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- L'horloge du Chemin de Chambly -

L’HORLOGE DU CHEMIN DE CHAMBLY

Une histoire de famille écrite par Robert Demers, de Saint-Armand.
Robert Demers

Note de la rédaction

Né à Montréal, le 10 octobre 1937, Robert Demers a fait carrière comme avocat, notamment dans les domaines de la finance, du commerce et de l’assurance. Il a présidé la Commission des valeurs mobilières du Québec, puis la Bourse de Montréal et a siégé à divers conseils d’administration, dont ceux d’Hydro-Québec et du Théâtre du Nouveau-Monde. Il a aussi été conseiller du premier-ministre Robert Bourassa et, en octobre 1970, a joué un rôle actif dans les négociations pour la libération de deux otages du Front de libération du Québec (FLQ). Il possède une ferme à Saint-Armand (Pigeon Hill) depuis plus de 40 ans.

À compter de ce numéro, nous publions en feuilletons ce récit véridique qu’il a tiré des archives de sa famille et qu’il a gracieusement offert aux lecteurs du journal Le Saint-Armand.

Remerciements

Je me dois de souligner l’apport exceptionnel de feu Judy Antle, archiviste de la Société d’Histoire de Missisquoi, de Nicole Poulin, présidente de la Société d’Histoire du Haut-Richelieu et de Lionel Fortin, historien et auteur, pour la rédaction de l’histoire de l’horloge du chemin de Chambly.

Robert Demers

Introduction

De gauche à droite, Amédée Bouchard, beau-frère, Louis-Philippe Demers, Joséphine Bouchard, sa femme, ainsi que des compagnons de voyage le 26 juin 1909 sur le bateau à destination de l’Europe. Après Londres et Paris, ils visitèrent Dieppe et Mers, lieux d’origine de la famille.
De gauche à droite, Amédée Bouchard, beau-frère, Louis-Philippe Demers, Joséphine Bouchard, sa femme, ainsi que des compagnons de voyage le 26 juin 1909 sur le bateau à destination de l’Europe. Après Londres et Paris, ils visitèrent Dieppe et Mers, lieux d’origine de la famille.

C’est l’histoire d’une grande horloge et de ses propriétaires. Elle est tirée de la généalogie de ma famille, écrite par mon grand-père Louis-Philippe Demers à partir du 29 septembre 1897, puis pendant les décennies qui suivirent, dans la première moitié du 20e siècle, à la suite de longues recherches qu’il a effectuées et qui le menèrent même en France.

On trouve à travers cette généalogie de la famille Demers, divers commentaires provenant de sa tradition orale ainsi que des découvertes faites dans les actes notariés, les registres des paroisses ou des documents que mon grand-père a consultés au cours de ses recherches. Certains souvenirs de famille, non écrits, sont parvenus jusqu’à moi. J’ai complété ces commentaires et souvenirs par des recherches sur Internet, dans les archives et auprès de divers historiens. Cette généalogie contient l’histoire des propriétaires d’une grande horloge. Elle se fonde sur des faits réels. C’est celle de ma famille et les personnages qui la composent, façonnés par les évènements du temps, font en sorte que c’est aussi l’histoire de toutes les familles qui ont vécu au Québec, particulièrement dans la vallée du Haut-Richelieu au cours du 19e et du 20e siècle.

Le chemin de Chambly et la rue Saint-Pierre

Les Dumay, dits Demers, font partie des premières familles à s’établir à Longueuil vers 1733. Ma famille avait des liens d’origine et de parrainage avec les LeMoyne de Longueuil. La maison où elle demeurait en 1783 était située sur le chemin de Chambly. En venant du village, c’était juste après la montée vers Saint-Basile. Le chemin de Chambly est un vieux chemin qui crée un lien entre le fleuve Saint-Laurent et la rivière Richelieu. À l’époque, cette rivière qui coule vers le nord est très importante car elle prend sa source dans le lac Champlain. Une autre rivière, la Hudson, coule vers le sud et permet de se rendre à New York au bord de l’océan Atlantique. À cette époque, on pouvait donc se rendre par voie d’eau de Montréal à New York. La ville de Chambly a un rôle militaire stratégique. Le fort, qui y est situé, servira de défense importante contre les invasions venant du Sud. Elles seront nombreuses tant sous le régime français que sous le britannique.

Catherine Demers, née en 1698, couturière de son métier, a demeuré sur la rue Saint-Pierre à Montréal. C’est une cousine germaine du grand-père de mon ancêtre, François Demers, qui reste sur le chemin de Chambly à Longueuil. Avec Marguerite d’Youville, Catherine Demers est l’une des fondatrices de la communauté des Sœurs de la Charité, dites Sœurs Grises. Il y a peu d’information qui subsiste sur Catherine. Elle a joué un rôle important, mais très effacé dans la communauté. Cette volonté de passer inaperçue découlait sans doute de sa volonté d’agir, sans besoin de renommée. Mais c’est aussi probablement pour éviter les médisances possibles, sa belle-mère ayant été poursuivie par une ancienne cliente. En janvier 1737, elle entraînera toute la famille dans un procès pour faillite frauduleuse. Il n’en fallait pas plus pour que les mauvaises langues répandent des calomnies sur Catherine, qui a elle-même été interrogée à deux reprises en plus d’avoir à déposer un mémoire devant le Conseil supérieur. On la soupçonnait d’avoir détourné des marchandises saisies par décret. L’humiliation et le chagrin occasionnés par ce procès ont donc dû être considérables. Finalement, en juillet 1737, un jugement acquitte la famille.

Catherine Demers, la couturière, connaît tout le monde dans la haute société d’alors. Son père, Charles Demers, a pour parrain Charles LeMoyne de Longueuil et de Châteauguay, l’un des hommes les plus riches de son temps et le premier à obtenir en Nouvelle France un titre de noblesse et une seigneurie. Il est le seigneur de Longueuil. Catherine a comme parrain Paul LeMoyne de Maricourt, un des fils de Charles et un frère d’Iberville. Les LeMoyne étaient, comme les Demers, originaires de Dieppe en Normandie.

vol14n02_oct_nov_2016_29Quelques mois après l’acquittement, Catherine fondera avec ses compagnes la communauté des Sœurs de la Charité, puis elles dirigeront l’Hôpital Général de Montréal. Alors âgée de 40 ans, elle abandonne un commerce de couture prospère. Elle est propriétaire de la maison où elle exerce son métier. Ses connaissances en gestion et son habileté comme couturière aideront grandement au développement des œuvres des Sœurs Grises.

Chez les Demers, les liens familiaux sont importants. Par conséquent, François Demers et son père se rendaient parfois à Montréal, à l’hôpital des Sœurs Grises sur la rue Saint-Pierre, où ils étaient accueillis par Sœur Catherine Demers. En 1783, François Demers avait dix ans. La Sœur devait être enchantée de rencontrer son arrière-petit-cousin, elle qui avait connu André Dumay, dit Demers, et Marie Chedville, ses grands-parents venus de France en 1650, lui de Dieppe en Normandie et elle, de Villers en Picardie. Et voilà maintenant François Demers, le petit-fils de son cousin germain, né sous le régime britannique dans la colonie du Canada, après la défaite de la France en 1773.

Catherine Demers est décédée en 1785, à l’âge de 87 ans. Inhumés initialement dans la crypte de la chapelle de l’Hôpital Général, de la rue Saint-Pierre, ses restes furent enterrés vers 1871 dans une fosse commune dans la crypte du couvent des Sœurs Grises situé au coin des rues Guy et René-Lévesque à Montréal. Ils y sont toujours avec ceux de nombre de ses compagnes. Cet édifice fait partie aujourd’hui de l’Université Concordia.

Après le décès de Catherine, François Demers continua d’aller rue Saint-Pierre parce qu’on y trouvait l’Hôpital Général de Montréal, mais aussi la bijouterie horlogerie de George Savage, originaire de Huddersfield en Grande-Bretagne. En 1818, elle était située au coin de la rue Saint-Pierre et de la rue Notre-Dame. François Demers aimait visiter ce commerce car il avait une fascination pour les horloges, en particulier la grande horloge que lui avait montré Joseph Savage, le fils de George Savage. Il lui avait dit : It is called a Tall Clock. Il aurait aimé l’avoir, mais c’était hors de prix. L’entreprise Geo. Savage Huddersfield sera reprise et poursuivie par un employé du nom de Henry Birks. Elle devint la compagnie Henry Birks & Sons. Ce commerce existe toujours aujourd’hui et est situé au square Phillips à Montréal.

Mais qui est François Demers ? C’est ce que nous allons maintenant découvrir.

(à suivre dans le prochain numéro)