Description de l’étendue d’une chênaie par René·Nicholas Levasseur au lac Champlain, Centre des archives d’outremer (France) mars 1744
Pour la Nouvelle-France, le bassin du lac Champlain, incluant la seigneurie de Saint-Armand, comprend des ressources naturelles et un grand potentiel de mise en valeur.
Ce long corridor lacustre présente des conditions adoucissantes pour le climat de ses régions riveraines qui l’entourent. Les sols fertiles des basses teIles du pourtour de ce plan d’eau ont ainsi permis l’implantation naturelle de peuplements forestiers d’une grande richesse. Dès son arrivée en Nouvelle-France en 1739, René-Nicholas Levasseur sera vite amené à inspecter les territoires du lac Champlain. Celui qui deviendra responsable de la construction navale (1749), inspecteur des bois et forêts pour cette industrie royale et seigneur de Saint-Armand (1748), est au cœur du projet d’expansion de la flotte en Nouvelle-France pour le compte de la France.
Pendant vingt ans, jusqu’à la fin de la colonie, Levasseur arpente continuellement la vallée du Saint-Laurent jusqu’au lac Ontario à la recherche des sources de bois de qualité pour la construction de vaisseaux. Il gère les chantiers d’exploitation des forêts et les différents chantiers navals, dont un au lac Champlain et le plus important situé à Québec. Selon l’historien Jacques Mathieu, la construction navale à Québec fut une industrie décidée par la métropole et non par la colonie, les méthodes de construction ne convenaient pas aux ressources forestières de la colonie. L’opération se solde par un quasi-échec. Cette industrie navale en Nouvelle-France était intégrée aux efforts soutenus de la France dans une guerre sur mer contre l’empire britannique pendant la première moitié du 18e siècle.
Vu la qualité de ses forêts, Levasseur viendra environ une douzaine de fois au lac Champlain. Il y fait état de ses observations et de ses activités par la rédaction de nombreuses lettres, rapports et procès-verbaux qui sont adressés à l’intendant et au flamboyant Maurepas, ministre de la Marine et des Colonies. L’intérêt de consulter ces documents, outre leur dimension historique importante, est l’information qu’ils contiennent concernant la description des territoires du pourtour du lac Champlain avant leur exploitation forestière. Ces documents disponibles sur Internet deviennent une base de données de premier ordre pour les naturalistes et les forestiers qui travaillent sur ce territoire. Ce sont les premiers inventaires forestiers réalisés où il est souvent question de pinèdes et de chênaies sur de grandes étendues des forêts précoloniales, aujourd’hui rares. L’exaltation de Levasseur dans plusieurs de ses descriptions témoigne de la qualité exceptionnelle des forêts qu’il visite, dont les arbres ont souvent un diamètre de plus de 20 à 30 pouces.
Samuel de Champlain était venu pour la première fois au lac Champlain en 1609, et il avait fait mention des forêts de la région.
Pour la seigneurie de Saint-Armand, une question se pose par rapport au choix ciblé que Levasseur fait à l’endroit de ce territoire (qui s’étend alors de la baie de St. Albans à Saint-Armand et, en profondeur, à la limite Est de Frelighsburg). Suite à ses nombreuses explorations en Nouvelle-France et notamment au lac Champlain, sa demande puis l’obtention de ce territoire en particulier nous indique que celui-ci devait être pourvu de forêts d’intérêt pour satisfaire les exigences de ce chef constructeur de vaisseaux.
À la fin du régime français en 1760, l’agglomération de la seigneurie située près des premières chutes de la rivière Missisquoi comprenait une église, un moulin à scie et une cinquantaine de maisons appartenant à des Français et à des Abénakis, immeubles encore en place lors de l’indépendance des États-Unis. Retourné en France, Levasseur vend sa seigneurie en 1763, pour la modique somme de 2 000 $, à Henry Guynand, négociant à Londres. Le territoire sera ensuite vendu aux quatre marchands de Québec William McKenzie, James Moore, Benjamin Price et George Fulton. Après p1usieurs transactions et rachats de titres, Thomas Dunn du conseil législatif de Québec en deviendra l’unique seigneurie en 1789. La nouvelle frontière avec les États-Unis, située au 45e parallèle, ne laissera à la nouvelle Province of Québec que 20 % de la partie nord du territoire seigneurial original. Ce territoire qui longe la frontière correspond approximativement aux municipalités de Saint-Armand et de Frelighsburg. Ses limites deviendront la base de référence pour la délimitation des premiers cantons qui s’étendront vers l’est (Dunham, Stanbridge, Sutton, etc.).
Aujourd’hui, le lieu d’origine de la seigneurie de Saint-Armand devenue la ville de Swanton (VT) comprend toujours une communauté abénakise. En 1997, 60 % de la population du comté de Swanton avait des ancêtres français ou québécois, le taux le plus élevé au Vermont.
Sources :
l. Fournier. P. 2004. Les seigneuries du lac Champlain 1609-1854. Pbilippe Fournier éd., 274 p.
2. Lacoursière, J., 1995. Histoire populaire du Québec – Des origines à 1791. Éd. Septentrion, 481 p.
3. Senécal, J-A, l 997. French-canadian and French ancestry, The franco-American Inventory project, University of Vennont, 1 carte