Photo : GUEPE et Plantations des frontières
La définition de travailleur forestier se décline de mille façons. À Saint-Armand, c’est d’autant plus vrai que champs et forêts se succèdent. Les boisés sont petits, nombreux et, pour la plupart, privés. Chasseurs, acériculteurs, bûcherons, ingénieurs, techniciens, guides, producteurs, cueilleurs, naturalistes, la forêt accueille tous ces travailleurs.
La première déclinaison du travailleur forestier est certainement celle du bûcheron, cet homme fort et vaillant partant à l’assaut d’arbres massifs muni d’une hache et d’une boîte à lunch qui a nourri de tout temps notre imaginaire. La machinerie est venue remplacer la hache, mais le travail en forêt privée est tout de même resté assez artisanal.
À Pigeon Hill, depuis maintenant plus de trente ans, Jean-Pierre Bergeron produit des arbres de Noël : sapin baumier, épinette bleue, thuya. Un peu comme il le faisait quand il enseignait, il cultive ses arbres pour les faire croître, mais avec beaucoup plus de tranquillité depuis qu’il a pris sa retraite. « Depuis que je suis petit gars, j’ai toujours aimé le bois. Pour moi, c’est presqu’un loisir. » Pour avoir travaillé quelques années à la Plantation des frontières, je peux garantir que le boulot n’est pas de tout repos. Mais la proximité de cette nature, même contrôlée, procure une énergie qui surpasse l’effort consenti.
Les sapins de Noël et autres arbres, c’est du temps plein d’avril à décembre, mais l’attrait du bois ne s’arrête pas le 24 décembre. Après avoir planté, désherbé, élagué, taillé, engraissé, coupé et emballé en vue du transport et de la vente, Jean-Pierre retourne en forêt en janvier pour bûcher les arbres morts ou matures qui finiront en bois de chauffage ; il travaille de manière quasiment artisanale. « C’est sûr que je ne pars pas à cheval, une égoïne à la main, mais je me sers tout de même de petite machinerie. » Un tracteur et une scie à chaîne, rien d’assez bruyant pour empêcher d’apprécier la vivacité du froid et l’odeur du bois fraîchement coupé et légèrement chauffé par la chaîne. La satisfaction après un effort bien senti de sortir son billot du bois et de l’empiler sur les autres est indéniable.
« J’étais rendu là dans ma vie. C’est pas tant une retraite qu’un changement de carrière. » Comme il n’est plus bousculé par l’horaire et la planification des cours, il peut consacrer du temps à ses « petits ». Bien sûr, il est reconnu comme M. sapin, mais de plus en plus, il plante des arbres à des fins horticoles, des arbres qui continueront de vivre ailleurs : cèdre, épinette, noyer, chêne qu’on peut acheter en motte. Il a même récolté des noix de noyer cette année. Il est présentement en pleine préparation du temps des fêtes et s’attend à couper autour de 1150 arbres. Dernière question avant de se quitter, la chasse a été bonne ? « C’est la meilleure chasse depuis que j’y vais. » Ce qui signifie que les sapins seront un peu moins broutés cet hiver, sans compter que Luce, son épouse, a tué un neuf pointes.
L’Agence forestière de la Montérégie dénombre 12 producteurs forestiers dont le plan d’aménagement forestier couvre 46 lots et une superficie forestière de 356 ha. Les sommes investies au cours des trois dernières années par les programmes de l’Agence s’élèvent à 22 000 $ pour la municipalité.
Acériculture
Il y a aussi les producteurs de sirop d’érable. Saint-Armand possède de magnifiques érablières à caryer, mais de dimensions plutôt restreintes. Selon Simon Trépanier, de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, il y aurait sept producteurs de sirop d’érable dans le J0J 1T0. La production serait petite, voire négligeable par rapport à celle du reste du Québec. C’est que les calculs du volume de production au sein de la fédération sont reliés à la quantité de sirop qui transige par l’agence de vente. Comme la plupart des producteurs font de la vente à la ferme, il est donc très difficile d’avoir une idée claire de l’importance de la production dans la municipalité.
Les acériculteurs sont tout de même des travailleurs forestiers de grande importance. Ils préservent des forêts d’essences nobles, en plus de contribuer directement à l’économie locale. D’ailleurs, pour le même investissement, il est beaucoup plus rentable d’exploiter une érablière à des fins acéricoles que d’alimenter en feuillus les usines de sciage. C’est ce que démontrait une étude effectuée par ÉcoRessources Consultants pour le compte de la fédération et dont les résultats ont été dévoilés en mars dernier. Les chercheurs ne disent pas s’ils ont pris en compte le fait qu’il est illégal d’abattre une érablière au Québec. Reste que, selon l’étude, le sirop d’érable représente 1,3 % des emplois en région rurale. Bien entendu, la notion de plaisir est très importante quand vient le temps de qualifier et quantifier l’importance de ce sirop. En plus, les résultats d’études indiquent qu’il serait également excellent pour la santé.
Suivez le guide
Il y a ceux qui récoltent les produits de la forêt, mais aussi ceux qui en vivent simplement en la parcourant. C’est le cas d’Étienne Benoît qui, depuis cinq ans, travaille comme guide naturaliste. Il s’est expatrié à Montréal depuis plusieurs années, mais a réussi à trouver un équilibre « nature » en se joignant à l’équipe de GUEPE (Groupe uni des éducateurs-naturalistes et professionnels en environnement). Depuis 20 ans, cette entreprise d’économie sociale offre des ateliers, des cours, des conférences, des randonnées guidées et des camps de jour dans les domaines de l’éducation, des sciences de la nature et de l’environnement. Le GUEPE s’occupe notamment de l’animation des parcs-nature de la ville de Montréal.
« Je suis arrivé en ville et je me suis mis à travailler dans une usine d’empaquetage de viande, ensuite dans un café au centre-ville. Après cinq ans de béton, je manquais de souffle. » À la même époque, il entreprend un programme en animation et recherche culturelles à l’université. C’est dans le cadre d’un projet de stage qu’il découvre GUEPE.
« Il y a un déficit nature, surtout chez les jeunes », explique-t-il. L’objectif de faire découvrir le merveilleux qui se cache dans la nature à des enfants surstimulés qui n’ont pas l’habitude de tenir calmement en place pour attendre qu’un oiseau se pose à côté relève du défi. « Ils arrivent en courant tout énervés en s’attendant à voir un zoo. » Sa plus grande satisfaction se concrétise à la fin de la journée d’activité quand les jeunes commentent ce qu’ils ont vu et fait, et déclarent que leur activité préférée a été de fermer les yeux pour écouter les bruits de la forêt.
Selon lui, Saint-Armand est assis sur une mine d’or du point de vue de la biodiversité. Il plaide pour la présence d’organismes de conservation et d’éducation naturelle en région. « Je croyais connaître la forêt parce que je viens de Saint-Armand. Je me suis aperçu que ce n’était pas le cas. On protège ce que l’on aime, si les jeunes ne connaissent pas ça, c’est difficile de les convaincre de protéger les forêts. »