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- Agroforesterie -

Au nom de la loi, j’abats

Réglementation municipale
Mathieu Voghel-Robert

Comme nous avons pu le constater dans l’affaire Swennen, la municipalité n’a pas joué le rôle de tampon entre la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) et Urbain et Joseph Swennen. Ce n’était pas vraiment son rôle de légiférer en matière de zonage, mais avait-elle seulement les moyens de vérifier la demande de permis de coupe ?

« C’était le free-for-all », admet Réal Pelletier, notre maire. En effet, pendant longtemps, ceux qui avaient la rigueur de demander un permis de coupe à la municipalité le faisait, ce qui a d’ailleurs été le cas des frères Swennen, sinon les autres faisaient ce qu’ils voulaient. « Il n’y avait pas moyen de faire le suivi, reconnaît-il. On se fiait à la bonne volonté des gens. » Pas de contrôle possible ; de toute façon, la réglementation était pratiquement inexistante et, par conséquent, il était difficile d’appliquer les principes de protection de la forêt.

En 1992, le règlement concernant la coupe de bois ou l’abattage d’arbres ne comprenait que deux petites pages. Les articles encadrent la coupe de bois en bordure de route, le long des cours d’eau ainsi que sur les pentes fortes. Pour la zone agricole (zone A), « tout déboisement de plus d’un hectare ne pourra pas excéder le tiers de la superficie totale du boisé » du même terrain, stipule l’article 2.9.5. Par contre, aucune restriction au déboisement si le site de coupe fait l’objet de travaux d’amélioration, de drainage ou de nivelage par exemple. De plus, les premiers articles qui limitent le déboisement sur les 15 mètres longeant les voies publiques et les 10 mètres en bordure d’un cours d’eau deviennent caducs dans le cas de défrichement à des fins agricoles. Autrement dit, dès que c’est pour faire des champs, vous avez le champ libre…

Illustration : Jean-Pierre Fourez

Au fil des ans, d’autres lois sont venues encadrer l’abattage forestier. Depuis 1978, les érablières de plus de quatre hectares sont protégées par la Loi sur la protection du territoire agricole du Québec. Les technologies d’inventaire et le suivi des ressources se sont beaucoup  améliorés, ce qui garantit une meilleure application de la loi mais, encore aujourd’hui, la CPTAQ procède parfois après plaintes. De plus, depuis 2004, un moratoire portant sur la création de nouvelle terre agricole a passablement modifié les paramètres du déboisement. Par contre, ce moratoire n’empêche pas un propriétaire de procéder à des coupes en respectant les autres règlements en vigueur. Ce terrain, une fois coupé, ne pourra plus être converti en champ de culture bien qu’il en ait toutes les caractéristiques visuelles. Malgré tout, ce n’est toujours pas la municipalité qui contrôle l’application de ces mesures.

Nouvelle vision

La réflexion sur la situation de la forêt à Saint-Armand est venue à l’esprit de Réal Pelletier lors d’un trajet vers Bedford. Depuis quelques années, sur le chemin Maurice, qui porte même le surnom de « chemin du bois », plusieurs coupes successives avaient passablement modifié le paysage. « Ça avait l’air d’un ado qui se serait coupé les cheveux lui-même, ironise le maire. C’était tout croche, ça faisait dur ! » Même si les terrains concernés ne sont pas dans la municipalité de Saint-Armand, il a décidé de vérifier l’état de la réglementation en plus de s’informer sur les changements qu’il pouvait y apporter.

En gros, selon le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), tant que le couvert forestier est supérieur à 30 % de la superficie municipale, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, donc de légiférer. « Je ne voulais pas attendre qu’on soit rendu  là », explique Réal Pelletier. En 2006, selon le plan d’urbanisme, la forêt représentait encore 43,6 % du territoire de la municipalité, soit l’équivalent de presque 83 fois la superficie du Vatican. Ce travail de calcul du couvert forestier, véritable travail de moine, n’a pas été repris à la suite des prises aériennes de 2009, confirme François Daudelin du service forestier régional de la MRC. Il est donc difficile de suivre l’évolution de la forêt. « On a perdu autour de 3 % dans les 20 dernières années », estime le maire, qui s’est vite rendu compte que la municipalité n’avait pas vraiment d’expertise pour faire le suivi, ni de moyen de faire appliquer le peu d’encadrement existant. « On faisait dans la gestion du fait accompli », admet-il.

Entente de bon voisinage

Il a fait le tour de son voisinage pour comparer la réglementation. Sa démarche de réflexion a trouvé son aboutissement lors de la signature de l’Entente intermunicipale relative à la foresterie et à l’application des dispositions réglementaires concernant l’abattage d’arbres avec les municipalités de Sutton, Dunham, Lac-Brome et Frelighsburg, sous la tutelle de la Municipalité régionale de comté (MRC) de Brome-Missisquoi. Chaque municipalité a adopté un règlement similaire, adapté à ses besoins et sa situation. La version 2008, révisée en 2009 et votée en 2010, de la réglementation armandoise est beaucoup plus contraignante. Des deux pages que comprenait la version de 1992, le document est passé à six pages et 19 articles. Cette version est non seulement plus volumineuse, mais également très précise. La plupart des types de coupes sont limités à un maximum de quatre hectares et rarement plus de 50 % des tiges peuvent être coupées. Les limitations ne sont plus seulement par rapport au pourcentage de tiges coupées, mais aussi dans le temps. Par exemple, l’article 198 stipule que, sur les pentes fortes de 30 à 49 %,  on peut couper au maximum 20 % des tiges sur une période de 10 ans.

Pour les bords de route, les restrictions de coupe concernent maintenant les 20 premiers mètres, au lieu des 15 de la version précédente. Il est dorénavant interdit de couper des arbres en « périmètre d’urbanisation », c’est-à-dire, au cœur du village. Les seuls motifs d’exception : le dégagement des fils électriques, de la voie publique, des panneaux de circulation ; pour lutter contre des parasites, des maladies ou une épidémie ; pour des questions de sécurité publique et pour la construction de nouveaux bâtiments. D’ailleurs, avant tout projet de coupe, la municipalité vous invite à vous renseigner à l’hôtel de ville, car nul n’est censé ignorer la loi et la justice coûte cher en énergie, en temps et en argent.

Enfin, de l’expertise

Le plus gros changement vient de l’expertise que cette entente apporte à la municipalité. Dorénavant, chaque année, Saint-Armand dispose des services d’un ingénieur forestier pendant 50 heures. Son rôle est de faire le suivi des demandes de Certificat d’autorisation d’abattage d’arbres en évaluant le plan de coupe, et de faire des travaux sylvicoles pour la municipalité. Un mandat d’inventaire des peupliers du bord du lac Champlain a été accordé et une étude en vue de faire des coupes d’émondage se déroulera ce printemps. Cette entente a été prolongée jusqu’en 2013 et coûte un peu plus de 4000 $ chaque année aux Armandois. Depuis 2008, la MRC a autorisé la coupe de 18 hectares de forêt ainsi que de la coupe sélective (30 %) sur un peu plus de 102 hectares à Saint-Armand. La coupe de 45 hectares a été autorisée pour cette année.

La signature de l’entente inter-municipale a été un des points tournants dans la gestion des forêts dans la MRC de Brome-Missisquoi. C’est toute une réflexion autour de la façon de protéger la ressource ligneuse dans une des MRC dont le couvert forestier est le plus important du sud-ouest du Québec. « Aujourd’hui, on a les moyens de faire un suivi, de vérifier le plan de coupe parce qu’on a l’expertise d’un ingénieur forestier », se réjouit M. Pelletier. De son propre aveu, entre les allées et venues de l’inspecteur Luc Marchessault, les relevés aériens du MRNF dont dispose la MRC, ainsi que la vigilance et la sensibilité des résidents à propos de la sauvegarde du patrimoine naturel, il sera bien difficile de contourner cette nouvelle réglementation. Surtout « qu’une des grandes richesses de la région, ce sont les magnifiques érablières à caryer des collines de Saint-Armand », affirme Normand Villeneuve de la Direction de l’environnement et de la protection des forêts du MRNF. Ce sera d’ailleurs un des sujets abordés dans le prochain numéro.