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- L'horloge du Chemin de Chambly -

L’horloge du chemin Chambly

Deuxième partie de l’histoire de la famille Demers
Robert Demers

Chapitre 1

Les Patriotes

François Demers, 1773 – 1861

François Demers fut le premier de la famille à naître sous le régime britannique. Sa vie d’adulte se déroula principalement durant la première moitié du 19e siècle. Les faits saillants de sa vie furent la guerre de 1812, la Rébellion de 1837, la fuite et l’exil au bord de la frontière des États-Unis.

Il est né le 24 novembre 1773 à Longueuil, dans la maison familiale sise sur le chemin de Chambly. Son père était cultivateur et aubergiste sur ce chemin. Les Dumay dits Demers vivaient à Longueuil depuis sa fondation. On les compte parmi les premières familles qui s’y établirent à la suite de Charles Le Moyne, baron de Longueuil. François Demers était petit, mais robuste suivant la tradition familiale. Dans sa jeunesse, c’était le « coq » du chemin de Chambly, un batailleur prêt à défier quiconque voulait se mesurer à lui. Il fut toutefois battu par le grand Jarry, le « coq » de Saint-Basile. Après cette bataille, il a dû passer trois mois à manger du gruau. C’était un sujet tabou. Il n’aimait pas ressasser les souvenirs douloureux. À l’occasion d’un jour de l’an, alors qu’il était allé dîner chez l’un de ses fils, la conversation porta sur un nommé Jarry. Pour taquiner son père, le fils en question lui demanda s’il s’agissait de celui de Saint-Basile qui l’avait battu. À ces mots, François se leva de table, mit son paletot et son casque, et ne remit pas les pieds chez son fils durant toute une année.

Son grand-père maternel, Charles Girard dit Sans-chagrin, était un ancien soldat que nous retrouvons, dans les années qui précèdent la conquête, faisant de la culture au fort Saint-Frédéric à la tête du lac Champlain (aujourd’hui Crown Point, New York). Il y vécut une dizaine d’années, soit jusqu’en 1759, année où le Fort fut abandonné devant l’importance des forces du général anglais Jeffery Amherst. La mère de François Demers, de même que tous ses oncles et tantes, était née au fort Saint-Frédéric. Après la conquête, la famille était revenue sur la rivière Richelieu, d’où elle était partie. Le frère de sa mère, François Alexis Girard, était devenu capitaine au fort de Chambly. Le 25 septembre 1797, François Demers épousa à Longueuil Charlotte Davignon dit Beauregard, fille mineure d’Amable Davignon dit Beauregard et de Charlotte Lamoureux. Le couple s’installa sur le chemin de Chambly dans la maison familiale des Demers.

 La milice

Sous le régime britannique, suite à l’attaque du Canada par les Américains en 1775-1776, le service militaire devient obligatoire. Une Loi sur la Milice fut adoptée  et tous les hommes de 16 à 60 ans durent s’enrôler dans la milice. Avec son tempérament belliqueux et ses antécédents militaires familiaux, c’est avec enthousiasme que François Demers s’enrôla, vers 1789. En 1791, une loi du parlement britannique (Constitutional Act 1791) divisa la province de Québec en deux parties, soit le Bas-Canada et le Haut-Canada. Cette loi permettait au Bas-Canada de conserver le droit civil français, ses institutions, les seigneuries et les privilèges de l’Église catholique romaine. Le Haut-Canada obtenait les lois et les institutions anglaises. Cela convenait aux milliers de loyalistes qui quittaient les États-Unis pour le Canada et allaient modifier à demeure le visage du Canada. Le changement sans doute le plus important de cette loi résidait dans l’obtention d’assemblées législatives par le Bas et le Haut-Canada et, pour la première fois, des représentants élus. Le Québec n’avait connu antérieurement qu’un régime féodal.

Une nouvelle loi passée en 1803 au Bas-Canada prévoyait que les miliciens devaient s’entraîner et faire vérifier leurs armes. Lors de cette réforme, François Demers devint officier de la milice locale. Sa commission le désigne comme enseigne, grade qui correspond à celui de sous-lieutenant. Il avait alors 30 ans. Il faisait partie de la compagnie de Longueuil et du bataillon Première Division de Boucherville. Deux autres bataillons faisaient partie de la milice locale de Boucherville, la Deuxième Division de Boucherville et la Division de Beauharnois. Ces bataillons relèvent du District militaire de Montréal.

L’importance de la milice

Le gouverneur en fonction, Sir James Henry Craig (1807-1811), n’était guère apprécié par les Canadiens. En plus de son état de santé précaire qui l’empêchait d’accomplir ses fonctions avec assiduité, en mars 1810, il avait fait emprisonner les chefs du Parti canadien sans leur faire subir de procès. Craig, ses hauts fonctionnaires britanniques, les marchands anglais, des seigneurs canadiens, des juges et des officiers de haut niveau craignaient le nationalisme des Canadiens qu’ils percevaient comme une menace à leurs droits. Toutefois, la Grande-Bretagne était en guerre avec la France de Napoléon. Elle avait besoin de conserver le gros de ses troupes en Europe. La milice canadienne était donc importante pour défendre le territoire du Canada.

 vol14n03_dec_2016_janv_2017_27La guerre

La Grande-Bretagne avait vu venir la guerre avec les Américains et, le 12 janvier 1812, elle remplaçait le gouverneur au Canada par Sir George Prévost, dont les parents étaient d’origine suisse. Il parlait bien français et avait montré antérieurement qu’il savait gagner l’estime des populations de langue française. Le 18 juin 1812, les États-Unis déclarèrent la guerre à la Grande-Bretagne et à ses territoires, particulièrement le Canada. En 1813, la Grande-Bretagne envoya au Bas-Canada deux régiments suisses dont les officiers parlaient français, soit le régiment de Meuron et le régiment de Wattville. Sir George Prévost prit des mesures pour corriger certaines iniquités créées par son prédécesseur. L’appui de la majorité des Canadiens à la Grande-Bretagne résultait de leur crainte des Américains : avec l’arrivée éventuelle d’immigrants américains, ils craignaient de perdre les privilèges accordés par la Grande-Bretagne en matière de langue et de coutumes, mais aussi en ce qui concernait les terres non exploitées. Par contre, les Canadiens ne montraient guère d’enthousiasme à partir en guerre à la défense de la Grande-Bretagne. Il y eut même des manifestations et des émeutes de la part de ceux qui refusaient la conscription. La législature du Bas-Canada, composée très majoritairement de francophones, adopta en février 1812 une loi autorisant le gouverneur Sir George Prévost à enrôler en cas de guerre l’ensemble de la milice canadienne.

L’invasion

Devant la menace d’une invasion, le 3 novembre 1812, le Gouverneur ordonne que des bataillons de milices, dont ceux de Boucherville, soient prêts à marcher à la défense du pays. François Demers avait alors 39 ans. Comme il était officier de la milice locale de la paroisse de Longueuil qui faisait partie d’un des bataillons de Boucherville, il participe alors à la défense du pays. L’ordre est ensuite donné de marcher vers la frontière pour empêcher l’ennemi d’envahir le Bas-Canada. Les voltigeurs canadiens, un bataillon de miliciens volontaires sous le commandement du major Charles-Michel de Salaberry, se porte à la défense du Bas-Canada. Ils seront sur la ligne de feu.

L’invasion américaine du Bas-Canada débute le 19 novembre 1812 à Lacolle. La tentative par les Américains d’envahir le pays, qualifié d’escarmouche, s’avère être un véritable fiasco. Dans l’obscurité, les Américains tirent sur leur propre troupe.  Poursuivis par Salaberry, ils se retirent derrière la frontière américaine le 21 novembre 1812. François Demers attendait l’ennemi. Il était prêt, mais la guerre ne se rendit pas jusqu’à lui. Le 27 novembre, comme les autres miliciens, il sera autorisé à retourner à son foyer. En 1812, la guerre se déroulera ensuite au Haut-Canada. Ces projets d’invasion des Américains n’ont pas eu plus de suite.

En 1813, les Américains réussissent dans le Haut-Canada à contrôler la frontière de Détroit et celle de Niagara, du moins temporairement, ce qui leur permet de mettre en marche leur plan d’attaquer le Bas-Canada et de prendre Montréal, puis Québec, et finalement Halifax et, enfin, de chasser les Britanniques de l’Amérique du Nord. Le 26 septembre 1813, les bataillons de Boucherville, dont faisait partie François Demers, sont enrôlés de façon permanente avec les autres bataillons et reçoivent l’ordre de marcher sur l’ennemi, qui dispose de deux armées composées de plusieurs milliers de soldats se dirigeant vers la frontière. Le 12 octobre 1813, les Américains lancent des raids sur la Baie Missisquoi et s’emparent de Philipsburg, puis de Saint-Armand. Les bataillons de Boucherville sont au front, la Division de Beauharnois est sur la ligne de feu avec les Voltigeurs canadiens.

 Châteauguay

Le plan des Américains les amène ensuite à attaquer le long de la Châteauguay le 25 octobre 1813. Ils ont massé des milliers de soldats pour envahir la vallée du Richelieu. Une autre armée descend le long du Saint-Laurent avec aussi des milliers de soldats. L’heure est grave. Les meilleures troupes de la Grande-Bretagne sont en Europe. Ce sont les miliciens qui devront à nouveau défendre le pays. Cette tâche échoue à Charles-Michel Irumberry de Salaberry, un officier de l’armée britannique et de la milice canadienne. Il dirige, entre autres, les Voltigeurs canadiens. Il manque d’hommes, mais comme c’est un grand stratège, il réussit à bloquer les Américains près d’Ormstown. Ceux-ci finalement se retirent et retournent derrière leur frontière.

Crysler’s Farm

Pendant ce temps, la 2e armée américaine file vers Crysler’s Farm (près de Cornwall en Ontario). Là aussi, c’est une victoire pour les miliciens canadiens et les Britanniques au pays. À leur retour du front, on les félicite. C’est la gloire, ils ont défait les deux armées américaines. Le lieutenant-colonel Charles William Grant, baron de Longueuil et membre du Conseil législatif, est aussi le commandant de la Division de Beauharnois de la milice de Boucherville. Le 8 décembre 1813, il est fait prisonnier par les Américains et sera emprisonné à Worcester, au Massachusetts. C’est le major Edme Henry qui le remplace. Cette promotion fera de lui un militaire important et surtout un commandant de la milice dont fait partie François Demers.

Après quelques escarmouches en 1814, la guerre est terminée au Bas-Canada. Elle se poursuivra au Haut-Canada et sur le territoire américain. Pour François Demers, la guerre est aussi terminée. Il aurait aimé pouvoir combattre, car c’est un soldat et un batailleur dans l’âme. Mais le sort n’en a pas décidé ainsi. Finalement, comme les autres, il retourne chez lui en 1814. La paix sera finalement signée entre les Américains et la Grande-Bretagne en 1815. Pendant l’absence de François, c’est sa femme, Charlotte Davignon dit Beauregard, qui dirigeait l’auberge et prenait soin de leurs huit enfants en bas âge. En 1814, elle avait eu deux autres enfants, conçus au gré des allers et retours de son époux entre le front et la ferme, un garçon, Narcisse, né le 20 janvier, et une fille, Julie, née le 8 décembre. Deux enfants, la même année, en pleine guerre ! Cette femme est mon héroïne de la guerre de 1812.

 L’après-guerre

Au sortir de la guerre, les Demers du Chemin de Chambly ont dix enfants. Ils en auront cinq autres dans les années qui suivent. Les enfants vont à l’école et apprennent à lire, écrire et compter et, pour certains, l’anglais. L’auberge est prospère. De plus, François Demers prête de l’argent et accepte des dépôts avec intérêt. Sans compter que, avec tous ces enfants qui sont d’âge à aider aux champs, au soin des animaux, à la cuisine de l’auberge, les affaires vont bon train. Progressivement, au fil des ans, les enfants partent pour aller établir leur propre famille. François Demers a les moyens de les aider à s’établir. Son compagnon  d’armes, le major Edme Henry, notaire et agent foncier d’importance qui fonda les villages de Christieville (Iberville), de Napierville et d’Henryville, attire plusieurs membres de la famille à ce dernier village. François Demers a rencontré pendant la guerre de 1812 un grand nombre d’officiers de milice qu’il va retrouver par la suite à son auberge du chemin de Chambly. En plus d’Edme Henry, il a connu Louis-Joseph Papineau, capitaine de la milice pendant la guerre de 1812 qui devint le chef du Parti Canadien et ensuite le chef du Parti patriote.

(à suivre dans le prochain numéro)