Annonce
Annonce

Les secrets du lac Champlain

Daniel Bouillon

Source : fr.wikipedia.org

Originaire de Rimouski, Daniel Bouillon est plongeur sous-marin d’expérience. Sa passion pour la plongée lui a fait découvrir un monde secret et inconnu pour la plupart d’entre nous. Qu’il plonge dans les cavernes d’eaux douces de la Floride ou dans les eaux troubles et froides du Saint-Laurent, où il visite régulièrement l’Empress of Ireland, Daniel est un passionné qui nous fait partager ces aventures.

Notre univers à nous est bien le monde de l’air (terriens que nous sommes). Pour fonctionner, nous devons respirer bien des fois à la minute. L’invention d’un appareil respiratoire autonome (milieu des années 1940) nous permet aujourd’hui d’explorer le monde subaquatique (merci, M. Cousteau et M. Gagnan) et ce, d’une façon très conviviale et très plaisante. Fait intéressant, à l’époque, M. Cousteau et M. Gagnan n’ayant pu breveter leur invention en France (occupée par les Allemands), le brevet fut donc déposé à Lachine, au Québec.

Le lac Champlain, un plan d’eau qui a joué un rôle très important lors de la colonisation de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre, offre un terrain de jeux (si je peux dire) des plus captivants pour les « aquasapiens ». À noter que le lac Champlain et ses affluents représentaient une voie navigable qui a permis un développement rapide sur ses rives. Un trafic maritime existait déjà au début des années 1800.

Les marins de l’époque n’étaient pas pourvus de cartes marines précises ni d’instruments électroniques (GPS, radar, échosondeur,  etc.,) pour naviguer sur ces plans d’eau ; par conséquent, beaucoup de bateaux se sont retrouvés au fond du lac.

Pour les plongeurs sous-marins, un éventail d’épaves se retrouve à portée de main (ou de palmes). On retrouve donc parmi ceux-ci de très beaux exemples de l’ingéniosité humaine, tel le horse ferry, traversier mû par des chevaux. Ces derniers faisaient tourner une table tournante qui, par le biais d’arbres et d’engrenages, entrainait des roues à aubes de chaque coté de la coque du navire.

Aux environs de 1814, ce type de traversier était commun en Amérique du Nord. L’apogée de leur utilisation se situe autour de 1830 à 1840, à la suite de quoi, il a été détrôné par la vapeur. Nous retrouvons un bel exemple de ces bâtiments au nord de la baie de Burlington, à environ cinquante pieds (15 mètres) de profondeur.

Un autre, le General Butler, cargo équipé d’un gréement de goélette   avec une dérive rétractable, pouvait naviguer sur le lac Champlain comme un voilier et être ensuite utilisé sur les canaux après qu’on lui ait retiré ses mâts et ses voiles et remonté sa dérive. Bâti en 1862, ce bateau fut pris dans une tempête et fit naufrage le 9 décembre 1862, juste en face du brise-lame du port de Burlington. Heureusement, tout le monde fut sauvé.

Avec ma copine et deux autres compagnons de plongée, j’ai découvert ce berceau d’histoire par un été chaud du mois d’août. Après avoir pris à la boutique de plongée locale tous les renseignements nécessaires sur les épaves que nous avions ciblées, nous avions mis le bateau à l’eau à la marina de Burlington. À noter qu’on ne peut prélever des souvenirs sur les épaves du lac Champlain car elles font partie du patrimoine historique des États-Unis et sont protégées par la loi. Je préfère ne pas imaginer les sanctions encourues si quelqu’un s’avisait de transgresser cette loi et d’être pris en flagrant délit.

Nous avons donc chargé le Zodiac de nos scaphandres préalablement assemblés pour ensuite entreprendre la séance d’habillage. L’eau du lac Champlain est chaude en surface (20 à 25˚ C) mais, au-delà de la thermocline (changement abrupt de température entre 2 couches d’eau), la température chute à 10 degrés, ce qui impose le port d’un vêtement isothermique permettant de plonger en tout confort.

Les plongeurs s’entraident pour enfiler le vêtement isothermique… une atmosphère d’enthousiasme et de fébrilité envahit les équipes, et nous tirons à pile ou face pour savoir qui sera la première à l’eau. L’autre équipe devra attendre en surface pour garder un œil sur le bateau et être prête à intervenir s`il arrivait quoi que ce soit. Hum…ma copine et moi serons de la première palanquée (équipe de plongeurs). Tous embarquent dans le bateau et l’autre équipe s’occupe des manœuvres…Nous n’avons pas à naviguer très loin pour atteindre la première épave (environ 150 mètres). À noter que, pour des raisons de sécurité, il est préférable de si rendre à bord d’une embarcation car, près de la marina, la circulation de bateaux est parfois intense.

On se dirige de l’autre côté du brise-lame ; là, une bouée permanente marque le site de plongée (site no 42 sur la carte). On n’a pas à jeter d’ancre au fond, ce qui risquerait d’endommager l’épave. Il suffit d’accrocher la corde d’amarrage de notre bateau à la bouée permanente qui sert d’ancrage au site.

Nous enfilons nos scaphandres, effectuons une dernière vérification et, plouf, un roulé arrière pour se mettre à l’eau. Enfin, de l’eau fraîche ! On a tendance à « surchauffer » lorsqu’on porte un vêtement de plongée et que ce cher Galarneau, le soleil, nous tape sur la tête. Pendant que nous nous acclimatons, nous passons en revue le plan de plongée et quelques signes de base car, dans ce monde liquide, on se doit de communiquer au moyen d’un protocole préétabli, sans compter les signes personnels qui s’ajoutent à la panoplie.

Je fais un dernier « okay » à ceux de l’équipe de surface qui me répondent de m’empresser car ils ont hâte de plonger à leur tour. Quand tout est en place, nous amorçons notre descente sur la corde. À notre grande surprise, les rayons du soleil saccadés par les vaguelettes de surface atteignent le pont de l’épave et nous offrent un spectacle tout simplement grandiose… ce silence, qui n’est brisé que par notre respiration, et ces bulles qui s’évadent du détendeur pour aller se dissoudre à la surface. Ce bateau qui se découvre à nous… le moment est intense et tous nos sens sont en éveil.

Le bâtiment gît par 12 mètres de fond (40 pieds) à l’endroit précis où il a sombré le 9 décembre… avec aux commandes le Capitaine William Montgomery. Il repose au fond, droit sur sa quille. Nous sommes à quelques mètres de lui car la corde d’ancrage est accrochée non sur l’épave mais à un bloc de béton tout près. Quelques beaux achigans vien nent nous saluer comme s’ils nous connaissaient, ces grands curieux. Les poissons ne sont pas effrayés par notre présence, ils nous voient comme des extra-terrestres qui envahissent leur espace et ce, sans invitation. Nous atteignons la poupe du navire (partie arrière) ; les poissons semblent nous escorter dans notre visite de leurs lieux. Ce bateau est très bien préservé ; nous contrôlons notre flottabilité afin de ne pas en toucher outre mesure la structure. Les écoutilles sont là devant nous ainsi qu’une partie du gréement, les taquets d’amarrage, les cabestans et un couvert d’écoutille. Nous remarquons aussi les socles qui devaient recevoir les mats et d’autres parties du gréement qui étaient utilisées lorsque le bateau devait emprunter des canaux. Le pont est dans une condition surprenante, ce qui confirme que le bois se conserve beaucoup mieux dans un milieu d’eau douce que marin.

Impossible de pénétrer l’épave, au risque de l’endommager, mais un coup d’œil rapide à travers l’écoutille révèle beaucoup de sédiments ; par contre, aucune cargaison visible. La visibilité est bonne, on peut presque voir tout le bateau, un bâtiment de 88 pieds de long sur 14 pieds de large. Toutes voiles déployées, il devait avoir fière allure sur le lac. Toujours escortés par nos achigans, nous progressons jusqu’à la proue du bateau (partie avant) et constatons que la coque est endommagée ; c’est ce qui l’a amené à sa perte. Le temps passe très vite en immersion, nous décidons donc de retourner vers la corde d’amarrage. L’ambiance créée par la lumière est phénoménale, les rayons du soleil surplombent l’épave et nous donnent presque l’impression d’être dans les mers du Sud. Nous apercevons la corde qui nous a guidés jusqu’ici et nous retournons pour saluer notre épave. Une dernière vérification avant d’amorcer la remontée… temps de plongée/profondeur maximale… et lentement, la tête pleine d’images, remontons le long de la corde. Un arrêt à 4,5 mètres (15 pieds) de la surface pour une période de 3 minutes est toujours de mise pour donner le temps au corps d’évacuer le trop plein d’azote saturé qui s’est accumulé durant cette belle plongée.

À peine la tête sortie hors de l’eau, nos gaillards nous harcèlent de questions… Nous décapelons nos scaphandres avant de nous hisser à bord. Sitôt à bord, l’autre équipe s’empresse de se mettre à l’eau et de bientôt disparaître sous les flots. Nous rangeons le matériel de plongée tout en discutant des choses qui nous ont impressionnés au cours de cette plongée. Le sentiment d’être très privilégiés nous envahit car, grâce à notre formation et notre équipement, nous avons la possibilité d’explorer à loisir une parcelle d’un musée sous-marin, d’être témoins d’une page d’histoire, qui en plus, se trouve à nos portes. Il n’y a pas si longtemps, une excursion comme celle-ci n’aurait pu avoir lieu.

Pendant que les bulles de nos copains viennent crever la surface, nous planifions déjà la prochaine sortie, un peu plus au nord dans la baie de Burlington (site no 40 sur la carte). Nous anticipons déjà d’aller visiter ce fameux horse ferry… mais ça, c’est une autre histoire…

Le lac Champlain a été le théâtre de nombreux naufrages.