, puis 8 pages.
En mai 2004, Le Saint-Armand devient un organisme à but non lucratif. Depuis la modeste feuille de chou s’est transformée en un vrai journal de 20 pages qui ne laisse personne indifférent. Louangé ou détesté, il est là pour rester.
Dans ans cette aventure collective, je me suis plus souvent perçu comme modérateur que comme leader, comme rédacteur que comme chef et, surtout, j’ai senti le privilège de faire partie d’une équipe parfois géniale, parfois boiteuse, qui veut servir sa communauté. J’ai découvert avec humilité et parfois colère que ce n’est pas parce qu’on croit faire œuvre utile qu’on est bien reçu, compris et accepté.
Je me souviens entre autres de ma première présence au conseil municipal où le regretté conseiller Rodrigue Benoit avait déclaré, l’air de rien : « C’est tout de même pas des Montréalais pis des intellectuels qui vont ronner la paroisse ! » Et jetant vers moi un coup d’œil : « Pis des Français en plus ! ». Je venais de prendre mon premier cours de Ruralité 101 ! Alors, j’ai tenté de comprendre pourquoi un petit journal de rien du tout dérangeait autant et j’ai compris que ce qui semble normal en ville est loin de l’être dans une petite communauté tissée serrée où tout le monde se connait, se chicane mais fait front commun devant ce qui lui semble être une agression. Combien de fois notre journal a-t-il été montré du doigt après une critique qui déplaisait aux autorités municipales ? Pourtant, c’est son rôle de se mêler des affaires publiques, de les commenter, de juger que telle décision du Conseil est discutable sans que le maire ou ses conseillers ne le prennent pour une attaque personnelle.
Je crois que la naïveté du début s’est muée en expérience et en sagesse. Si Le Saint-Armand est devenu incontournable, c’est bien grâce à la patience et à la détermination de son équipe. Dans les moments de découragement où l’on doutait de la survie du journal, il y a toujours eu des lecteurs pour nous dire de ne pas lâcher.
Chaque édition du journal a sa propre histoire, depuis l’élaboration de son « squelette » jusqu’à sa livraison et, à chaque numéro que je trouvais dans ma boite à lettres, j’enviais les lecteurs qui prenaient le temps de le savourer du début à la fin… Moi, je le connaissais par cœur !
Après quelques frictions et malentendus avec les autorités municipales, il me semble qu’un réchauffement climatique favorise de plus en plus une collaboration productive.
J’ai appris beaucoup de choses en huit ans ! Entre autres à ne pas être aimé de tout le monde… C’est dur pour l’ego ! J’ai appris aussi que, pour être adopté par la communauté, il faut savoir s’adapter. Par contre, j’ai eu la chance de faire des rencontres exceptionnelles et de les partager avec vous dans nos pages. J’ai pu découvrir un village magnifique non pas uniquement par ses paysages, mais bien par l’âme des gens qui y vivent. On dit que pour être « de la place », ça prend trois générations au cimetière… Peut-être qu’avec l’aventure du Saint-Armand, mon identité s’enracinera plus vite ! !
Alors, je suis fier d’être Armandois et d’avoir pu, à travers le journal et son équipe, contribuer à la vie citoyenne de notre beau village.