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- Chronique littéraire d'Armandie -

À la recherche de la bléphilie de Dunham

Charles Lussier

Bléphilie hirsute, fleurs en glomérules denses, axillaires. Source : Go Botany, USA

Le territoire du canton de Dunham est grand et offre une variété d’habitats naturels.  Il va des pentes abruptes du Petit Pinacle, aux zones de marais et de milieux humides du lac Selby, puis à celles des derniers dépôts profonds et rocailleux de la mer de Champlain situés à l’ouest. Différents écosystèmes forestiers y sont associés.  Ses zones de microclimats ont donné naissance aux vignobles, qui sont bien connus au Québec.

Pour les botanistes du Québec et du nord-est américain, Dunham est un lieu mythique. C’est le territoire québécois où la bléphilie hirsute (Blephilia hirsuta (Pursh) Bentham var. hirsuta ou hairy woodmint) a été signalée. C’est le 19 juillet 1865 qu’on a récolté les premiers spécimens ayant donné lieu à ce signalement et qui se retrouvent dans l’herbier Andrew Fernando Holmes (1797-1860), lequel fait partie de la collection de l’université McGill. Le nom de celui qui l’a récoltée n’y figure pas. Ce n’est pas Holmes puisqu’il est décédé en 1860. J’avance l’hypothèse que ce serait William Munro, colonel de l’armée britannique, botaniste prolifique et, à l’époque, spécialiste mondial des graminées. On sait qu’il séjournait dans la région de Montréal dans les années 1860. Ici une enquête historico-botanique est à faire sur les collaborateurs de Holmes. Y aurait-il eu d’autres cueillettes inscrites dans un vieux cahier de notes du botaniste récolteur ?

En plus de son doctorat en médecine, A.F. Holmes était botaniste et géologue.  C’est l’un des fondateurs de la première école de médecine de Montréal associée à l’université McGill et un membre fondateur de la Société d’histoire naturelle de Montréal. Son herbier de la flore de Montréal et des environs est remarquable.

Selon le Centre de données du patrimoine naturel du Québec (CPDNQ), la bléphilie hirsute est présentement considérée comme disparue du Québec. Appartenant à la famille des Lamiacées, c’est une plante vivace à tige quadrangulaire de 40 à 80 cm de haut, velue surtout vers le haut, à poils étalés de 1 à 2 mm de long. Ses feuilles sont ovées, de 4 à 10 cm de long, dentées, à pétioles longs de 1 à 2 cm. Son inflorescence est en 3 à 5 verticilles floraux espacés, ses fleurs en glomérules denses, axillaires, sa corolle est blanche ou bleu pâle à purpurine, ponctuée de pourpre. Elle fleurit de mai à septembre. Elle habite les bois riverains, souvent rocailleux. Elle ressemble à la menthe des champs (Mentha arvensis), mais possède des fleurs deux fois plus petites ainsi que quatre étamines, et se trouve dans un habitat semblable, mais plus ouvert, ensoleillé.

La seule occurrence de la bléphilie hirsute, répertoriée en 1865, coïncide avec la période des grands déboisements de la Montérégie et des Cantons-de-l ‘Est par la mise en valeur de l’agriculture, notamment pour l’élevage extensif de bovins à viande ou de vaches laitières. Les boisés ont aussi été buchés pour répondre aux besoins de l’industrie forestière, ce qui a sûrement contribué à éliminer les rares populations de cette plante.

En Ontario, la bléphilie a le statut de plante précaire (S1, le statut de précarité maximal). Sa première mention daterait de 1958 à la rivière aux Sables (lac Huron), puis on l’a retrouvée en 1999 dans la même région, au sud de la province. Aux États-Unis, ses populations importantes sont concentrées dans les états de l’Ohio, de l’Indiana et de l’Illinois, au sud des Grands Lacs. Elle semble préférer les boisés riverains des plaines, plutôt que les sites montagneux ou en pente. Elle est considérée comme menacée au Vermont et au Connecticut, et a le statut d’espèce en danger au Massachusetts.

Selon mes estimations, les bois riverains rocailleux où la bléphilie hirsute a été récoltée en 1865 correspondraient aux secteurs des chemins Béranger et Maska, situés à l’ouest du territoire de Dunham. Un beau projet collectif régional serait de procéder à des inventaires dans ce secteur. C’est chercher l’aiguille dans la botte de foin… Un indice : quand on l’effleure, elle est très odorante, tout comme les diverses espèces de menthe. Soyez attentifs lors de vos promenades dans les bois, aux abords de la rivière aux Brochets, de la rivière aux Brochets-Nord ou encore du ruisseau Rémillard.  Rapportez-nous de beaux spécimens de cette plante rare dans le nord-est américain afin que nous puissions la localiser, le cas échéant.

Source :

Comité flore québécoise de Flora Quebeca. 2009. Les plantes rares du Québec méridional
Guide d’identification en collaboration avec le Centre de données du patrimoine naturel du Québec (CPDNQ).
Les Publications officielles du Québec, 406 pages.