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De tristes querelles

Un billet de Christian Guay-Poliquin

« La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes. » Winston Churchill

Un village. Un autre. Le plus septentrional de la péninsule gaspésienne : 1 400 habitants en 1975, 380 aujourd’hui. En hiver, il fait « frette » et il ne se passe pas grand’chose. Toutefois, en novembre dernier, les élections municipales, comme les grandes marées, ont grugé une bonne partie du village. Deux mois plus tard, dans la petite municipalité, on en parle encore. C’est fini, mais pas réglé. Chacun a trop à dire. Alors les gens ne se parlent plus.

Cette municipalité est trois fois plus petite que la nôtre. La grande majorité des maisons ont été construites, entassées, d’un bord et de l’autre de la route principale. Comme pour se protéger du vent. Ainsi, tout le monde est voisin. Tout le monde se connaît.

Automne dernier, campagnes électorales municipales. Il y avait sept postes à combler. Une vingtaine de personnes se sont portées candidates pour les postes de conseillers et de maire. Publicité, porte-à-porte, bouche-à-oreille, il n’y a pas grand monde à convaincre. Tous les votes comptent.

Les vieux enjeux restent les mêmes. Tout d’abord l’emploi. La morue, aujourd’hui de la taille d’une truite, ne se pêche plus. La forêt ne repousse pas assez vite pour qu’on puisse la couper à nouveau. Depuis la fermeture de la mine et quelques vains efforts, Murdochville est une ville qui s’éteint tranquillement. Ensuite, les jeunes. Ils vont à Rimouski, à Québec ou en Alberta. Ils ne restent pas. Les autres vieillissent, une année après l’autre, dans de trop grandes maisons. Enfin, les commerces placardés et les écoles abandonnées. Ils sont tour à tour reconvertis en ceci ou en cela. Mais ceci ou cela, souvent, ne dure qu’un temps.

Toutefois, depuis quelques années, de nouveaux enjeux font leur apparition dans la sphère municipale. On parle notamment d’un projet éolien dont une grande partie s’étend sur le territoire de la municipalité et d’un important gisement d’argile alumineuse qui pourrait faire bientôt l’objet d’une exploitation. En fait, on parle d’activités qui pourraient, peut-être, donner un second souffle à l’économie du village et des environs.

Entre-temps, il y a toujours le tourisme estival. L’été, le village se gonfle un peu. Les maisons d’été reprennent vie. Le phare attire quelques curieux. Le camping accueille quelques vacanciers. Aussi, un nouveau projet, paradoxal mais prometteur : une quinzaine de chalets de luxe, en bois rond, pour accueillir les riches Américains qui souhaitent aller à la pêche au saumon.

Bref, quelques enjeux, sept postes à combler, une vingtaine de candidats.  Un petit village, pas dépeuplé, mais presque. Un petit village animé par les intérêts des uns et les besoins des autres. Un petit village. Un peu de parlotte. Beaucoup de conflits.

Le maire sortant était en poste depuis 1991. Un homme taciturne qui administrait la municipalité sans changement particulier, sans déficit surtout. Un homme à la tête d’une petite compagnie de transports, de bois, l’été, de sel, l’hiver.

Le frère du maire possède le seul garage de la municipalité. Les deux autres ont fermé, il y a quelques années. Un peu avant les élections, il a menacé de fermer sa station-service si son frère n’était pas réélu. Le ton a monté. Son frère a été défait. Le garagiste a fermé ses pompes. Les autres villages sont loin. Et l’hiver, les routes sont dangereuses. Le ton a encore grimpé d’un cran. Les journalistes se sont pointés chez lui. Chaque jour, pendant quelques semaines : toc, toc, toc. On a lu cette histoire dans la majorité des journaux du Québec. Une petite colonne perdue entre les faits divers et les actualités régionales : « Je l’avais dit, je l’ai fait. »

Pendant ce temps, le nouveau maire, un jeune professeur d’éducation physique qui a été élu par une majorité de 29 voix, accuse l’ancienne administration d’avoir formé un club privé.

Les gens du village prennent position. Certains parlent, d’autres se taisent. Mais les rumeurs gagnent en ampleur. Aux assemblées municipales, ça gueule. La confusion s’installe petit à petit dans la municipalité et entre dans les maisons. Des clans se forment, des voisins arrêtent de se parler, d’autres se pointent du doigt. Le village est désormais scindé en deux par une épaisse frontière de silence, qui pèse lourd sur les épaules de tous.

Entre-temps, dans sa voiture, un jeune travailleur entend parler de son village à la radio. Il sourit d’abord puis, il soupire. Il finit par éteindre la radio. Soudainement, il se souvient de la raison pour laquelle il est parti.

Quelques semaines plus tard, le garagiste ouvre à nouveau ses pompes. La tension médiatique tombe : « Tout est rentré dans l’ordre dans la petite municipalité gaspésienne. » On rit un peu, puis on oublie le nom de ce village. Déjà, les journaux parlent d’autre chose.

Mais là-bas, le silence ne s’est pas levé. Les gens boudent et s’en veulent. Rien ne bouge. C’est l’hiver, il fait froid, il vente fort. À la mi-janvier, les jeunes n’ont pas encore leur patinoire. Chaque famille est enfermée dans sa maison. Mais cette année, l’hiver sera long. Plus long et plus froid que de coutume.