Photos : Eden Muir
Le service cellulaire en région est une nécessité criante. Tout comme l’internet haute vitesse. Pourquoi ? Parce que les choses changent et que la ligne fixe et l’internet par satellite ne répondent plus aux besoins actuels. Soyons clairs, il ne s’agit pas d’avoir simplement des services plus performants, mais bien des services qui permettent aux utilisateurs d’être en phase avec leur époque.
Oui, être joignable en tout temps, pouvoir participer à des téléconférences et avoir un bureau à la maison, tout cela favorise l’arrivée de jeunes familles, l’agro-tourisme et l’économie locale dans son ensemble. Dans cette foulée, l’entreprise de télécommunication Bell Canada a proposé d’assurer le service cellulaire dans la municipalité de Frelighsburg. De par son obligation de desservir les régions, imposée par le CRTC, elle répondait à un besoin important. Cependant, elle omettait de prendre en considération un élément crucial de la région : son paysage. Ainsi, en proposant de construire une tour de 100 mètres au printemps 2013, Bell a suscité une levée de boucliers.
Suite aux négociations avec la municipalité de Frelishburg (qui, pour la cause, a engagé un consultant en téléphonie mobile), l’entreprise a revu son plan initial en proposant la construction de deux tours, dont une sur le chemin Saint-Armand, qui a été érigée en août 2014 (47 mètres), et l’autre sur le chemin McIntosh, qui a été érigée le mois dernier (40 mètres). Ainsi, la municipalité de Frelighsburg a réussi un tour de force en minimisant l’impact de ces tours sur le panorama du coin. Les municipalités de Bolton et de Mansonville, qui sont aux prises avec des problématiques semblables, envient d’ailleurs l’entente qui a été conclue à Frelighsburg.
Toutefois, on peut se demander si cela est suffisant pour protéger un paysage dont tous reconnaissent la beauté et la valeur. Un paysage qui, on ne peut que l’admettre, est l’un des principaux vecteurs économiques de la région. La question se pose puisqu’il existait une solution de rechange à la tour du chemin McIntosh. Un regroupement citoyen (auquel se sont joints, entre autres, le Domaine Pinacle, le Verger Sud, le Clos Saragnat et la Ferme Oneka) a donc entrepris des recherches afin de proposer une solution plus discrète et tout aussi efficace.
Trois structures en bois de 15 mètres, disposées près des chemins publics, auraient ainsi été moins imposantes tout en permettant la mise en place d’un réseau cellulaire de qualité. Le but derrière une telle approche ? Minimiser l’impact visuel sur le paysage dans le secteur des chemins Richford et McIntosh.
Enfin, si cette option (qui pourtant avait été validée par un représentant de Bell) n’a pas été retenue, ni même considérée, ce n’est pas par mauvaise foi. C’est plutôt un problème de juridiction… Les tensions entre les entreprises de juridiction fédérale (comme Bell) et la réalité du développement local ne sont pas nouvelles. Comme on peut l’observer avec le projet Énergie Est de TransCanada, il s’agit, au fond, d’un enjeu constitutionnel.
Plusieurs questions émanent d’un tel constat. D’abord, en ce qui a trait au développement économique et social de la région. Car on ne rappellera jamais assez que les institutions (dans ce cas Industrie Canada) visent invariablement à orienter nos actions en fonction d’une logique économique dictée par les grands acteurs du milieu. Ainsi faut-il comprendre quels sont les moteurs économiques de notre région et comment ils fonctionnent. Certes, il en existe plusieurs mais entre tous, l’agro-tourisme se distingue en raison de sa croissance soutenue au cours de la dernière décennie.
Rappelons que cette nouvelle manière de faire constitue une stratégie d’affaire qui permet de diversifier l’offre de services en proposant une expérience nouvelle au visiteur : celle du lieu et des méthodes de production. Ainsi, le paysage est un élément clé du succès des entreprises agro-touristiques de la région. Les gens viennent découvrir les produits de la région et leurs modes de production dans un cadre qui respecte la beauté du coin et y participe. Le panorama des lieux fait indéniablement partie du « produit offert » et, donc, augmente sa valeur économique. Notre paysage est en quelque sorte le magasin et la carte d’affaire de toutes les entreprises agro-touristiques de la région.
Bien sûr, comprendre la notion de paysage en termes de rentabilité économique est une tâche complexe qui échappe encore à bien des gestionnaires. C’est pourquoi il y a une leçon à tirer de la construction de cette tour sur le chemin McIntosh.
Il s’agit ainsi d’assurer l’existence d’une volonté politique (tant au niveau municipal, provincial que fédéral) qui orchestrerait les divers projets de développement avec la réalité socio-économique des régions dans lesquelles ils prennent place. Autrement dit, l’empressement, le profit des grandes corporations et l’octroi de permis ne suffisent pas à justifier un projet si celui-ci vient diminuer la rentabilité d’autres projets de développement locaux.
On rappellera en ce sens la racine étymologique du terme économie. Le préfixe « éco » vient du grec oikos qui désignait autrefois la demeure, la maisonnée. Ainsi, l’oikonomia signifiait précisément l’art de gouverner son lieu de vie et d’en gérer les ressources avec sagesse…