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Entrevue avec un proche voisin

La rédaction

Photo : Johanne Ratté

Pierre Parent est conseiller municipal à Frelighsburg. Avec sa conjointe, il gère en outre un B&B dans le village. Il est donc actif dans le développement de sa communauté. À ce titre, il a publié un mémoire sur la revitalisation de Frelighsburg dans le cadre des travaux de consultation publique menés par le Comité Vitalité Frelighsburg. Document que nous avons lu avec beaucoup d’intérêt et qui nous a donné envie de rencontrer cet élu d’une municipalité voisine.

Le Saint-Armand : Ce qui frappe au premier abord, à la lecture de votre mémoire, c’est le fait que, bien que vous reconnaissiez les signes de dévitalisation à Frelighsburg, vous insistez sur les atouts de la municipalité et soulignez que les outils de revitalisation sont loin de manquer dans la région. Sur quoi vous fondez-vous pour poser un diagnostic aussi optimiste ?

Pierre Parent : La dévitalisation de Frelighsburg est très différente de celle que vivent plusieurs municipalités du lac Saint-Jean, du Bas Saint-Laurent ou de la Gaspésie. Contrairement à ces régions, notre population reste constante. Bien qu’elle vieillisse, elle est très scolarisée, relativement aisée, active et impliquée. Bien sûr, la fermeture de la compagnie d’assurances Missisquoi, la baisse du nombre d’enfants inscrits à l’école du village, la fermeture du centre de services Desjardins, de même que la réduction des heures d’ouverture des postes frontaliers East Pinnacle, Morses Line et de Glen Sutton ne sont pas de bonnes nouvelles, mais n’oublions pas que nous possédons toujours l’essentiel des services, soit une épicerie, une quincaillerie, un dépanneur et le service postal récemment retrouvé.…

Autrefois orientée presqu’exclusivement sur l’agriculture, notre municipalité a vu le tourisme se développer et devenir son principal moteur économique. En plus d’être classée parmi les plus beaux villages du Québec, elle fait partie de la plus importante route des vins du Québec, et elle compte parmi ses entrepreneurs l’inventeur et plus grand producteur de cidre de glace de la planète ! Sur notre territoire, il y a un centre d’information touristique, trois campings, deux gîtes du passant, trois restaurants, une table champêtre, une boutique et deux galeries d’art ainsi qu’une multitude de petits producteurs agricoles, bio, biodynamiques et des éleveurs.

J’ai voyagé et résidé dans divers endroits avant de venir m’établir à Frelighsburg. J’ai travaillé dans le milieu touristique en Gaspésie, au Mexique, aux États-Unis et en France. En 2007, après avoir vécu sept ans près de La Rochelle, je suis revenu vivre au Québec avec mon épouse française. Nous désirions ouvrir un gîte du passant dans un lieu où le tourisme était en évolution, peu importe où au Québec. Après avoir parcouru de nombreux villages et régions touristiques, nous avons décidé de nous installer ici, attirés par les différents atouts et le très grand potentiel de la région.

S.-A. : En lisant votre mémoire, on constate certains points communs entre Frelighsburg et Saint-Armand. D’autres municipalités rurales du coin pourraient également y reconnaître un certain air de famille. Pensez-vous qu’il serait possible et souhaitable d’élargir la réflexion sur la revitalisation pour inclure les municipalités voisines ?

P. P. : Effectivement, il y a beaucoup de points en commun entre les municipalités du sud de notre MRC. Comme je le mentionne dans le mémoire, il y a des avenues à développer pour maintenir une activité dans l’ensemble de notre région afin de permettre à toutes et tous de vivre et travailler ici.

Le tourisme, l’art et surtout l’agriculture sont les domaines à promouvoir. Ils sont déjà très présents sur l’ensemble de notre territoire commun. Comme il y a beaucoup de petits producteurs de produits agricoles de haute valeur, il suffirait qu’ils forment un réseau, une association ou un autre genre de structure pour promouvoir notre terroir en créant une appellation comme il y en a maintenant dans Charlevoix. On imagine sans mal le développement, la reconnaissance et le rayonnement qui en découleraient ! En plus de profiter de notre proximité avec le marché du Grand Montréal, l’agrotourisme, la viticulture, la pomiculture stimuleront le tourisme qui, par ricochet, profitera à  nos nombreux et talentueux artistes.

C’est par ce type de développement durable que l’on attirera aussi des commerces, des services et des citoyens ayant à cœur la qualité de vie et la préservation de la beauté de notre coin de pays.

S.-A : Dans le texte que vous avez présenté au Comité Vitalité Frelighsburg, vous identifiez quelques erreurs classiques que commettent les autorités des municipalités qui cherchent à se sortir de l’impasse de la dévitalisation. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ce que vous considérez comme des mesures contre-productives ou mal avisées en matière de développement ?

P. P. : Comme tous le savent, le nombre de jeunes familles doit être maintenu, voire augmenté pour que notre école continue à offrir des cours et aussi pour que notre municipalité et notre région conservent un éventail de générations.

Quand on veut palier un déclin tel que la diminution du nombre d’enfants, la panique et les  décisions qui se prennent sans vision à long terme sont les pires attitudes que peuvent prendre les autorités gouvernementales quelles qu’elles soient. Certaines municipalités ont eu recours à des développements d’îlots de bungalows en rangées qui défigurent les noyaux villageois et qui sont toujours en vogue dans les municipalités à proximité des centres régionaux. On en voit près de  Saint-Jean-sur-Richelieu, Cowansville, Granby et en bien d’autres endroits au Québec. Certes, ces développements immobiliers attirent de jeunes familles, mais celles-ci travaillent plus souvent qu’autrement dans les centres urbains et font leurs courses dans leurs méga-centres commerciaux. Bref, ces îlots deviennent des banlieues dortoirs. Est-ce vraiment ce qu’on veut ? Ne serait-il pas préférable d’avoir une population composée de paysans, commerçants, professionnels, travailleurs autonomes qui vivent, travaillent et dépensent dans notre municipalité ? Ne devrait-on pas plutôt encourager le développement « vert » ? Dans un autre ordre d’idées, si on veut limiter la dévitalisation de nos municipalités, il faut absolument éviter de se nuire et de se « faire des guerres de clocher » entre nous. Si une municipalité a deux écoles sur son territoire et qu’une autre risque de perdre l’unique qu’elle possède, il me semble logique que la première concède tout nouveau territoire à la seconde, surtout si elles sont à égale distance de ce nouveau territoire… Il faut des solutions globales, pas du me, myself and I !

S.-A : Quelles sont les pistes prioritaires de solution à la dévitalisation ?

P. P. : L’accès à internet haute vitesse pour l’ensemble des citoyens non seulement de Frelighsburg mais aussi de toute la MRC est maintenant aussi essentiel que l’électricité et le téléphone. La MRC, les députés provincial et fédéral de Brome-Missisquoi doivent en faire la priorité des priorités. L’impasse juridique actuelle ne peut plus durer… Les citoyens ne peuvent pas se contenter indéfiniment d’une technologie qui date du siècle dernier ! D’ailleurs, la téléphonie cellulaire pourra aussi se greffer à ce développement.

Sans revenir sur l’ensemble des solutions que j’expose dans le mémoire, on pourrait d’ores et déjà démarcher des étudiants en agriculture « sans terre » (ex. : dans le cadre de rencontres « place aux jeunes en région ») et les mettre en contact avec des propriétaires qui ne valorisent pas leurs champs. On doit aussi favoriser l’immigration d’acteurs du développement durable afin de faire de notre région un laboratoire d’harmonie entre la Nature et l’Humain…

La compilation des données et commentaires des groupes de discussion (focus groups) et les solutions possibles que le comité Vitalité Frelighsburg doit exposer cet automne pourront certes nous aider à envisager d’autres voies.

S.-A : Merci Pierre Parent. Nous tâcherons de suivre ces développements. En attendant, comment nos lecteurs peuvent-ils consulter votre mémoire ?

P. P. : On peut le consulter sur le site du Forum Missisquoi (http://www.forummissisquoi. com/) à la rubrique « Opinion » et sous le titre « Mémoire sur l’avenir de Frelighsburg ».