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PIERRE TOUGAS, PEINTRE DE CHEZ NOUS

« Style et distinction étayent la grandeur d’un peuple. »
Jef Asnong

Ne craignez rien d’une phrase à l’apparence un peu alambiquée, mais en réalité, d’une grande limpidité. Je l’ai entendue quand j’étais très jeune et ne l’ai jamais oubliée. En fait, il ne s’agit pas d’un appel à la performance, mais à la qualité, ceci dans toutes les sphères de l’activité humaine. Cela compte pour les tâches les plus quotidiennes comme dans les manifestations culturelles ou artistiques les plus chargées de sens.

pierre-tougas-2Je voulais dire ces quelques mots avant de présenter davantage un artiste de chez nous, un parmi plusieurs autres qui méritent d’être connus ou mieux connus en leurs terres, en l’occurrence le peintre Pierre Tougas.

Pierre me parle de son grand-père, Almanzor Tougas, qui fut barbier à Pike River au début du siècle dernier, tout en exploitant une terre louée. Almanzor se maria en 1914 à Béatrice Guérin. Le couple demeurait au 112 chemin des Rivières à Pike River et eut neuf enfants. Almanzor était un violoneux aussi. Le violon fut l’un des moyens d’exprimer cette joie de vivre qui animait en ces temps-là un peuple autrement sans histoire… Les soirs, chez le barbier, on poussait la table de cuisine dans un coin, lui-même montait dessus avec son violon et débutait la soirée de danse. Tout le village venait L’on n’a pas à chercher loin d’où vient le talent artistique d’un jeune qui a telle ascendance ! D’ailleurs, son grand-père maternel, Josephat Sareault, était un bon dessinateur aussi.

Le fils aîné d’Almanzor, Bernard, se marie avec Georgette Sareault et va demeurer à Saint-Jean-sur-Richelieu. C’est là que nait Pierre, le 27 juillet 1949. Il est l’aîné d’une « trâlée » de douze enfants. Son père est un opérateur de machine, employé à l’usine Singer et par la suite chez Formica, compagnie spécialisée dans la fabrication de matériaux composites, laminés et résistants à la chaleur. Quand Pierre a six ans, la famille traverse la rivière et va demeurer dans le secteur Iberville.danser là !

Il se souvient que, à douze ans, il a peint le ruisseau Hazen à Iberville. À l’école aussi, on fit appel à lui pour dessiner des paysages et autres scènes sur le tableau. À la maison, sa mère qui, pour joindre les deux bouts, était couturière, l’aidait à dessiner.

Comment découvrit-il son talent ? Quel fut son artiste modèle ? Pierre dit : « Je ne pensais seulement qu’à cela ! » « Non, je ne connaissais pas l’histoire de l’art à ce moment-là ; je m’inspirais de ce qui m’entourait. Ce qui paraissait dans les journaux, les vitrines des magasins, ce qu’apportait l’ambiance quotidienne. »

À l’âge de 16 ans, tandis que sa mère est à l’hôpital où elle accouche de son dernier, son douzième enfant, Pierre, qui est en onzième année, fait un coup marquant : il lâche l’école régulière. À l’insu de ses parents, il se rend à la caisse populaire afin d’emprunter l’argent nécessaire pour s’inscrire à l’Académie des Arts du Canada. Il s’agit d’une école pour illustrateurs et artistes si tuée sur la rue Saint-Hubert à Montréal. Le gérant de la caisse populaire, envers qui Pierre demeure très reconnaissant, l’aide à obtenir un prêt d’honneur de 2000 $ de la Société Saint-Jean-Baptiste. Ses parents, malgré la charge de 12 enfants, mais bien conscients de la passion de leur fils, poussent la générosité aussi loin qu’à lui payer sa deuxième année d’études. Pierre, quant à lui, fait la navette quotidienne Saint-Jean-Montréal-Saint-Jean et dessine les soirs jusqu’à une heure du matin. Sa troisième année d’études, il la finance en travaillant à la mercerie Paul Dussault, rue Richelieu à Saint-Jean.

Diplômé, il trouve un emploi comme illustrateur pour les magasins Simpson à Montréal, où il travaille trois ans. « Je dessinais des sacoches, des gants, des souliers, des rideaux, des costumes, des robes, des meubles, explique-t-il. C’était beaucoup de travail, mais à 55 $ par semaine, c’était bien payé. »

Ensuite, il se rend à la ville de Québec et travaille pour la compagnie Pollack. « C’était le même travail, mais plus que le double du salaire ! »

Il y rencontre Suzanne Hallé de Charlesbourg. Elle est étudiante-infirmière ; il sera malade d’amour. Suzanne ayant terminé ses études, le jeune couple va vivre à Montréal en 1974.

Désormais Pierre sera travailleur autonome en illustration pour Simpson, Dupuis Frères et des agences de publicité. Il prend bientôt la décision de devenir peintre. « J’étais tanné de produire des œuvres non signées, éphémères, qui allaient à la poubelle le lendemain de leur parution. » De toute façon, l’ère de l’illustration ou du dessin publicitaire tirait à sa fin, sans regard en arrière, sans mention aucune de ces nombreux artistes qui anonymement produisirent un grand volume d’œuvres, souvent des dessins de qualité.

À cette époque, à 25 ans, il découvre Andrew Wyeth (1917-2009), un artiste américain marquant qui travaille l’aquarelle et la tempera. Ce peintre réaliste fut justement célébré, parce que très sensible, souvent émouvant, toujours splendide. Il deviendra son maître. Pierre est à jour, en possédant une copie de tous les livres consacrés à ce grand nom, et il y en eut beaucoup !

Il devient aquarelliste, mais adepte aussi de la peinture à l’huile. Son long apprentissage l’a préparé. Il sait dessiner, il maîtrise la technique, il excelle à rendre les couleurs et, surtout, la lumière. En 1976, il rencontre Gilles Brown, qui de chanteur adulé s’est mué en galeriste, promoteur d’art et mécène. Une première exposition a lieu l’année suivante à la galerie Clarence-Gagnon, alors située sur la rue Bernard à Outremont. En 10 minutes, les 30 tableaux trouvèrent preneur. Gilles Brown envoie son protégé en France pour y peindre in situ. Celui qui est devenu son ami écrira un beau livre d’art, intitulé Tougas : l’eau et la lumière, qui sera publié en 2003 par la maison d’édition

Art Global. Déjà auparavant, soit en 1990. M. Clément Fortin avait consacré à l’artiste son livre Tougas, publié par les Éditions Broquet.

Suivent des années de travail intense. Dès 1977, les tableaux de Pierre sont présentés à la galerie Richard Hevey de Sainte-Adèle. En 1984, Tougas expose à la galerie Continentale, propriété de la famille Molson.

En tout, au cours des ans, il y aura 22 expositions solos à la galerie Clarence-Gagnon de Gilles Brown, 2 à la galerie Continentale, 2 à la galerie De Bellefeuille et autant à la galerie Richard Hevey. À cela s’ajoutent une vingtaine d’expositions de groupe et deux rétrospectives muséales, soit au musée Ramezay de Montréal en 2002 et au musée Laurier de Victoriaville en 1998.

En 1982, Pierre Tougas fut l’un des 13 membres fondateurs de la Société canadienne de l’aquarelle, qui compte désormais près de 200 membres. Il est aujourd’hui l’un des aquarellistes les plus en vue et les plus appréciés du pays, ce dont témoigne une série de reconnaissances. Il est présent aussi sur la toile de diverses façons.

Quand la maison d’édition Art Global publia le livre d’art L’énigme du retour en hommage à l’écrivain Dany Laferrière, elle fit appel à Pierre Tougas, l’aquarelliste, pour illustrer l’œuvre. Il s’acquitta de la tâche de façon magistrale.

Depuis 43 ans, Pierre vit et travaille à Longueuil. Ses œuvres font partie de la collection de la ville et de beaucoup de collections publiques et privées.

Comme il le dit lui-même : « L’aquarelle permet à l’artiste de présenter des œuvres riches en lumière, en transparence, en fluidité et en effets subtils. Elle est l’instrument qui me permet le mieux d’exprimer ma sensibilité d’artiste. C’est une forme d’expression artistique qui m’apporte une grande paix intérieure. Le chemin que j’ai parcouru jusqu’à maintenant pour tenter de saisir l’indéfinissable beauté de la nature fut un très beau voyage. »

En fait, par ces mots Pierre exprime ce que j’ai voulu souligner dans la citation initiale ; son pro fond humanisme. La grandeur, ce n’est pas quelque chose d’extravagant ; c’est davantage une question d’authenticité, d’honnêteté. Il est nécessaire de s’exprimer, de témoigner, d’honorer l’harmonie  et la beauté, parce que sans tout cela on ne saurait vivre ! En fin de compte, l’humain a besoin de s’exprimer pour que l’humain, en lui, puisse devenir.

Site de P. Tougas :

http://pierretougasartiste.com/