Armand Colmor (Photo : Christian Guay-Poliquin)
Montréal. Milieu des années 40. Après une longue crise économique et une seconde guerre mondiale, la métropole du Québec vit un essor économique sans précédent. C’est le début de ce qu’on appellera plus tard les Trente Glorieuses.
Armand Colmor est alors un jeune homme, il travaille dans une industrie de peinture où après quelques années il est atteint de sérieux troubles pulmonaires dûs aux vapeurs nocives émanant de la fabrication de cette peinture. Incapable de poursuivre cette vie d’ouvrier montréalais, il vient rejoindre sa mère qui habite à Pigeon Hill, sur le chemin Morse’s Line, depuis 1945, c’est-à-dire dans le temps où Pigeon Hill n’était pas encore un village entre parenthèses.
Dès lors, il se débrouille pour gagner sa croûte en faisant ce qu’il a toujours fait depuis qu’il est enfant : ramasser ce que les autres délaissent. Tout jeune déjà, dans la grande ville, il se levait à l’aurore, quelques heures avant d’aller à l’école et, crochet à foin à l’épaule, il arpentait les rues en quête de papier et de bouteilles vides. C’était une époque, dit-il, où « il fallait faire un mille pour avoir trente sous. » Mais la différence, note-t-il, c’est qu’avec ces efforts, les trente sous, il les avait.
Donc, rendu à Saint-Armand, M. Colmor s’organise pour gagner sa vie. Il bûche, il chasse, travaille ici et là, donne des coups de main à ses voisins. Quelques années plus tard, c’est en coupant l’arrière d’une vieille voiture pour se faire un pick-up qu’il devient ferrailleur. Il se promène d’un bout à l’autre de Saint-Armand et débarrasse les gens de tout ce qu’ils ne veulent plus et qui contient du fer : des électroménagers aux vieilles voitures. Ingénieux, il répare, réutilise et récupère tout ce qu’il peut. Il fait lui-même les outils dont il a besoin. M. Colmor est un « patenteux », un vrai, un de ceux pour qui rien n’est sans valeur…
Curieux, autodidacte et polyvalent, il dit que « pour apprendre comment quelque chose fonctionne, il suffit de regarder, de jouer avec les pièces et de ne jamais cesser de dire : « Je suis capable ». C’est pour ça, ajoute-t-il, que sa « cour à scrap » est devenue sa mine d’or.
Aujourd’hui, maintenant que les biens matériels pleuvent sur nous à un point tel qu’il est plus simple d’en racheter que de les réparer, maintenant que la récupération est institutionnalisée, M. Colmor avance que c’est l’argent que l’on possède qui nous dépossède de notre débrouillardise et de notre autonomie.