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Ma mère est douce de nature, généreuse, ricaneuse, mais droite. Elle a grandi sur une ferme tout près de Saint-Marc, bucolique village sur les berges du Richelieu. C’est pourquoi son bilan routier étonne. À l’énumération de ses faits d’armes, on pourrait facilement croire que l’on a affaire à un braconnier émérite.
C’est qu’il faut la voir conduire !Un petit bout de femme qui dévore la route comme elle le fait à la course à pied, à toute vitesse. Et de la route, elle en fait. Travail, entraînements, excursions, compétitions à travers le Québec et même au-delà. Elle n’arrête pas. Si vous voyez une Yaris bleu ciel avec l’autocollant « j’aime le bois » à l’arrière, rentrez vos animaux. Cette voiture a un lourd passé.
Je ne ferai même pas le décompte des écureuils, mulots, chats, taupes, mouffettes ou ratons qui y sont passés. L’espace d’un serrement de cœur, un petit sursaut de la voiture et c’est déjà fini. L’histoire est vite oubliée dans le pick-up de la sécurité routière qui passe derrière avec une pelle. Triste vous direz, mais c’est la vie… c’est la campagne.
Le récit prend un autre tournant lorsque ses appétits de tueuse lui font voir plus grand.
Ma Mère : « Bonjour M. l’assureur, j’ai heurté un héron.
Assureur : Mon Dieu madame, vous allez bien ?
MM : Oui, oui… Pas mon pare-brise… C’est gros un héron. »
Elle reçoit ses indemnités sans véritable enquête. Il faut dire que c’est sa première réclamation. Petit à petit, ce qui ne devait être qu’un incident malheureux devint une habitude. Un geste banal qui après quelques froncements de sourcils ne fait réagir personne.
MM : « Bonjour M. l’assureur, j’ai heurté un chevreuil.
A : Quoi ? Mais madame la semaine dernière, c’était un héron !
MM : Monsieur, j’habite en campagne vous savez, il y a beaucoup de chevreuils.
A : Bon d’accord, voici votre remboursement. Soyez prudente ! »
Qu’est-ce qui pourrait bien être plus gros maintenant ? Il y a bien l’orignal, mais il est difficile à trouver surtout si vous cherchez les meilleures conditions pour le frapper. Autre obstacle de cette chasse, la voiture brise les pattes de l’animal et le corps s’écrase sur l’habitacle. Très peu sécuritaire pour l’occupant. Ma mère reste tout de même très pragmatique et réfléchie. Elle visera quelque chose d’un peu plus exotique.
MM : « Bonjour M. l’assureur…j’ai heurté… un lama.
A : QUOI ? Madame, vous ne trouvez pas que vous commencez à exagérer ? Le héron, le chevreuil et une semaine plus tard un lama !Vous étiez en Amérique du Sud ?
MM : Non, il y a un élevage près de Saint-Césaire… J’ai eu juste une petite poque.
A : Madame, vos histoires commencent à être invraisemblables. Ralentissez, on dirait que vous chassez les primes. »
Elle a eu chaud, mais quel plaisir elle avait à nous décrire la tête de l’assureur. Elle pouvait être plusieurs minutes à essayer de nous raconter la scène, tordue de fous rires, incapable de prononcer un mot sans éclater. Son assureur avait sans doute reçu un plus grand choc que le lama.
MM : « Bonjour M. l’assureur.
A : Encore vous !
MM : J’ai…
A : Ah non ! Non, non, non. C’est quoi maintenant ? C’est l’éléphant ? Le seul éléphant du zoo de Granby s’est échappé et vous avez réussi à le frapper ?
MM : Mais…
A : Non, j’en ai assez de vos histoires », hurla-t-il.
La dernière rencontre n’existe pas. C’est pour rire, mais ce n’est pas si drôle. Mon intention n’est pas de comparer les assureurs à la classe moyenne, mais pour plusieurs, le premier et espérons le dernier budget Bachand, a eu l’effet d’un pachyderme dans le pare-brise. Les dégâts de l’éléphant ne sont même pas si ravageurs. Un lama, un chevreuil et un héron étaient passés par là avant. Le gouvernement Charest nous sert un peu la même salade. C’est avec persistance qu’il s’acharne sur ceux qui paient le plus de taxes et d’impôts proportionnellement à leurs revenus. Au fil du temps, ils oublient la récurrence de projets comme le Suroît, les hausses de tarifs de tout l’appareil public malgré les promesses de gel, les scandales à répétition – construction, garderies, écoles confessionnelles, accommodements raisonnables, nomination des juges, financement des partis – le parc du mont Orford, les crises comme celle de la listériose, H1N1, les urgences, etc… Ils réagissent un peu, le temps passe et voilà Charest avec une majorité. Le prochain gouvernement sera certainement libéral.
Le plus indécent, c’est qu’il rigole bien de notre gueule. « Le gouvernement fait 62 % des efforts » qu’on nous dit dans de belles publicités pleine page dans nos journaux. La classe moyenne s’en fout que le gouvernement fasse des efforts, c’est encore elle qui va écoper avec la baisse des services. Les riches auront toujours les moyens de se payer du privé en éducation ou en santé.
Pire encore, c’est d’entendre à chaque conférence de presse, les ministres se gargariser : « Nous sommes très fiers du budget ». Bien sûr, les contributeurs du parti sont épargnés. À moins qu’ils s’étouffent, ou… que ma mère passe par là.