Annonce
Annonce

Nouveaux revenus potentiels pour les municipalités rurales

Guy Paquin

Vous avez dit « résidence déstructurée » ? (Caricature : Jean-Pierre Fourez)

Les municipalités québécoises en général et les rurales en particulier éprouvent des difficultés financières tenaces. Manque à gagner, endettement croissant et coupures dans les services sont le lot des petites communautés. Alors, augmenter les taxes ? Emprunter encore à des taux ruineux ? Couper d’autres services ?

Il existe une autre voie et la MRC Brome-Missisquoi va bientôt voir ses municipalités y accéder. Ça s’appelle des « îlots déstructurés », ma chère. Les magiciens du langage de la Grande-Allée se sont surpassés cette fois. Derrière cette appellation absconse, on trouve une réalité très simple : des parcelles de territoire zoné agricole sont à peu près impropres à l’exploitation agricole. Au prix de quelques contorsions administratives, on peut autoriser leur retour à une vocation résidentielle et leurs propriétaires peuvent soit construire eux-mêmes, soit vendre pour fin d’habitation.

« Faut dire que la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) croulait sous les demandes de dérogations, souligne Robert Desmarais, directeur général de la MRC Brome-Missisquoi. Mais ça devenait le labyrinthe administratif. Pour obtenir le droit de vendre la parcelle et d’en faire des lots résidentiels, ça vous prend l’approbation municipale, celle de l’UPA et du MAPAQ, avant même que la CPTAQ considère votre demande. »

L’exploitant agricole doté d’une cervelle raisonnable renonçait avant de devenir fou.

En 2006, prodige, ça bouge sur la Grande-Allée ! On introduit l’article 59 dans la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Mise au monde des « îlots déstructurés ». En gros, la MRC peut elle-même entreprendre de cartographier tous les îlots potentiels, en collaboration avec les municipalités locales qui les auront identifiés. La MRC fait approuver la carte par l’UPA, le MAPAQ et le pape, puis présente le tout à la CPTAQ qui, en principe, finit par approuver. Ouf !

Il a fallu deux années complètes à notre MRC pour arriver au bout du processus et aucun cas de démence grave n’a encore été rapporté. On en est à l’étape où la carte a reçu un « avis favorable » de la CPTAQ. Cette dernière doit encore rendre publique une « décision favorable », qu’on attend incessamment, en juin, selon Gilles Saint-Jean, maire du Canton de Bedford. Il restera à la MRC à voter un règlement additionnel, et les agriculteurs le désirant pourront lotir et vendre les parcelles concernées.

« Il était temps que ça aboutisse, confie Gilles Saint-Jean. Ça fait 20 ans que nos agriculteurs reçoivent des offres pour des emplacements déjà entourés de maisons. Ils répondaient que c’est zoné agricole et on oubliait tout ça. »

800 nouveaux lots construisibles

Selon M. Desmarais, le relevé final a identifié dans la MRC l’équivalent d’environ 800 lots nouveaux pouvant recevoir des habitations. À titre d’exemples, on compte 8 îlots à Saint-Armand, 8 à Stanbridge East, 13 à Frelighsburg et une dizaine dans le Canton de Bedford. Certains de ces îlots sont fracturés en deux ou trois parcelles à peu près voisines. Ces îlots donnent chacun un ou plusieurs lots, dépendant bien sûr de leurs tailles respectives. Verra-t-on pousser en plein champ des tours à condos de 10 étages ? Pas si on en croit les maires interrogés. « Ça va se faire dans le respect le plus strict des règles, assure Jacques Ducharme, maire de Frelighsburg. Ce qu’on veut, ce n’est pas un bout de Brossard égaré dans le champ de blé d’Inde. C’est de créer un milieu de vie agréable en zone verte. »

« Deux étages max, tranche Greg Vaughan, maire de Stanbridge East. Nous allons travailler au cas par cas, en conformité avec nos règlements. »

Tous les maires interrogés se sont dits très favorables à ce dézonage prudent. Tous insistent sur la vocation exclusivement résidentielle de l’opération. Et tous insistent sur le fait que ce n’est pas parce qu’une parcelle est désignée « îlot déstructuré » qu’elle doit être vendue. « Le propriétaire actuel, explique M. Saint-Jean, peut soit continuer comme avant, soit se construire lui-même, soit vendre pour fin de construction résidentielle. »

Un million de revenus

Tentons une évaluation raisonnable quoiqu’un peu spéculative. Partons avec le chiffre de 800 lots nouveaux environ, chiffre fourni par le directeur général de la MRC. Toujours selon M. Desmarais, la valeur moyenne d’une résidence dans la MRC est de 150 000 à  200 000 $. Bon. Fixons une valeur moyenne commerciale de 175 000 $ par lot une fois construit. Ça nous fait un total de 140 M $.

Avec le montant moyen de taxation fourni par le directeur général, de 0,75 $ le 100 dollars d’évaluation, on arrive à environ 1 050 000 $ de revenus annuels en taxation. Pas le Pérou mais mieux qu’un coup de pied au derrière.

Pour l’instant, cette manne inespérée ne crée pas de spéculation sur les terrains visés. « Pas surprenant, explique Robert Desmarais. Avec 800 nouveaux lots potentiels, il n’y a aucune rareté, donc aucune pression à la hausse. » Jacques Ducharme seconde. Selon le maire de Frelighsburg, personne ne s’est mis à faire du home staging dans le champ de foin pour faire grimper les enchères. « Je le saurais tout de suite. Il n’y a aucun signe de surchauffe. »